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Depuis la grève,
on voit l’horizon

Une opinion d’Olivier Starquit · Directeur des services syndicats de la Centrale générale FGTB

Mise en ligne le 4 octobre 2023

Le déroulement du conflit social actuel contre les plans du groupe Ahold Delhaize (lutte qui, rappelons-le, s’oppose à la volonté de franchiser l’ensemble des magasins) donne à certains l’impression que le droit de grève ne serait plus effectif.

Photo © Master1305/Shutterstock

Indépendamment du fait que les pratiques du groupe Ahold Delhaize témoignent assurément d’une lente mais progressive détérioration de la concertation sociale et constituent un effet d’aubaine idéal pour contester idéologiquement, politiquement et juridiquement le droit de grève et l’action collective, rien ne permet de penser que ce dernier soit atteint. Ce qui se passe est plutôt une photographie du rapport de forces actuel. Le banc patronal sent qu’il a le vent en poupe, serre son bonheur et pousse.

Ainsi, depuis des mois, les droits des représentants syndicaux sont constamment mis sous pression : fouille des participants syndicaux au conseil d’entreprise comme de vulgaires malfrats, voire comme des terroristes, envoi d’huissiers, interventions de plus en plus violentes de la police, requêtes unilatérales validées par une ordonnance interdisant la mise en place de piquets de grève devant les magasins et les dépôts de Delhaize se sont multipliés.

Il est par ailleurs intéressant de noter que les tribunaux balaient d’un revers de la main la décision du Comité européen des droits sociaux rendue en 2011 à la suite de la réclamation collective introduite par les syndicats belges. Cette décision estimait que la pratique des requêtes unilatérales était contraire à la Charte sociale européenne. Douze ans plus tard, la Belgique n’a toujours pas tiré les leçons de cette décision importante puisqu’elle permet encore aux entreprises d’entraver le droit de grève par le biais de requêtes de ce genre. La plupart des requêtes en tierce opposition corrigent le tir et donnent raison aux syndicats, mais entre-temps, le mal a été fait et l’exercice du droit de grève a été rendu plus compliqué. Il importe également de rappeler que tout est grave dans la grève (même l’accent !) : par leur nature même, elles sont coûteuses et entraînent des perturbations, mais elles supposent aussi des sacrifices considérables de la part des travailleurs qui choisissent d’y avoir recours. Le droit de grève est l’un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux. Face aux décisions de justice et du monde politique, il s’agira à l’avenir de réfléchir et de faire preuve d’agilité dans le cadre de l’exercice de ce droit.

Le fond de l’air vise insidieusement à dénigrer et détruire le modèle de concertation sociale construit après la Seconde Guerre mondiale par le biais de ces attaques idéologiques, décisions politiques, condamnations judiciaires, répression dans les entreprises et dans les rues… Il est toutefois opportun de rappeler que ce que les organisations syndicales défendent, c’est un projet de société fondé sur la solidarité et sur la lutte contre les inégalités, où ces dernières sont combattues par le collectif, où les salaires sont socialisés et visent à organiser des services publics de qualité et des soins de santé ainsi qu’une sécurité sociale dignes de ce nom. Est-ce de cela que l’on veut subrepticement se débarrasser ?

La démocratie sociale est l’une des composantes indissociables de notre modèle démocratique. Veut-on changer de modèle ? Voilà la question qui se cache derrière les attaques contre le droit de grève.

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