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La société civile
sous pression

Une opinion de Carine Thibaut · Directrice de la section belge francophone d’Amnesty International

Mise en ligne le 20 mars 2023

Selon l’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains, plus de la moitié des organisations de défense des droits humains en Belgique ont subi des intimidations. Est-ce à dire que les libertés fondamentales et l’activisme du secteur associatif sont menacés par ces intimidations et les risques de violence ?

Photo © Diana Litvin/Shutterstock

Amnesty International subit régulièrement des intimidations et des campagnes de diffamation – la plupart du temps sur les réseaux sociaux. Notons qu’elles n’ont jusqu’ici jamais emprunté la voie judiciaire. Ce phénomène ne touche d’ailleurs pas que les défenseur.e.s des droits humains, mais plus largement la société civile qui est confrontée aux campagnes de diffamation et parfois aux poursuites judiciaires, comme c’est le cas d’activistes climatiques et syndicaux.

Des attaques ad hominem sont à déplorer, qui atteignent directement les personnes exposées dans les médias ou occupant des fonctions de direction, ainsi que des attaques visant l’organisation elle-même. Ainsi, il n’est pas rare de se retrouver sous le feu des projecteurs en raison de propos qui n’ont jamais été tenus, de montages fallacieux, etc., participant à l’amplification de fake news.

Les principaux réseaux sociaux exercent très peu de modération, particulièrement sur X (ex-Twitter). Amnesty International dénonce ces manquements depuis plusieurs années, notamment en raison du fait que ces réseaux sont devenus des sources importantes d’informations pour une large part de la population. On estime que la plupart des personnes s’informent par les réseaux sociaux et la télévision, qui constituent les principaux canaux loin devant la presse écrite.

En l’absence d’une politique de modération efficace, le risque de propagation de la haine et de polarisation de l’opinion est grand. Pour Amnesty International, il est ainsi devenu très fréquent de se faire insulter en ligne et de se voir qualifier de raciste, d’antisémite, etc. sans raison valable. Les attaques envers les femmes, a fortiori si elles sont jeunes et/ou racisées, peuvent aller encore plus loin et même déboucher sur des appels à la psychiatrisation, au viol, au meurtre, etc. L’ambiance ainsi produite est très peu propice à la liberté d’expression, ce qui peut conduire certain.e.s activistes à s’autocensurer ou à moins s’exprimer.

De la part du gouvernement, nous avons assisté, il y a quelques mois, à la tentative de faire adopter par la Chambre des représentants un projet de loi développé par le désormais ex-ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, dite loi « anti-casseurs », dont l’objectif était d’introduire une sanction complémentaire d’interdiction judiciaire de manifester pour des faits commis dans des rassemblements revendicatifs. Si, à mon sens, ce projet de loi ne visait probablement pas au premier chef à intimider les militant.es, le contexte actuel de judiciarisation des conflits environnementaux et sociaux, ainsi que les risques de violations des droits humains que cette loi aurait pu engendrer, l’ont rendu inacceptable pour Amnesty International.

Par ailleurs, ce projet reposait sur une perception erronée et exagérée de la part des responsables politiques quant à ce qui est perçu comme une peur des manifestations de la part de la population. Rappelons en effet qu’il y a plus de 2 000 manifestations par an rien qu’à Bruxelles et que la majorité d’entre elles se passent sans heurts.

Toujours est-il que, suite à l’intense mobilisation des syndicats et de très nombreuses associations de la société civile, ce projet de loi a été abandonné. Il s’agit là d’une immense victoire qui nous offre une importante leçon : les défenseur.e.s des droits humains, les syndicalistes et les organisations collectives sont capables de peser sur les décisions politiques. Avec ce projet de loi, le droit de manifester s’est retrouvé menacé, alors qu’il s’agit d’un droit fondamental permettant aux citoyen.ne.s, quelles que soient leurs opinions, de s’exprimer – et aux activistes de passer plus de temps sur le terrain que dans les tribunaux.

À l’approche d’élections qui vont se tenir dans une Europe en proie à une très inquiétante montée des partis aux projets liberticides, c’est un signal d’alarme à ne surtout pas négliger : défendons notre droit de manifester, il nous sera nécessaire dans les années à venir pour protéger l’ensemble de nos droits fondamentaux !

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