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L’avenir incertain
de l’affiche culturelle

Par Golringue Huchet · Journaliste

Mise en ligne le 17 mai 2024

Elles sont partout. Les marques. De voiture, de parfum, de téléphone. Dans nos villes dominées par les campagnes publicitaires, les affiches culturelles des institutions semblent être en voie de disparition. EDL est allé à la rencontre d’affichistes pour comprendre comment on en était arrivé là.

Photo © Artepub

 

« Il y a de moins en moins d’espace public pour afficher gratuitement », constate Olivier Wiame, l’affichiste légendaire du Théâtre de Poche. « Ce qui est important pour moi, c’est de se réapproprier l’espace public. Pendant très longtemps, c’était un espace d’expression dont l’affiche culturelle faisait partie, on en voyait beaucoup plus dans les rues. » Mais ça, c’était avant. Car depuis, les grandes multinationales publicitaires ont envahi les villes. Chez nous, la tête d’affiche est le groupe JCDecaux. Sur son site, on y découvre un palmarès « impressionnant » de contrats remportés : l’aéroport de Bruxelles, les transports publics bruxellois, le mobilier urbain, les Abribus et les range-vélos. L’exploitant possède pas moins de 300 000 points d’affichage en Belgique. Des contrats juteux passés entre JCDecaux et les communes pour des durées de dix à quinze ans, garantissant une quasi-exclusivité au publicitaire français. « Aujourd’hui, on a plus que des palissades majoritairement en périphérie dans des endroits désaffectés ou des espèces de panneaux communaux de 2 m2, où il y a des annonces de maisons, des publicités pour le transport public ou encore des tracts… C’est un vrai fourre-tout. » Avec juste comme solution des espaces d’affichage libre hyper-restreints, non visibles et – il faut bien l’avouer – plutôt minables, les institutions culturelles souhaitant faire leur promotion par diffusion d’affiches se retrouvent confrontées à la cherté des espaces à louer comparativement à leurs subsides.

Le coût de l’espace public pour afficher

« La communication par diffusion d’affiches est l’un des postes qui coûtent le plus cher dans nos dépenses d’exposition. Ici, on ne parle que de l’acquisition, ou plutôt de la location, de cet espace, et non de la production de l’affiche, ni de son impression, ni du salaire de notre graphiste en interne. C’est un budget, dans notre enveloppe de subsides, qui est très onéreux », affirme Christophe Veys, directeur du Centre de la Gravure et de l’Image imprimée à La Louvière. « Il y a quelques années, on a même hésité à cesser ces campagnes… Mais puisqu’on est un musée qui met en avant ce medium, cela aurait été très étrange, symboliquement, que l’on arrête notre promotion via les affichages. »

L’affiche de l’expo en cours au musée, « Nos géantes », représente un petit enfant observant une immense gravure dans un musée presque vide. « L’affiche a eu un impact assez considérable, on a eu beaucoup de retours positifs et cela nous conforte dans l’idée qu’on a eu raison de continuer nos campagnes d’affichage. » En raison du coût de l’espace à louer et de l’insuffisance de leurs subsides, de nombreuses institutions choisissent – souvent à contrecœur – de cesser les campagnes dans la rue pour ne communiquer qu’à travers les réseaux sociaux, ce qui leur permet d’économiser sur le poste de diffusion d’affichage. « C’est vrai que l’on compte beaucoup sur ces canaux, mais l’on ne doit pas oublier qu’il y a quand même énormément de personnes qui ne sont pas ou plus sur les réseaux. La rue est à la base un espace démocratique par excellence », insiste le directeur. Oliver Wiame confirme ce sentiment : « De plus en plus de gens misent sur les réseaux sociaux en se disant qu’on n’a finalement plus besoin d’affiches culturelles dans la rue et que ça fait des économies sur le budget, mais je suis désolé, on est dans une rupture de cohésion sociale, tout le monde n’est pas sur les réseaux. Et la rue, elle appartient à tous.tes. »

Pour toute promotion d’événements culturels, l’affichage a un coût mesuré. Les Louviérois.es ont pu voir fleurir l’affiche de « Nos géantes » dans les rues de leur ville.

© Musée de la gravure et de l’image imprimée

Un positionnement visuel nécessaire dans la ville

Selon Stefan de Vivies, directeur artistique du studio de création visuelle Hartland Villa, « les affiches culturelles sont là pour se positionner visuellement dans la ville, elles reflètent son activité et son rayonnement. Le but du jeu n’est pas tant de vendre des places en plus, elles sont là pour dire “on est là, on existe, il se passe plein de choses dans notre ville”. En fait, c’est de la promotion sociale et culturelle dans l’attrait que peut avoir un lieu. Les habitant.e.s sont informé.e.s de tous les événements tels que les pièces de théâtre, les expositions, les festivals de films, les spectacles de danse, etc. ».

Dans le cas de l’affiche culturelle, on parle aussi souvent de l’affiche de création, dont le but est d’interpeller, questionner les citoyens dans l’espace public en leur donnant une autre vision de la société. D’après l’affichiste et militante féministe Teresa Sdralevich, « une affiche doit attirer l’attention et faire réfléchir, susciter la surprise ou déclencher une discussion. Elle ne doit pas être immédiate dans sa compréhension, il doit y avoir un twist dans le sens et dans la forme. » Connue notamment pour son affiche intitulée « À travail égal, salaire égal » (que l’on peut redécouvrir en ce moment au Centre de la gravure et de l’image imprimée), représentant une femme à la poitrine tout en avant, elle explique qu’« il faut quelques secondes pour se rendre compte que ses seins sont en fait des euros. C’est ce twist dans la forme qui permet de subvertir le sens des images pour dire autre chose ». Mais Teresa Sdralevich remarque de plus en plus en Belgique « une absence de message fort et d’effet coup de poing dans les affiches ». Olivier Wiame a créé au fil des années des affiches engagées participant à l’identité du Théâtre de Poche, une manière aussi pour lui « d’interpeller les citoyen.ne.s », et de rappeler qu’en Belgique, il y a eu pendant des années de très grands affichistes, comme Jacques Richez ou Roland Topor en particulier. « Cette tradition des affiches de création était porteuse de sens. Elles proposaient des messages subjectifs aux formes puissantes. Mais c’est une tradition qui est en train de disparaître, laissant la place à une promotion de plus en plus anonyme. »

L’affichiste et militante féministeTeresa Sdralevich manie habilement l’art du twist.

© Teresa Sdralevich

L’absence d’une éducation à l’image

Et pourtant, lors de ses cours en tant que professeur ou jury à l’École de recherche graphique comme à La Cambre, Olivier Wiame note qu’il y a beaucoup d’étudiant.e.s proposant de très bonnes affiches de création. Teresa Sdralevich pose le même constat : « J’observe depuis les vingt dernières années une évolution positive du niveau dans les studios de graphisme belges. » Alors où est-ce que ça cloche ? « Il y a malheureusement certain.e.s directrices et directeurs dans nos institutions culturelles qui n’ont pas d’éducation à l’image, contrairement à des pays comme la Suisse, la Pologne et l’Allemagne », explique Olivier Wiame. « On peut débattre dans tous les sens, mais si les commanditaires n’ont pas cette éducation, ils n’auront pas le courage graphique de mettre en avant une affiche de création. Ils voudront vendre à tout prix leurs tickets, et feront le choix de deux photos de comédien.ne.s, avec en grand leur logo et les dates. » Selon Stefan de Vivies, « face aux problèmes structurels financiers, il y a cette idée de faire du chiffre. Donc on voit de plus en plus, à la tête des institutions culturelles d’État, des personnes qui ne viennent plus, comme c’était le cas avant, du milieu culturel mais des gens qui sont là pour gérer. Ce sont des gestionnaires qui, la plupart du temps, n’ont malheureusement pas cette éducation à l’image et ne sont finalement là que pour rendre des comptes ».

Les affiches culturelles – telles que celles du Festival des Libertés que l’on voit fleurir chaque année dans Bruxelles – participent de l’ancrage et de l’émulation artistique d’une ville.

© Artepub

Ainsi, force est de constater que la Belgique semble manquer de volonté dans l’aide à l’affichage gratuit par rapport à ses voisins suisses, allemands et polonais qui, en plus de mettre à disposition des espaces libres, réussissent à conserver une identité graphique forte. Derrière la voix d’Olivier Wiame, il y a celle de ses nombreuses et nombreux collègues : « Le ministère de la Culture devrait mieux subsidier notre promotion et faire un geste en nous offrant des espaces pour nous donner plus de visibilité. » Sans possibilité de faire une promotion culturelle dans l’espace public et en laissant un quasi-monopole à l’affiche publicitaire, quelle image nos politiques renvoient-ils de nos villes ?

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