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La morale publique
au secours
du bien-être animal

Une opinion d’Anaïs Pire · Juriste et déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 21 mai 2024

Le 13 février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a mis fin à une longue saga judiciaire qui opposait l’État belge (par le biais des Régions wallonne et flamande) à plusieurs associations et personnes de confessions juive et musulmane sur la question de l’interdiction de l’abattage sans étourdissement des animaux. En dernière instance, la Cour a validé les législations régionales, en reconnaissant que le respect du bien-être animal était un objectif légitime qui pouvait donc entraîner une limitation du droit à la liberté de religion.

Photo © Omar Al-Hyari/Shutterstock

Cette décision a demandé un peu de créativité de la part de la haute juridiction. En effet, la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que la liberté de conscience, de religion et de conviction ne peut être limitée par la loi que si cette restriction constitue une mesure nécessaire à « la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Il fallait donc vérifier si l’atteinte alléguée par les requérants à leur liberté de religion – atteinte fondée sur le fait que les animaux abattus selon les rites juif et musulman doivent faire l’objet d’un étourdissement – était justifiée par rapport à l’un de ces objectifs, dans la mesure où cette énumération est exhaustive. C’est la première fois que la Cour était interrogée sur la question de savoir si le respect du bien-être animal pouvait être considéré comme un but légitime.

Pour ce faire, elle observe que le bien-être animal constitue une valeur éthique à laquelle les sociétés démocratiques contemporaines donnent une importance croissante, et qu’à ce titre, sa protection peut être rattachée à la notion de « morale publique ». La Cour souligne que la notion de morale est évolutive par essence, puisque ce qui pouvait être jugé moralement acceptable à une époque donnée peut cesser de l’être après un certain temps. En outre, elle estime que la protection de la morale publique ne vise pas uniquement la protection de la dignité humaine dans les relations entre personnes ; la Convention tient également compte de l’environnement dans lequel vivent les personnes qu’elle protège, dont les animaux – en tant qu’êtres sensibles – font partie.

Comme la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de l’Union européenne avant elle, la CEDH rappelle donc la primauté de la loi civile sur la loi religieuse. La liberté de religion et le respect des rituels prescrits qu’elle implique ne sont pas absolus ; elle peut être limitée par la loi, tout en vérifiant bien entendu que cette limitation n’est pas disproportionnée par rapport aux droits des croyants.

En l’espèce, la Cour constate que le processus législatif tant au niveau flamand que wallon a bien tenu compte des droits des requérants en prévoyant l’utilisation d’une forme d’étourdissement réversible (l’électronarcose) dans le cadre de laquelle l’animal, s’il n’est pas égorgé entre-temps, reprend conscience après un bref laps de temps et ne ressent aucun effet négatif de l’étourdissement. Une mise en balance a donc bien été opérée entre la liberté de religion d’une part et le respect du bien-être animal d’autre part. Dans ces circonstances, l’interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable est une mesure justifiée par la morale publique et proportionnée par rapport à l’objectif de protection du bien-être animal.

Au surplus, cette décision richement argumentée témoigne du caractère vivant de la Convention européenne des droits de l’homme, qui continue de s’adapter à l’évolution de nos sociétés près de trois quarts de siècle après son adoption.

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