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Mill, aux origines
de la décroissance

Lucie Barridez · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 16 octobre 2023

Le terme « décroissance » sonne encore aujourd’hui comme un mot grossier. Tantôt synonyme de déclin et de régression, il nous renvoie à l’image d’un monde dépourvu de progrès et de richesses, dans lequel l’être humain aurait fait le deuil de sa liberté. Et si, en revanche, le modèle de décroissance nous en garantissait les conditions ? C’est la thèse que défend la philosophe Camille Dejardin dans John Stuart Mill et les conditions de la liberté .

Au croisement de l’essai, de la biographie et du recueil, cet ouvrage prend la forme d’une ode à la pensée de John Stuart Mill, dans laquelle la docteure en science politique et professeure de philosophie à Paris perçoit les prémisses d’une écologie politique. Elle esquisse ainsi le portrait d’un libéral utopiste, néanmoins très critique du capitalisme, de sa poursuite d’une croissance illimitée et de sa logique de concurrence interindividuelle.

Car n’oublions pas que Mill compte parmi les pères fondateurs de l’éthique utilitariste pour laquelle une action est moralement noble moyennant la condition qu’elle augmente durablement le bonheur du plus grand nombre. Or, l’ouvrage dont il est ici question nous démontre que le capitalisme est à l’antipode de cette morale utilitaire. Au travers d’une présentation biographique et d’une série d’extraits choisis par l’autrice, celle-ci nous fait découvrir toute la pensée critique de Mill à l’égard de la société capitaliste. Reposant sur un modèle d’exploitation illimitée des ressources terrestres et humaines dont bénéfices ne servent le bien-être que de quelques heureux privilégiés, elle finira par rendre le monde totalement inhabitable.

Si pour les lecteurs sensibles à l’écologie politique cette critique paraît aujourd’hui évidente, elle a toutefois le mérite de démontrer que décroissance et libéralisme ne sont pas contradictoires. À l’inverse, les antidotes suggérés par John Stuart Mill nous redonnent l’espoir d’atteindre une société plus juste dans laquelle chacun a la possibilité de s’épanouir librement dans un environnement aussi sain que serein. Parmi ceux-ci, on retiendra notamment la défense de l’État économique stationnaire utilisant les progrès techniques pour produire les moyens uniquement suffisants à notre maintien et pour libérer tous les individus de la pénibilité du travail. On rêve également avec Mill d’une éducation au service du progrès moral en éveillant auprès de tout un chacun l’amour des choses immatérielles et du bien commun. Sans plus attendre, nous vous invitons donc à vous plonger dans cet ouvrage original qui s’adresse autant aux irrémédiables sceptiques qu’aux plus fous rêveurs.

Camille Dejardin, John Stuart Mill et les conditions de la liberté, Paris, Le Passager clandestin, 2023, 128 pages.

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