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La beauté d’une vie

Lieve Goemaere · Officiante laïque
Avec la rédaction1

Mise en ligne le 17 février 2023

Célébrer une naissance, réaliser une transition, se marier, faire ses adieux : une cérémonie laïque marque toujours une étape importante dans la vie. Il y a tant à exprimer à ce moment-là, même si les mots justes peuvent être difficiles à trouver.

Photo © Shutterstock

« Ce que je viens de vous dire sur mon père, vous ne devriez certainement pas le mentionner lors de la cérémonie » : une phrase que j’entends régulièrement sous différentes formes en tant qu’officiante laïque dans une huisvandeMens (équivalent néerlandophone des maisons de la laïcité). Les proches veulent parfois m’expliquer personnellement la vraie nature du défunt – en n’abordant généralement pas que ses qualités – mais ces traits de caractère sont tus au moment de la cérémonie.

Parler sans fard

Je n’en fais pas seulement l’expérience lors de la préparation des cérémonies d’adieu. Cela se produit également quand je prépare des moments plus agréables, comme les cérémonies de mariage. « Parlez-moi de vos racines » est l’une des questions ouvertes que je pose toujours et à laquelle j’obtiens des réponses très diverses. Parfois, tout n’est qu’harmonie ; d’autres fois, j’entends des histoires de portes de chambre barricadées pour éviter les coups ou d’enfants utilisés en tant que pions lors de divorces compliqués. La vie n’est certainement pas rose partout.

Non pas que je construise la cérémonie autour de ces thèmes, au contraire. Ce que j’essaie, c’est de m’exprimer le plus honnêtement possible. Sans enjoliver les choses et sans rouvrir de vieilles blessures. Je ne parle pas d’une enfance heureuse si je sais que ce n’était pas le cas. Je ne m’adresse pas aux parents des mariés si je sais qu’il s’agit d’un sujet sensible. J’évoque éventuellement les blessures graves avec des termes vagues, mais c’est tout. Heureusement, de telles choses sont faciles à éviter lors d’une cérémonie de mariage : il n’est pas question de se lancer dans une introspection thérapeutique du passé, mais de se concentrer sur le couple de futurs mariés.

Peser les mots

Une cérémonie d’adieu entraîne bien sûr un inévitable regard sur le passé. Je me souviens très bien d’une histoire en particulier. Un homme était venu préparer la cérémonie d’adieu de sa mère. « J’ai reçu tellement d’appels d’amis. Ils me disent tous la même chose : “Tu es soulagé qu’elle soit morte, n’est-ce pas ? Vous êtes enfin débarrassé de cette vieille sorcière !” » Indéniablement, cet homme avait souffert avec ses deux parents. Enfant, il avait une place fixe à table, entre père et mère, pour qu’ils puissent facilement le frapper quand il se conduisait mal, et cela arrivait très souvent à leurs yeux. Une minute de retard, un petit pois tombé de la fourchette, un rire trop gai : tout pouvait lui valoir une raclée. « Mais je ne veux quand même pas la mettre sous terre comme un chien. Malgré tout, elle reste ma mère », m’a expliqué le fils endeuillé.

C’est là que mon travail commence : discuter ensemble et peser les mots. Respecter le défunt, sans mentir pour autant. Nommer les choses comme elles sont, sans enfoncer le couteau encore plus profondément dans la plaie. Écrire de telle sorte que ceux qui ne savent rien n’en sachent pas plus, et que ceux qui sont au courant comprennent les allusions. Une cérémonie d’adieu laïque n’est jamais une glorification, mais ce n’est certainement jamais un règlement de comptes non plus.

Lors d’une cérémonie de funérailles laïque, le défunt est central : on pose un traditionnel regard sur son passé, on le raconte le plus honnêtement possible, sans rendre les choses plus roses et sans raviver de vieilles blessures. 

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Un exercice délicat

Récemment, je me suis retrouvée dans une situation délicate lors de la préparation d’une cérémonie d’adieu dans une autre maison de la laïcité de Flandre occidentale. Tous mes collègues étaient déjà occupés par l’organisation d’une cérémonie et le frère de la défunte – je l’appellerai Gerda – ne pouvait de toute façon échanger que par téléphone. Assez étrange, ai-je pensé, de devoir m’occuper du frère et non de ses enfants, et que ce dernier insiste pour s’exprimer par téléphone uniquement. J’ai compris immédiatement en entrant en contact avec lui. Non seulement l’homme vivait à l’autre bout du pays, mais il n’échangeait plus avec sa sœur depuis des décennies : « Je ne peux pas vous dire grand-chose, mais vous pouvez peut-être appeler les soignants qui ont entouré Gerda. Elle était entourée d’un large réseau professionnel. » Professionnel et en même temps très chaleureux et impliqué, je l’ai remarqué tout de suite. Le secouriste m’a donné le numéro de téléphone du coordinateur, qui m’a communiqué celui du soignant, qui s’est fait un plaisir de me présenter à la femme de ménage, qui lui a transmis mon adresse e-mail… J’ai appelé à tout-va, et cela a abouti chaque fois sur de courtes conversations dans lesquelles une facette de Gerda était montrée, confirmant ce que d’autres m’avaient dit auparavant. De nombreux appels téléphoniques et e-mails plus tard, j’ai pu commencer à écrire une cérémonie d’adieu pour quelqu’un que je ne connaissais pas moi-même, pour des proches que je ne connaissais pas non plus, dans un contexte très sensible. Un exercice délicat. Pour le personnel qui s’était occupé d’elle, Gerda avait été une femme douce, mais la famille avait essuyé des blessures significatives. Tant de choses s’étaient passées et je ne voulais certainement pas nier ou minimiser leur tristesse. J’ai choisi la musique, j’ai écrit et effacé mes mots, j’en ai écrit d’autres, jusqu’à ce qu’un constat me fasse réfléchir : il fallait rendre justice à Gerda sans offenser ses proches.

Une brèche en toute chose

Pour arriver à un tel résultat, je pose beaucoup de questions aux gens que je rencontre. Je les invite à me dresser, à moi, une totale inconnue, un portrait honnête. Non seulement la belle image que nous sommes heureux de présenter, mais également ces choses que nous préférerions peut-être balayer sous le tapis. Avec les deux parties, j’essaie d’écrire une histoire sincère et aussi complète que possible. Les défauts n’entachent pas la beauté d’une vie de toute façon. Ou, pour reprendre cette citation bien connue et si souvent reprise de Leonard Cohen, mais qui contient tant de vérité : « Il y a une brèche en toute chose, c’est par là qu’entre la lumière. »

1 Cet article est une adaptation en français de « De schoonheid van een leven. Het volledige plaatje, mét barsten », paru dans deMens.nu Magazine, 12e année, no 1, janvier 2023. Il est publié ici avec l’aimable autorisation de deMens.nu.

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