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Et si l’extrême droite s’imposait à l’Europe ?

Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef

Mise en ligne le 20 mars 2024

Le 9 juin prochain, les Belges et les autres citoyens des 27 voteront aussi aux élections européennes. Doit-on craindre que ce scrutin cristallise davantage que d’autres les votes extrémistes ou populistes ? Quels sont les groupes européens qui pourraient s’allier et sur quels programmes ? Doit-on redouter une droitisation du Parlement européen et avec quelles conséquences ? Interview de Nathalie Brack, professeure de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste des questions européennes.

Photo © Alexandre Rotenberg/Shutterstock

On observe une montée de l’extrême droite un peu partout dans le monde et en Europe également. Craignez-vous que ce groupe politique occupe une place prépondérante aux élections européennes ?

Si on en croit les sondages, c’est attendu qu’ils consolident mais aussi qu’ils augmentent leur nombre de sièges. Selon certaines enquêtes d’opinion, le groupe des conservateurs et des réformistes, où il y a quand même pas mal de partis de droite radicale et populiste, pourrait devenir le troisième groupe au Parlement européen. Dans d’autres sondages, c’est Identité et démocratie, qui est vraiment un groupe de droite radicale pur sang, qui arrive en troisième position. Et si on prend les deux ensemble, cela crée une force non négligeable. Ils ne parviennent pas au stade du PPE (Parti populaire européen, NDLR) ni des socialistes, mais ils pourraient dépasser les Verts ou les libéraux.

Est-ce une force avec laquelle il faudra compter ?

Ça dépend de leur stratégie. D’un côté, il y avait des craintes d’un virage à droite du PPE. Si la droite traditionnelle tend la main à la droite radicale, ça lui donne un poids beaucoup plus significatif. Mais la recherche que nous avons menée montre que cette convergence n’a pas eu lieu jusqu’à présent. En revanche, il y a une convergence entre l’ECR (groupe des Conservateurs et réformistes européens), la droite radicale, avec le PIS polonais, Fratelli d’Italia, Vox, etc. Ces partis-là se rejoignent sur une série de thématiques, mais je ne les vois pas former un seul groupe, simplement parce qu’il y a beaucoup de divergences entre eux : sur le statut de gouvernement, sur les radicalités mais aussi quant aux relations, avec la Russie, ou sur les questions de valeurs. Là où il convient de faire attention, c’est sur les politiques économiques où la droite a tendance à vouloir chercher des coalitions alternatives et notamment à sa droite, même s’il y a des mécanismes mis en place pour éviter ces coalitions de droite. Mais on a vu, par exemple sur l’usage des pesticides en politique environnementale, qu’il ne faut jamais dire jamais et qu’un texte peut capoter avec une majorité à droite qui bénéficie du soutien de la droite radicale, contre une majorité de progressifs.

Mais aujourd’hui, il y a déjà une droitisation du PPE ?

Oui, mais c’est surtout dans les propos, donc dans la presse. Ils veulent surfer sur la vague de succès des partis de droite radicale et récupérer des électeurs. Dans le discours, il y a donc cette droitisation, cette radicalisation. Dans les actes, du point de vue national, il y a même des partis directement dans les parlements ou en soutien aux gouvernements, et ainsi, on les normalise complètement avec ce type de posture. Mais on ne voit pas pour l’instant cette droitisation sur tout ce qui est éthique, valeurs, migration. Là, il y a encore un blocage.

N’y a-t-il pas quand même un durcissement ?

Il y a un durcissement. Dans le domaine institutionnel, ils ont mis en place des mécanismes permettant de traiter cinq textes en parallèle et de les lier ensemble pour que le PPE reste dans la majorité, avec les Verts, avec les libéraux, avec les socialistes, et éviter qu’ils aillent chercher à leur droite. Je pense qu’au sein de l’institution, ils se rendent compte du risque de rapprochement sur des sujets comme la migration qui figure en haut de l’agenda et sur laquelle la droite radicale surfe. Cette radicalisation comporte des nuances, avec des variations nationales assez fortes. Les Républicains en France sont par exemple beaucoup plus droitisés que le CD&V belge sur ces questions-là. Le Parlement européen reste encore un peu isolé par rapport à ce qui se passe dans certains États membres où il y a une normalisation complète des discours.

En revanche, si le PPE et le bloc de l’ultra-droite venaient à gagner davantage de sièges, dans ce cas, on pourrait imaginer des conséquences différentes ?

C’est ça. S’ils augmentent significativement leur nombre de sièges, je pense que le PPE ne pourra pas trop collaborer avec eux sur les questions d’intégration. Ils sont trop fédéralistes. Mais sur les sujets qui les intéressent, tels que la migration, l’environnement et l’économie, s’ils n’ont pas suffisamment de sièges, là, je pense que la tentation sera plus grande. Et je dirais que ça dépend aussi de la composition des groupes. Dans le PPE, il y a des partis qui ont plus de facilité à collaborer avec la droite radicale que d’autres. Et de la même façon, au sein d’ECR, par exemple, on voit qu’il y a des partis qui sont plus favorables à un rapprochement avec le PPE que d’autres comme Vox ou les Démocrates de Suède qui sont plus radicaux, notamment parce qu’ils sont plus jeunes et qu’ils se profilent, au niveau national, de manière vraiment radicale. Ils ne veulent donc pas être associés à leurs compétiteurs à l’échelle du pays, en collaborant au Parlement européen avec eux. Et dès lors, ces partis-là, qui sont plus radicaux, bloquent aussi un peu ce rapprochement.

Les groupes de droite radicale et extrémistes risquent d’augmenter fortement leur représentativité à l’Europe en juin prochain.

© Fabrizio Maffei/Shutterstock

Si nous restons sur le sujet de la migration, malgré tout, ne risque-t-on pas d’aller vers cette Europe forteresse qui est souvent décriée ?

Je ne pense pas. Il y a une différence à faire entre les groupes et le Parlement européen, qui demeure fondamentalement plus progressif sur le dossier de l’immigration et qui va critiquer les chefs d’État et gouvernements, voire la Commission, sur l’approche d’une Europe forteresse. Au sein du Conseil européen, on voit en revanche clairement la pression de la droite radicale sur cette thématique via leurs prises de position. Et beaucoup d’États essaient de faire en sorte que la solution vienne du niveau européen sous couvert de décision collective, puisque sur le plan national, c’est une patate chaude. L’impulsion et la pression de la droite radicale se font sentir à l’échelle du pays, et donc ça rejaillit sur le Conseil européen plutôt que, pour l’instant, sur le Parlement européen.

Doit-on craindre une droitisation via une influence indirecte des politiques européennes ?

Certains travaux montrent que cet impact est déjà là. Par exemple, sur les questions d’élargissement, le discours a changé, notamment sur la thématique du respect des langues et des valeurs. Concernant l’État de droit, la droite radicale a une vision très particulière de ce qu’est la démocratie ou l’égalité de genre. Elle va par exemple parler d’« idéologie du genre » plutôt que d’« égalité femmes-hommes », et elle va prendre des mesures contre certaines communautés de genre ou minorités ethniques… Pour l’instant, on mène un processus d’analyse des données. Il y a des délégations, au sein du PPE, qui ne sont pas loin dans leur discours, mais elles sont encore assez minoritaires. Et on voit que dans ce parti, depuis le départ d’Orbán, il y a quand même un revirement vers une posture plus traditionnelle de la droite, non radicale, en faveur d’une défense de l’État de droit, de la démocratie, de l’égalité de genre, de la presse, etc.

Le PPE contient aussi une frange chrétienne qui est peut-être plus conservatrice que la gauche sur les questions éthiques. En revanche, au niveau national, le danger est là : l’Union européenne a vraiment du mal à réagir face à ce qui se passe en Pologne ou en Hongrie, par exemple avec le chantage financier que cette dernière a imposé en réponse à la demande d’adhésion de l’Ukraine. Les outils de contrôle existent, mais il y a un manque d’effectivité. Il y a eu tout un débat sur l’article 7, considéré comme l’arme nucléaire de rétorsion, raison pour laquelle ce n’était pas activé contre la Pologne ni la Hongrie, parce que c’était trop fort. Et il existe ce mécanisme de conditionnalité financière… Mais je ne suis pas persuadée que ça ait résolu le problème de l’inefficacité de l’action de l’Union européenne en matière d’État de droit et de démocratie illibérale, y compris sur les questions de normes et de valeurs à respecter quand on est membre de l’UE.

À côté de l’extrême droite, les partis qualifiés de « populistes » ont également le vent en poupe. Quelles sont les différences et les convergences entre ces deux courants politiques ?

Le populisme, c’est une idéologie fine ou un style de communication. On peut avoir un populisme de gauche ou de droite et ça ne doit pas être forcément radical. Un mouvement d’idéologie populiste n’est pas nécessairement de droite radicale, mais souvent, il oppose un peuple considéré comme homogène et vertueux à un ministre qui est fondamentalement mauvais, corrompu et qui sert ses propres intérêts. Et donc tous les discours anti-démocratie sont par définition populistes, mais peuvent être de gauche comme de droite. Alors que les acteurs radicaux se situent aux extrêmes du spectre partisan. Il y a néanmoins une très forte affinité entre les partis radicaux et les partis populistes, qui se présentent comme les seuls défenseurs du peuple, de la nation. Et dans les vagues actuelles, le populisme devient quasi une caractéristique de ces partis.

Et sur les valeurs, y a-t-il des rapprochements ?

Le populisme, en soi, ne se penche pas vraiment sur des questions de valeur. Il a un problème avec la démocratie libérale dans le sens où il est contre la médiation. Les populistes vont se prétendre les représentants du peuple contre l’élite. Il s’agit plutôt d’une vision de fonctionnement de la politique que d’une vision de la société dans son ensemble, y compris sur des questions de valeur, d’éthique. Ça, c’est l’idéologie de base du parti qui la détermine.

Si ces deux types de courant prenaient davantage de place au niveau européen, cela pourrait-il influer sur la construction européenne ?

On a eu des partis eurosceptiques, donc contre l’Union européenne et l’intégration, depuis la première élection directe du Parlement européen, et leur nombre croît lentement. Il s’agissait d’abord d’une minorité, puis vers les années 1990, cela atteignait 20 % de l’assemblée. Et maintenant, on est plutôt dans les 30 %, droite, gauche et extrêmes confondus. Cela pourrait atteindre 35 % après les élections de l’année prochaine, mais le fait est qu’ils sont divisés en trois groupes différents, et que la gauche et la droite radicales ne coopèrent pas vraiment, parce que sur une série de questions, ils sont vraiment à l’opposé. Mais ils se rejoignent dans leur euroscepticisme, dans leur rejet de l’intégration des institutions européennes. Même si là encore, il y a des différences : la gauche radicale va critiquer la dimension néolibérale de l’Europe, ce que la droite radicale va faire également, mais la première va défendre les travailleurs indépendamment de leur couleur de peau. D’autre part, ils vont accepter, dans la plupart des cas, que l’on respecte la démocratie telle qu’elle existe. Et c’est ça qui explique aussi qu’il n’y ait pas de cordon sanitaire au Parlement européen contre la gauche radicale, parce qu’on estime qu’elle respecte les principes démocratiques.

Mais il y en a un contre la droite radicale, en revanche.

La droite radicale est derrière le cordon sanitaire, mais uniquement pour le groupe Indépendance et démocratie. Les autres ont le droit d’avoir des rapports, des postes à responsabilité au sein du Parlement européen. Ces groupes se rejoignent dans leurs critiques de l’Europe, dans le sens où ils sont plutôt nationalistes, pour une Europe plus intergouvernementale qui, selon certains, doit simplement être utilitariste. L’environnement, on reconnaît que c’est transnational, donc là, l’Union européenne pourrait intervenir, alors que la migration devrait être traitée au niveau national. Ainsi, la plupart sont plutôt favorables à des nations assez fortes dans l’Union européenne et à un Conseil qui prédomine. Certains estiment même que le Parlement européen ne devrait pas exister, que seul le Conseil devrait décider à l’unanimité, avec un droit de veto de chaque pays. Mais jusqu’à présent, ils n’ont pas eu un impact fondamental, ni sur l’intégration ni sur les politiques. La gauche radicale participe d’ailleurs pas mal à la prise de décisions ; elle se montre assez constructive, tente d’améliorer les textes. De ce fait, elle parvient à avoir une certaine répercussion sur des questions socio-économiques ou sur des thématiques dans lesquelles elle s’implique, y compris l’environnement. Mais elle ne va généralement pas soutenir l’élection de la présidente de la Commission européenne, jugée néolibérale, rejoignant sur ce point la droite radicale sur l’idée d’une élite corrompue qui ne pense qu’à elle-même. Cela dit, la droite radicale est progressivement en train de changer au Parlement européen. Elle se professionnalise dans le profil de ses assistants, dans les stratégies mises en place pour proposer des amendements, alors qu’il y a dix ans ce n’était quasi pas le cas.

Quel est l’état des lieux de l’euroscepticisme au sein de la population européenne ?

Ça va forcément varier si on compare la Pologne, la France et la Belgique. Globalement, à la suite de la pandémie, il y a eu un regain de positivité. L’Union européenne, depuis 2008-2009, est devenue de plus en plus visible pour les citoyens. Donc il y a de moins en moins de désintérêt. Mais ça entraîne une polarisation quand même assez forte et une division de l’opinion. De nouveau, ça recouvre des réalités différentes, selon les convictions politiques ou selon une posture plus pragmatique, liée à ce que l’Europe fait pour moi ou non. Lors de la crise financière, on avait noté un euroscepticisme très fort, partout. Alors qu’après la pandémie, l’Union européenne est parvenue à ressusciter une vision positive au sein des citoyens.

La crise sanitaire a eu un effet positif sur l’image de l’Europe.

© Yavdat/Shutterstock

Quand l’Europe propose un projet collectif, c’est là qu’elle gagne des points auprès des citoyens ?

Sans un projet politique pour l’Europe, ça ne sert à rien de mobiliser l’opinion publique sur les questions de réformes institutionnelles. Ce n’est pas sexy, ce n’est pas porteur, ce n’est pas vendeur, et on va laisser le champ libre à des forces radicales qui dénigrent l’Europe et qui expliquent que les élites sont loin du citoyen. On constate en effet que quand il y a des projets concrets comme les vaccins lors de la pandémie, là, ça parle aux citoyens. Mais ça pourrait aussi être un projet politique porteur, et qui manque à l’heure actuelle, pour contrer les discours populistes systématiquement négatifs. L’Europe doit pouvoir répondre à ces questions : « Qu’est-ce qu’on vous apporte ? Qu’est-ce que ça signifie d’être européen aujourd’hui ? Que fait concrètement l’Europe, également sur le plan des valeurs et des normes, pour vous ? »

On sait aussi que l’envolée de l’extrême droite dans différents pays est fortement liée aux théories complotistes, mais également aux réseaux sociaux manipulés depuis un État ou par des groupes qui ont avantage à cliver nos sociétés. Observe-t-on le même phénomène au niveau de l’Europe ?

Oui, malheureusement, on n’y échappe pas. Il y a une très forte affinité entre le discours populiste et les théories du complot. Ils se recoupent au moins sur ce point : « Les élites sont en train de faire des choses derrière votre dos, à votre désavantage. » Et surtout, les partis de la droite radicale, un peu partout en Europe, sont très doués pour mobiliser sur les réseaux sociaux et sont plus créatifs que les autres, avec des visuels, des textes courts qui simplifient les choses : c’est noir ou c’est blanc. Avoir un discours nuancé sur les réseaux sociaux, c’est compliqué, ce qui rend les messages plus complexes pour un parti mainstream. Et en plus, la droite radicale investit énormément de ressources financières sur les réseaux pour toucher les jeunes, toucher un certain type de public, et cela joue sûrement en sa faveur. Autre élément important : l’impression d’une certaine frange de la population de perdre son statut dans la société. La droite radicale joue vraiment sur cette anxiété de statut… en trouvant un bouc émissaire. Cela peut être l’Europe, les immigrés

Il y a un désenchantement ?

On entend parfois que les gens virent autoritaires, mais c’est plutôt en effet un désenchantement quant au fonctionnement démocratique. C’est vraiment une remise en cause de ce que la démocratie peut m’apporter face à des principes associés à de la lenteur et à une complexité qui désenchante, désillusionne les gens, davantage que le principe même de vivre en démocratie.

Certains pays de l’Union européenne ont terriblement souffert de l’extrême droite dans le passé – je songe à l’Espagne et au Portugal –, et pourtant, ce type de partis y gagne à nouveau des voix. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?

Honnêtement, aucun pays n’est immunisé contre ces partis. Ça va vraiment dépendre de la concordance entre l’offre et la demande. Par exemple, en Wallonie, il n’y a pas de partis d’extrême droite, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de demande ni que l’attrait n’est pas là. De récents sondages montrent qu’il n’y a aucune différence d’attitude envers l’immigration entre la Flandre et la Wallonie. Simplement, il y a des mécanismes institutionnels et médiatiques qui impliquent que l’offre ne peut pas s’instaurer. En Allemagne, où là aussi il y a un passif fort, on observe une poussée de l’extrême droite, simplement parce qu’il y a une demande et une concordance. Et donc un parti avec un leader charismatique qui parvient à percer. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on peut contourner les médias traditionnels et atteindre les gens. Le cordon médiatique ne fonctionne plus tellement.

Quand on voit la Hongrie avec Orbán, l’Italie avec Meloni, des pays aux leaders autoritaires qui demeurent dans le giron européen, doit-on craindre que l’Europe soit rattrapée par ses vieux démons ou qu’une certaine culture de l’extrême droite soit en train de s’immiscer un peu partout, sans véritable moyen de contrer ce phénomène ?

Oui, je pense que c’est ça : il y a une normalisation de la droite radicale et de ses idées. Ces leaders ne sont pas forcément au pouvoir, mais ils parviennent quand même à influencer l’agenda politique. Ils ont réussi, depuis la Seconde Guerre mondiale, soit à accéder aux portes du pouvoir, soit à être au pouvoir. Orbán a eu recours à une série de réformes institutionnelles et constitutionnelles pour continuer de régner. Je ne suis pas sûre que l’on puisse affirmer que la majorité de la population est satisfaite et revoterait pour lui. Mais ça montre, en effet, l’impuissance de l’Union européenne quand il y a des dérives comme celle-là. Ces dirigeants ont une vision relativement utilitariste de l’Europe. Ils la critiquent, tout en lui demandant de l’argent ou des solutions pour la question de la migration. Ils parviennent ainsi à avoir un double discours qui est d’autant plus dangereux qu’ils se présentent comme les défenseurs de la vraie Europe, des vraies valeurs. Et je trouve ça beaucoup plus dangereux que lorsqu’ils affirmaient vouloir sortir de l’Union européenne. C’est un peu surréaliste et cela devient quelque chose de presque normal.

Au-delà des résultats des prochaines élections européennes, la montée de la droite radicale au sein des gouvernements nationaux pourrait exercer une influence néfaste sur le Conseil de l’Europe et sur la Commission européenne.

© Alexandros Michailidis/Shutterstock

Avez-vous peur des prochaines élections ?

Je suis assez résignée. En soi, je ne pense pas que les élections européennes vont fondamentalement changer la donne. Je suis persuadée qu’au niveau du Parlement européen la coalition va se maintenir pour une cohésion politique. Avec des exceptions et des thématiques qui seront discutées au sein de sous-coalitions plutôt à gauche ou plutôt à droite, mais en persistant dans le business as usual. En revanche, ce qui m’inquiète plus, c’est ce qui se passe à l’échelle nationale, parce qu’une coalition incluant la droite radicale a un impact direct sur le Conseil européen, et potentiellement, sur la Commission, puisque ce sont les États qui nomment les commissaires. Et c’est de là que l’impulsion des textes provient. Il y a bien entendu des garde-fous : on peut notamment veiller à ce que quelqu’un de radical ne soit pas approuvé par le Parlement ou ne reçoive pas un portefeuille. Les candidats commissaires doivent passer les auditions au Parlement européen où ils sont questionnés sur le respect des valeurs et normes européennes, sur leur vision de l’intégration européenne, etc. Mais si le nombre d’États incluant la droite radicale dans leurs gouvernements augmente, cela accroît quand même significativement le danger. En fin de compte, cela dépendra des commissaires envoyés à Bruxelles et du nombre de pays qui pourraient bloquer les décisions au Conseil en refusant d’avancer sur certaines thématiques.

  1. Hamit Bozarslan, L’anti-démocratie au XXIe siècle, Paris, CNRS , , 288 p.

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