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L’OTAN, garante absolue
de la sécurité en Europe ?

François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM

Mise en ligne le 29 novembre 2023

L’OTAN connaît un nouveau dynamisme depuis que l’invasion généralisée de l’Ukraine par la Russie a brutalement réveillé ses membres face à la réalité de l’expansionnisme russe. La Finlande, qui partage une longue frontière avec la Russie, a pris la décision de rompre avec la neutralité imposée après la Seconde Guerre mondiale par son puissant voisin en rejoignant l’Alliance. La Suède a suivi son exemple en demandant son adhésion, encore bloquée par la Turquie et la Hongrie. Ce regain d’intérêt pour l’OTAN pose cependant certaines questions sur la portée des garanties de sécurité, sa capacité à assurer la paix en Europe et son avenir. Surtout si les États-Unis, de pilier de l’OTAN, en devenaient le maillon faible.

Illustrations : Julien Kremer

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, créée en 1949 à Washington, a été conçue pour protéger les démocraties contre l’expansionnisme soviétique, mais aussi pour éviter une renaissance du « nationalisme militariste » et encourager l’intégration politique de l’Europe occidentale. L’OTAN est une alliance défensive fondée sur des valeurs communes : « les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit ». Cependant, il n’existe aucun mécanisme de sanction ou d’exclusion si l’un des États membres contrevient à ces valeurs, et même s’il se comporte d’une manière menaçant l’unité de l’Alliance. Ce qui permet à la Hongrie de Viktor Orbán d’entretenir d’excellents rapports avec la Russie, pourtant qualifiée de « menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique »1, tout en bénéficiant des garanties de sécurité de l’Alliance… La Turquie, sous la direction du président Erdoğan, profite aussi de sa capacité de blocage pour exiger de la Suède diverses concessions, notamment sur les militants kurdes réfugiés dans le royaume scandinave.

L’OTAN a débuté ses activités avec 12 membres fondateurs. Les États parties peuvent, à l’unanimité, inviter tout « État européen» à rejoindre l’Alliance. Cette possibilité a été utilisée à de nombreuses reprises, en particulier dans les années 1990-2000, jusqu’à atteindre 31 États parties. Dans la pratique, l’initiative de l’adhésion ne vient généralement pas de l’OTAN mais des pays qui veulent adhérer. Dans les années 1990, les nouveaux gouvernements démocratiques d’Europe centrale et orientale ont demandé à rejoindre l’Alliance atlantique, vue comme la garantie ultime de leur sécurité après plus de quarante ans d’occupation ou domination soviétiques, et ce, malgré les réserves initiales des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest. Il est donc erroné de parler d’« expansion » de l’OTAN, il faudrait plutôt utiliser le terme d’« élargissement ».

Un dernier rempart ?

L’agression russe contre l’Ukraine a démontré par contraste que l’appartenance à l’OTAN est une garantie effective de sécurité. En effet, malgré son discours revanchiste et agressif, la Russie n’a jamais attaqué les pays Baltes, membres de l’OTAN depuis 2004, alors que leur situation géographique les a rendu particulièrement vulnérables. À l’inverse, la Russie a attaqué la Géorgie en 2008 et l’Ukraine à partir de 2014, deux États dont la demande d’adhésion avait été repoussée sine die lors de la conférence de Munich en 2008.

Les obligations des États membres de l’Alliance portent sur le territoire de l’un d’eux « situé en Europe ou en Amérique du Nord », et sur les îles relevant de leur souveraineté « dans la région de l’Atlantique Nord au nord du tropique du Cancer ». Les territoires d’États membres dans d’autres régions du monde ne dépendent donc pas du champ d’application du traité. Ainsi, en 1982, à la suite de l’attaque armée argentine sur l’archipel des Malouines, territoire relevant de la souveraineté britannique, le Royaume-Uni n’a pas pu demander l’aide de ses alliés, car ce territoire se trouve dans l’Atlantique Sud. Dans l’hypothèse d’une attaque de la Chine contre les forces ou territoires américains dans l’océan Pacifique, le traité de l’OTAN ne s’appliquerait donc pas.

Que dit le fameux article 5 ?

L’OTAN fonctionne selon le principe du « tous pour un », ou de défense collective, c’est-à-dire qu’« une attaque armée » contre une ou plusieurs des parties « survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ». Dans ce cas, les États parties s’engagent à assister le ou les pays attaqués « en prenant aussitôt […] telle action qu’[ils ont] jug[ée] nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité… ». Cela signifie que les États alliés agissent conjointement, et se consultent sur les mesures à prendre.

La réaction de chaque État ne doit pas forcément être de nature militaire, et dépend des capacités matérielles de chacun, mais doit être propre à « rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ». Cette règle est une application du droit à la légitime défense collective, conformément à la Charte des Nations unies. Comme il était assez vite apparu qu’un simple traité d’alliance est insuffisant, les États membres ont mis en place des mesures de préparation (SHAPE, etc.) et des plans de défense, afin d’être prêts à venir en aide efficacement à un allié victime d’une attaque armée.

L’article 5 n’a été invoqué qu’une fois jusqu’à présent après les attentats du 11 septembre 2001, par les États-Unis. Ce précédent reste ambigu et controversé, car l’article 5 se réfère en principe à une attaque armée venant d’un État tiers, conformément à la Charte des Nations unies. Le 11 septembre, l’attaque a été commise par al-Qaida, et non par l’Afghanistan. L’asile offert à l’organisation terroriste par le régime taliban n’est pas suffisant pour considérer que l’Afghanistan était auteur de l’attaque.

Il est important de préciser que les États membres de l’OTAN conservent leur liberté d’action. Ils peuvent agir seuls, sans engager l’OTAN, dont les membres ne sont tenus à la solidarité que si un État est victime d’une attaque, et pas s’il prend l’initiative des hostilités. Ainsi, l’invasion de l’Irak par les États-Unis n’avait aucun rapport avec l’OTAN, et n’a créé aucune obligation pour ses membres.

Le rôle des États-Unis dans la sécurité en Europe

Plus grande puissance militaire mondiale, les États-Unis constituent bien sûr un membre essentiel de cette alliance, transatlantique par définition. Elle a été conçue comme une garantie de soutien américain à l’Europe de l’Ouest. Or depuis le mandat de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la présence américaine ne peut plus être considérée comme acquise.

Vue d’Europe, l’OTAN sert d’abord les États-Unis en leur permettant de maintenir une présence militaire. C’est bien différent vu de Washington, pour qui l’Alliance favoriserait d’abord les Européens, en leur offrant la possibilité de faire des économies de dépenses militaires tout en profitant de la protection américaine. Depuis des années, les Américains demandent que les membres européens de l’Alliance augmentent leur budget militaire.

Donald Trump est allé plus loin, en menaçant ni plus ni moins de quitter l’OTAN, qui coûterait trop cher au contribuable américain sans bénéfice visible… d’autant que l’ancien président américain a toujours marqué sa sympathie pour Vladimir Poutine, et pour les dictateurs en général. Sa vision des relations internationales est similaire : hégémonie des grandes puissances, auxquelles sont reconnues des zones d’influence, primat de la force sur le droit, mépris du droit international et du multilatéralisme. De fait, les pays européens membres de l’Alliance n’ont toujours pas les moyens d’assurer seuls la sécurité du continent. Ainsi, les États-Unis ont fourni 42 % de l’aide militaire à l’Ukraine. Les États européens ne sont pas en mesure de remplacer un tel volume. Les Européens sont aussi à la traîne en matière d’initiative.

La perspective de la victoire de Trump ou d’un candidat trumpiste à l’élection américaine de 2024 est donc inquiétante. Il est probable que les engagements américains en Europe seraient remis en cause. L’Europe doit se donner les moyens d’assurer la sécurité du continent par elle-même, sans toujours s’en remettre au parapluie américain si elle souhaite assurer son indépendance et sa sécurité de manière absolue, sans dépendre des choix des électeurs du Wisconsin.

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