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Pour un devoir de vigilance des entreprises

Une opinion de Sophie Wintgens · Chargée de recherche sur le commerce international au CNCD-11.11.11

Mise en ligne le 8 juin 2023

Les entreprises ont un rôle important à jouer sur le plan du respect des droits humains. Tous les produits proposés à la vente devraient ainsi respecter un socle de règles sociales et environnementales. C’est là qu’intervient ce qu’on appelle le « devoir de vigilance », actuellement en discussion au niveau européen.

Photo © Shutterstock

Une série de mutations ont transformé le mode de production des biens. Les produits contemporains (smartphones, voitures…) sont aujourd’hui fabriqués dans les différents endroits du monde les plus avantageux pour les entreprises sur le plan social, environnemental et fiscal. Leur fabrication dépend de chaînes de valeur complexes intégrant des filiales, sous-filiales, fournisseurs et sous-traitants en cascade allant de l’extraction des matières premières à l’assemblage des biens intermédiaires.

L’opacité de ces chaînes de valeur mondiales rend très complexe l’identification des responsabilités sociales et environnementales des entreprises. Peu de firmes disposent des informations nécessaires pour garantir des chaînes de production durables. Les consommateurs peuvent donc acheter à leur insu des vêtements confectionnés par des ouvrières surexploitées, des smartphones comportant des minerais issus de zones de conflits ou encore du cacao récolté par des enfants.

Les mesures volontaires prises par les entreprises (codes de conduite, audits…) sont utiles mais insuffisantes1 : seules 37 % des entreprises européennes pratiquent une forme ou l’autre de surveillance de leurs fournisseurs, et seules 16 % le font tout au long de leur chaîne de production. Il existe des principes et un cadre de référence international pour le respect des droits humains par les entreprises2, mais ils ne sont pas juridiquement contraignants.

Mettre fin à l’impunité des entreprises nécessite donc de légiférer pour leur imposer un devoir de vigilance3, c’est-à-dire l’obligation de prendre continûment les mesures nécessaires pour éviter les violations des droits humains, sociaux et de l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur et, le cas échéant, de réparer les dommages causés.

Des initiatives législatives sont en cours de discussion à différents niveaux de pouvoir, en ce compris en Belgique. Mais tous nos regards sont pour l’instant tournés vers le niveau européen, où se négocie une directive4 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Cette future législation pourrait représenter une avancée importante pour réglementer les chaînes de valeur mondiales, à condition de lui donner les moyens de ses ambitions5. Cela passe en particulier par la garantie d’un réel accès à la justice pour les victimes d’abus, des exigences climatiques fortes pour les entreprises6, un champ d’application qui couvre bien toute la chaîne de valeur afin d’intégrer les investisseurs et les banques7, qui injectent des capitaux en amont, ainsi que l’utilisation de produits à haut risque en aval, comme les pesticides ou les technologies de surveillance.

Le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne vont entamer cet été un processus de dialogue tripartite visant à finaliser la directive. Une fois adoptée, elle devra être transposée en droit national, et le devoir de vigilance deviendra une obligation sur tout le territoire européen.

  1. Lise Smit et al., « Study on due diligence requirements through the supply chain », rapport final, Commission européenne, janvier 2020.
  2. « Principes directeurs [des Nations unies] relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme » (2011), « Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales » (2011), etc.
  3. Sophie Wintgens (coord.), « Comment obliger les entreprises à respecter les droits humains, sociaux et environnementaux », dossier de campagne du CNCD-11.11.11, 7 février 2022.
  4. Sophie Wintgens, « Devoir de vigilance des entreprises : donner à la future directive européenne les moyens de ses ambitions », analyse du CNCD-11.11.11, 11 avril 2022.
  5. Working Group Corporate Accountability « Position Note on the Corporate Sustainability Due Diligence Directive », mai 2022.
  6. Justice is everybody’s business, « The EU must implement ambitious climate due diligence and hold companies legally accountable for their climate impacts », s.d.
  7. « Imposer aux banques de respecter le climat et les droits humains », analyse du CNCD-11.11.11, 9 mars 2023.

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