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La laïcité écartelée

Lionel Rubin · Délégué « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 15 mai 2023

L’idée de faire dialoguer deux personnes intellectuellement engagées sur les enjeux de la laïcité française est excellente, tant le socle démocratique de nos sociétés bénéficie de cette réflexion constante. Mettre en tension leur point de vue sous forme épistolaire l’est tout autant, tant ce genre littéraire offre les avantages de la concision, du filage de la réflexion et de l’accès à l’intimité des auteurs. Poser le choix que cette disputatio se construise entre deux personnes qui ont un avis radicalement opposé et se réclament respectivement de courants laïques contraires est on ne peut plus enrichissant pour le lecteur.

L’objectif de ces Déchirements de la laïcité est donc – osons le mot – louable, voire nécessaire pour le débat démocratique. Il est même conforme à ce que nous sommes en droit d’attendre en partie de la littérature scientifique dans le domaine des sciences sociales. Et pourtant, on reste sur notre faim. On a même du mal à dire si on a reçu le plat principal.

Certes, Jean Baubérot, sociologue et historien, et Nathalie Heinich, sociologue et directrice de recherche au FNRS, sont aussi passionnants que passionnés. On reconnaît leur expertise ou leur engagement sur la question, et on les sait sincères et authentiques dans leur propos, quelle que soit la manière dont le lecteur se positionne entre eux. Mais ils n’ont, selon nous, pas réussi à élever cette disputatio au rang de dialogue, trébuchant dès les premières pages sur deux écueils.

Le premier est de ne pas s’être réellement accordé avant la rédaction sur leur posture à adopter dans cet échange. Par conséquent, la moitié du propos s’articule autour de questions sur l’objectif ou la pertinence de telle science, de tel point de vue situé. Fallait-il intervenir comme sociologue, comme engagé, comme historien, comme intellectuel… ? On a envie de leur dire que peu nous importe, pourvu que ça n’empiète pas de manière démesurée sur le fond du sujet. Mais c’est raté. On assiste donc davantage au fil des pages à une discussion épistémologique sur la frontière entre sciences sociales et engagement militant.

Le second est liée au fait que, sur le fond, on aurait aimé une confrontation d’arguments qui débouche sur quelques ponts et mains tendues. Bien évidemment que leur désaccord est si profond qu’ils n’auraient pas réussi à redéfinir une nouvelle laïcité. Mais ici, on chagrine à l’idée que l’une et l’autre ont consacré bien trop d’énergie à contre-argumenter, oubliant de transformer cette disputatio en dialogue. « La laïcité suscite d’intenses controverses », mais n’oublions pas qu’elle a comme premier objectif de rassembler, au-delà des différences.

Jean Baubérot et Nathalie Heinich, Les déchirements de la laïcité, Paris, Mialet-Barrault, 2023, 176 pages.

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