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La réforme sur l’euthanasie :
bonne ou mauvaise nouvelle ?

Jacqueline Herremans · Présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité et administratrice du Centre d’Action Laïque

et Lucie Barridez · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 27 février 2024

Il y a plus de cinq ans, l’affaire Tine Nys mettait en exergue les contradictions du cadre pénal entourant l’euthanasie en Belgique. Face à une situation où des médecins étaient accusés de meurtre pour avoir respecté la volonté d’une patiente dont la souffrance était devenue irrémédiable, les cours et tribunaux ont finalement acquitté chacun des prestataires. Cependant, cette affaire a révélé les lacunes du système unifié de sanctions prévu par la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie, incitant la Cour constitutionnelle à enjoindre le législateur à réagir. Ce 16 janvier 2024, par la voie d’amendement à un projet de loi visant à lever l’anonymat de la déclaration que les médecins doivent adresser à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de la loi relative à l’euthanasie, un régime de sanctions spécifiques a été avancé. Bien que ces mesures représentent une certaine avancée, des questions persistent quant à la dépénalisation de l’euthanasie et à sa reconnaissance en tant que soin.

Photo © Shutterstock 

Imaginez, vous avez remis votre déclaration fiscale en retard et vous voilà sanctionné d’une peine de réclusion à perpétuité. Absurde non ? Voici pourtant ce qui pouvait arriver à un médecin qui n’avait pas remis le document d’enregistrement relatif à une euthanasie dans les quatre jours fixés par la loi. En effet, jusqu’à récemment, les sanctions pénales prévues par celle-ci visaient tout autant le non-respect des critères de procédure que celui des conditions essentielles (demande du patient, caractère grave et incurable de son affection, souffrances inapaisables, etc.). Si jusqu’en 2020, aucun médecin n’avait été traduit en justice pour un cas d’euthanasie, l’affaire Tine Nys a rappelé l’existence bien réelle d’une épée de Damoclès au-dessus de ceux qui permettent à un patient de mourir dignement et selon sa volonté. Trois médecins y avaient été accusés de meurtre par empoisonnement sur la personne de Tine Nys, une patiente qui avait demandé l’euthanasie en raison de souffrances psychiques incurables. C’est la famille qui, endeuillée et profondément en désaccord avec la décision de Tine, a profité de l’absence de sanctions spécifiques de la loi pour accuser les prestataires de soins. Si la bataille fut longue, on peut néanmoins se réjouir que nos juridictions aient tranché en faveur de la raison et du bon sens.

De la criminalisation des médecins à la reconnaissance des principes de la loi

La cour d’assises de Gand a tout d’abord prononcé l’acquittement des trois médecins, dont l’un – celui qui avait pratiqué l’euthanasie – au bénéfice du doute. Les souffrances de Tine Nys lui étaient devenues insupportables et inapaisables, à tel point qu’elle a manifesté ouvertement et à plusieurs reprises sa volonté de recourir à l’euthanasie afin de partir dignement et sans douleur. S’en est suivie l’euthanasie par un médecin choisi par Tine Nys elle-même.

Or, c’était sans compter sur la pugnacité de la famille Nys qui s’est pourvue en cassation à l’égard des trois médecins. Le Parquet n’a pas suivi ce recours. La Cour de cassation a cassé partiellement cet arrêt, au motif que la cour d’assises n’avait pas suffisamment motivé le bénéfice du doute et a donc renvoyé l’affaire devant le tribunal correctionnel de Termonde qui, avant de se prononcer, a posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

Nous connaissons la suite : l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 octobre 2022 qui s’est prononcée sur l’inconstitutionnalité partielle de la loi du 28 mai 2002 en ce que cette loi ne prévoit pas de sanctions spécifiques et ne fait donc aucune différence entre le non-respect des conditions essentielles d’une part et les conditions de procédure et de forme d’autre part.

L’étape suivante devait être la réforme législative. Mais celle-ci a tardé. Il est à souligner que le tribunal correctionnel de Termonde n’a pas attendu cette réforme qui tardait et a mis un point final à la procédure, jugeant que le médecin avait respecté les conditions de fond, sans tenir compte d’éventuels manquements aux conditions de forme et procédure. Il est regrettable que le législateur n’ait pas suivi cette attitude judicieuse du tribunal correctionnel de Termonde.

Un médecin ne devrait jamais à devoir répondre de ses actes devant une cour alors qu’il a respecté tous les droits du patient, en ce compris son droit à mourir dans la dignité.

© Zerbor/Shutterstock

La réponse tant attendue du législateur à l’injonction de la Cour

Depuis la publication de cet arrêt le 20 octobre 2022, tous les acteurs mobilisés pour le droit à mourir dans la dignité étaient tenus en haleine face à la réponse prochaine du législateur. Et très curieusement, c’est à l’occasion d’un projet de loi concernant la digitalisation de la justice (doc.3728) qu’il est question des lois correctrices de la législation relative à l’euthanasie.

Lorsque ce projet de loi a été déposé le 4 décembre 2022 à la Chambre, il n’y avait eu qu’un accord sur la problématique de la levée de l’anonymat. La réforme concernant les sanctions spécifiques a été introduite par la voie de l’amendement, signé par des parlementaires issus de la majorité. Ceux-ci entendent répondre à l’arrêt de la Cour précité en prévoyant un système de sanctions diversifiées qui distingue les conséquences de la violation d’une condition fondamentale prévue par la loi relative à l’euthanasie par rapport à la violation d’une condition « autre » prévue par cette même loi. Le premier constat plutôt réjouissant sur ces amendements est qu’ils lèvent les sanctions pénales à l’égard des médecins consultés pour rendre un avis. Ainsi, si ces modifications avaient été faites avant l’affaire Tine Nys, les médecins consultés n’auraient pas pu être inquiétés.

Mais qu’en aurait-il été du médecin qui a posé l’acte d’euthanasie ? La réponse à cette question se trouve dans la suite des amendements qui, il faut bien l’avouer, sont encore fort timides. Ceux-ci continuent, en effet, de sanctionner pénalement les médecins ayant pratiqué une euthanasie qui n’auraient pas respecté certaines conditions procédurales. À la différence néanmoins qu’ils ne seront plus poursuivis comme auteurs d’un crime mais bien d’un délit pouvant ainsi entraîner une peine allant de huit jours à trois ans d’enfermement et/ou une amende de 26 à 1 000 euros.

Parmi les conditions de procédure faisant toujours l’objet d’une sanction pénale se trouve l’obligation de consulter un médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin qui pratique l’euthanasie. Dans l’affaire Tine Nys, puisque des discussions ont porté sur l’indépendance des deux médecins consultés, le médecin aurait pu se trouver dans l’embarras, même avec les modifications récentes de la loi. Toutefois, il n’aurait pu être poursuivi pénalement pour ne pas avoir remis son document d’enregistrement à la commission de contrôle dans les délais fixés.

Un droit à mourir dignement acquis miette par miette

Si l’on peut évidemment être quelque peu soulagé par l’allégement et la diversification des sanctions à l’égard des médecins qui pratiquent une euthanasie, certaines questions subsistent. Pourquoi un médecin qui ne fait que respecter la volonté et les droits d’un patient risque-t-il toujours la prison ? Pourquoi ne parvient-on pas définitivement à sortir l’euthanasie du champ pénal ? Et au fond, pourquoi l’euthanasie est-elle toujours considérée comme une mise à mort et non comme l’acte de soin ultime ? Cette dernière question est d’autant plus interpellante que les principes de la loi ont bien été validés par deux hautes juridictions : la Cour constitutionnelle et la Cour européenne des droits de l’homme. Dans un arrêt du 4 octobre 2022, cette dernière a statué sur la loi belge en affirmant que ses dispositions constituent un cadre législatif propre à assurer la protection du droit à la vie des patients. Dès lors, il n’y a nulle raison de considérer l’euthanasie comme une activité illégale tolérée sous certaines conditions. Et dans le même ordre d’idées, un médecin ne devrait jamais à devoir répondre de ses actes devant une cour alors qu’il a respecté tous les droits du patient, en ce compris son droit à la vie. Si mourir est la seule certitude que l’être humain puisse avoir et que la dignité est inhérente à toute vie humaine, il incombe de garantir le droit de chacun à mourir dignement. Mais il importe aussi de respecter tous ceux et toutes celles qui rendent cette action possible.

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