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Exercice d’autodéfense intellectuelle

Anne Cugnon · Documentaliste au CAL/COM

Mise en ligne le 12 septembre 2022

L’intention énoncée en avant-propos de l’ouvrage Les mots qui fâchent est prometteuse. Il s’agit de « mettre un coup d’arrêt à la dégradation des échanges intellectuels et aux controverses toxiques pour la démocratie » touchant le monde de la recherche universitaire en France. En somme, faire triompher la raison sur l’émotion, l’argumentation sur une « panique morale » qu’identifient les contributeurs.

Échaudés par le procès en « islamo-gauchisme » qui leur a récemment été intenté, ceux-ci se proposent de combattre ce « nouveau maccarthysme intellectuel » par le déminage d’une série de concepts qui électrisent le débat public en France. Composé sous la direction du sociologue Alain Policar et des politologues Nonna Mayer et Philippe Corcuff, l’essai se présente sous la forme d’un lexique déployant un éventail de termes : d’« antisémitisme » à « wokisme » en passant par « laïcité » et bien d’autres.

Plusieurs de ces notices ne manquent pas d’inciter à la réflexion. Citons en particulier la contribution du sociologue Memphis Krickeberg sur l’antisémitisme et son « impensé à gauche », celle de Nonna Mayer consacrée au « racisme anti-blancs » ou encore celle de l’anthropologue Monique Jeudy-Ballini au sujet de l’appropriation culturelle où sont notamment pointées les impasses auxquelles cette accusation peut conduire : « En attaquant et censurant ceux dont les comportements ou réalisations renvoient à ce qui leur est étranger, la notion d’appropriation met en cause la possibilité de toute traduction, la liberté d’expression et le sens polyphonique de la création. »

Dans sa contribution sur la laïcité, Valentine Zuber attire quant à elle l’attention sur les dangers que constitue son instrumentalisation par la droite et l’extrême droite françaises. « La laïcité française d’essence traditionnellement libérale et démocratique semble devoir se muer en philosophie de plus en plus illibérale revendiquée par des groupes de pression actifs et endossée par les autorités du pays » écrit-elle, parlant à ce sujet de « néolaïcité ». Un néologisme qui pose question.

Certaines contributions, plus proches de la tribune d’opinion ou du libelle que de l’analyse scientifique attendue, ne sont malheureusement pas exemptes des reproches énoncés en introduction vis-à-vis de leurs contempteurs. Le règlement de compte semble pointer ici où là, desservant quelque peu l’objectif de rigueur critique annoncé. Finalement, la censure sera toujours celle des autres.

Alain Policar, Nonna Mayer et Philippe Corcuff (dir.), Les mots qui fâchent. Contre le maccarthysme intellectuel, Paris, Éditions de l’Aube, 192 pages.

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