La dialectique
du démocrate et de l'esclave

Avec Du contrat social¹, Jean-Jacques Rousseau a fondé la légitimité du pouvoir sur la volonté générale du peuple. On le considère comme un des pères de la Révolution française et de la démocratie. Il interpelle cependant le débat actuel en ce qu’il opposait la souveraineté du peuple à l’idée de représentation : « À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus. » Ce sont les cités grecques qui l’inspiraient : « Tout ce que le peuple avait à faire, il le faisait par lui-même : il était sans cesse assemblé sur la place. Il habitait un climat doux ; il n’était point avide ; des esclaves faisaient ses travaux ; sa grande affaire était sa liberté. » Nous avons perdu ces conditions, devons travailler et nous préoccupons davantage de nos affaires et de notre confort que de notre liberté et de démocratie.

Condamnant l’esclavage et constatant que la liberté du peuple en dépendait, Rousseau résolvait cette aporie propre à la vie en société en restreignant son contrat à des cités très petites. La mondialisation et la division du travail étant ce qu’elles sont devenues, irréversibles, nous voudrions proposer une autre issue qui n’aurait certes pas plu au précepteur d’Émile, contempteur précoce du progrès et admirateur de l’autarcie artisanale. La technologie et l’automation, si elles n’étaient pas mises au service du profit et de l’aliénation, pourraient remplacer les esclaves et libérer pour toutes et tous le temps d’une réinvention et d’une réappropriation de la démocratie.

Pour sortir de sa crise de légitimité autant que d’efficacité, la démocratie en a clairement besoin. Nombreuses sont les propositions appelant à un approfondissement ou à de nouvelles formes démocratiques. Toutes requièrent une disponibilité temporelle et d’esprit, autrement dit la garantie de n’être pas tracassé par les questions de subsistance. Cela est possible si nous redéfinissons et répartissons autrement le travail nécessaire à la satisfaction des besoins de toutes et tous, si nous cessons de « donner plus à [notre] gain qu’à [notre] liberté ». Outre l’enjeu démocratique, cette perspective répond à des nécessités sociales et écologiques.