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Y’a la maison qui brûle

Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction

Mise en ligne le 29 avril 2024

Allez, du vent ! Des locataires comme vous, je m’en passe ! AU SUIVANT ! »

« L’humour est la politesse du désespoir. » Marilou Galichet, facilitatrice du Syndicat des immenses, cite Chris Marker dès l’introduction de cette BD hors norme. Il faut dire que cette phrase colle parfaitement au numéro un franco-belge des détournements. « Le syndicat est tombé sous le charme sarcastique d’Un Faux Graphiste, dès sa première participation aux réunions. Qui de mieux que lui, qui joue si bien avec l’absurdité, pour mettre en lumière les incohérences de notre société face au sans-chez-soirisme ? » Il y a deux ans, le premier strip « militant et rigolo » sur le mal-logement était né.

Mais au fait, qui est le Syndicat des immenses à l’origine de cette publication ? Il s’agit d’une association de fait, d’un groupe de pression et d’action qui milite pour que chacun.e ait un logement décent. Lassés d’être toujours caractérisés par l’absence de quelque chose, dévalorisés et stigmatisés, les Précaires en colère se sont eux-mêmes redéfinis comme des « Individus dans une Merde Matérielle Énorme mais Non Sans Exigences ». Plusieurs manifestations à Bruxelles, depuis 2019, sont à l’origine du Syndicat des immenses, dont très récemment, en mars dernier, le premier Immense Festival. C’est en primeur pendant cet événement que Mal se loger en cinq étapes vient de faire sa sortie.

Experts en matière de galères locatives, les immenses ont fourni à Un Faux Graphiste au fil des ans une collection quasi illimitée d’illustrations du mal logement et de situations kafkaïennes. Elle est là, la matière première du livre. Un Faux Graphiste s’est ensuite amusé à représenter ces situations en détournant de vieilles images existantes. Comique de répétition, sarcasme et cynisme provoquent immanquablement le rire. Comme dans les célèbres Encyclopédies universelles et la série du Docteur G. de Philippe Geluck, on retrouve tout le charme désuet des strips façon roman photo peuplés de phylactères carrément absurdes. Et c’est très logiquement que le livre est paru aux éditions Bandes détournées, maison française spécialisée en BD « détournées à partir de comics américains de qualité supérieure ».

C’est donc sur une expulsion musclée pleine de moustachus à la Magnum que s’entame la quête décalée d’un chez-soi : « Zut, vous voilà expulsé ! Mais pas de panique ! Suivez nos cinq étapes pour vous en sortir. » Mais oui, il n’y a qu’à ! Sauf qu’on se perd évidemment très vite dans les méandres de l’administration quand « il suffit » d’introduire une demande à l’État, qu’on se heurte aux proprios abusifs voire véreux et aux marchands de sommeil dans le marché privé, qu’on est noyé dans les flots des demandes et relégués en 438e place sur liste d’attente quand on se tourne vers les associations surchargées, que sensibiliser l’opinion publique fonctionne tout de suite mieux quand il s’agit de protester contre la construction de logements sociaux dans un quartier huppé. Et qu’il faut se ressaisir, voyons !

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », a dit Jacques Chirac en paraphrasant l’historien de l’environnement Jean-Paul Deléage. Il parlait de la terre, notre maison à tous, mais cela résume fichtrement et tristement bien l’état du droit au logement en Belgique et en France. Lorsqu’il s’agit d’avoir un toit à soi, le combat est bien plus inégalitaire, mais il n’est pas vain : il est immense.

Le Syndicat des immenses et Un Faux Graphiste, Mal se loger en cinq étapes, Gimel-les-Cascades, Bandes détournées, 2024, 74 pages.

L’Immense Festival : en finir avec le sans-chez-soirisme

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