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Étourdissante Histoire

Lionel Rubin · Délégué « Étude & Stratégie au CAL/COM

Mise en ligne le 9 mai 2022

Avant d’entamer Le Grand Récit, il faut savoir que la plongée sera vertigineuse. Le lecteur entamera un long voyage à travers les âges. Objectif : comprendre comment l’homme occidental donne un sens à son évolution depuis 2000 ans, et quelles sont les stratégies mises en place pour combler les vides et les pertes de sens, notamment au regard des grands épisodes chaotiques du XXe siècle occidental.

Johann Chapoutot est professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne. Spécialiste de l’Allemagne et de la modernité occidentale, il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont Le meurtre de Weimar, La révolution culturelle nazie et Libres d’obéir (Gallimard, 2020). Avec son Grand Récit, il nous revient pour « introduire à l’histoire de notre temps ».

Le point de départ ? L’homme occidental a longtemps disposé de grands récits structurants, en particulier le christianisme, qui lui assuraient une place dans le monde. Mais les deux guerres mondiales ont anéanti toute idée d’un Dieu « seigneur et maître de l’Histoire » dont les voies seraient « si impénétrables qu’elles passeraient par la Shoah et Hiroshima ». La perte de sens ou l’absence de présence qui a suivi a chaque fois été comblée, par peur du vide. C’est notamment le cas des « religions politiques », comme le nazisme et le communisme. Ces dernières ont remplacé les religions révélées, avant de s’effondrer à leur tour. Nouveau vide, nouvel espace pour d’autres récits. Et c’est le récit néolibéral qui a pris le relais et qui s’est heurté à la crise financière de 2008. De nouveaux récits ont alors émergé. Le complotisme 2.0 en fait partie et offre à certains le déchiffrement d’un monde trop complexe.

S’appuyant sur de nombreux penseurs et philosophes, exemplifiant ça et là par de petites histoires tirées de la grande Histoire, Johann Chapoutot illustre son propos tant à travers des épisodes récents comme l’invasion du Capitole qu’à travers d’autres, plus anciens, comme les Serments de Strasbourg. Et à vrai dire, cet usage excessif et éparpillé de l’illustration par l’exemple complexifie la lecture du livre et le déroulement général du propos.

Malgré cette densité, la plongée reste étourdissante et semble installer le lecteur au bord d’une falaise lorsque celui-ci comprend que les récits qui donnent sens à son devenir depuis plus de 2000 ans sont voués à s’effriter les uns après les autres. Mais alors que nous reste-t-il ? Rassurons-nous, il n’y a pas de fatalité aux crises religieuses et spirituelles. Pour comprendre notre temps, il faut changer de paradigme et habiter le monde plutôt que d’en faire le récit. C’est d’ailleurs ce que propose l’auteur : cultiver notre « être littéraire » à travers les récits et savoirs issus des Lettres. Car ils sont les seuls à nous permettre de vivre en penseurs et en poètes, pour éviter de détruire le monde, et nous avec.

Johann Chapoutot, Le Grand Récit. Introduction à l’histoire de notre temps, Paris, PUF, 2021, 384 pages.

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