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Ode à la liberté d’enseigner

Cinq questions à Jawad Rhalib

Propos recueillis par Vinciane Colson · Journaliste « Libres, ensemble »

Avec la rédaction

Mise en ligne le 4 mars 2024

Dans Au temps où les Arabes dansaient, le réalisateur Jawad Rhalib avait abordé la question de l’intégrisme islamique par le prisme du documentaire. Avec Amal, il revient sur le sujet, par la voie de la fiction cette fois, avec l’histoire d’enseignante dans une école bruxelloise qui tente de résister aux pressions d’un professeur de religion islamique entraînant ses élèves sur la mauvaise pente. Comment lutter contre l’intégrisme religieux à l’école ? Pourquoi et comment encourager le débat avec les élèves ? Autant de questions cruciales soulevées dans un film qui a remporté le prix de la meilleure fiction au Ramdam, le festival du film qui dérange. Et qui n’a pas fini de faire parler de lui.

 

 

« C’est à cause de connards comme lui que l’on doit s’excuser tous les jours d’être musulman ! » C’est ce que crie avec pugnacité la comédienne Lubna Azabal qui incarne magistralement le rôle d’Amal. Est-ce que cette phrase est aussi le cri de colère d’un réalisateur d’origine musulmane contre une partie radicalisée de sa communauté  ?

C’est plus qu’un cri de colère, c’est plutôt un signal d’alarme. Malheureusement, ils sont nombreux à détourner le regard de ce qui se passe. J’appelle cela de la non-assistance à enfant en danger, parce que ce sont les enfants qui sont les premières victimes de ce genre de personnages. Les islamistes opèrent dans de petites mosquées de quartier, ici dans un cybercafé, et parfois dans des écoles. Et c’est cela le plus grave.

Drame de Jawad Rhalib · BE · 2023 · 100’

Dans les salles belges depuis le 7 février 2024

Sortie en France le 17 avril 2024

Ce n’est pas la communauté musulmane dans son ensemble que vous critiquez, mais un mouvement sectaire qui tire ses racines de l’islam ?

Il faut toujours le rappeler, c’est une minorité qui se fait voir, qui se faire entendre, qui menace, qui harcèle, qui tue, face à une majorité silencieuse. Cette minorité va chercher des réinterprétations du Coran pour distiller la haine et la peur, en faisant appel aux interdits, à ce qui est haram. Tout est illicite chez eux : la musique, la danse, la liberté d’être qui l’on est, la liberté de s’habiller comme on veut, etc. C’est cette minorité qui fait énormément de dégâts et qu’il faut absolument dénoncer. Chacun est libre, mais j’aimerais que la majorité silencieuse se lève et n’attende pas qu’il y ait des attentats pour le faire.

Amal, enseignante dans une école bruxelloise, encourage ses élèves à cultiver l’amour de la lecture et à défendre la liberté d’expression, quitte à se mettre en danger.

© DR

Lubna Azabal a dit : « En parler, c’est important. Se taire, c’est accepter. » C’est aussi votre avis ?

Si on ne dénonce pas, on devient complice. Qu’il s’agisse de Lubna, de moi ou des nombreuses personnes qui ont travaillé sur le film, nous avons une légitimité à nous exprimer. On ne va pas nous taxer d’islamophobie ou de racisme. On maîtrise le sujet, on a grandi dans la culture musulmane. J’ai grandi au Maroc dans une famille pratiquante, mais qui m’a appris l’ouverture d’esprit, l’acceptation de l’autre et des différences. Je me mêle de ce qui me regarde, et il me semble nécessaire d’en parler, même si c’est très compliqué. Je ne voulais pas laisser à d’autres la place et la possibilité de détourner le discours et le propos. J’en parle avec les nuances nécessaires. Dans le film, il y a des musulmans ouverts, qui acceptent l’autre. Amal en fait partie.

La liberté d’enseignement est au cœur de votre film. Pour vous, l’école doit rester une espèce de forteresse, un lieu où on doit pouvoir parler de tout ?

Les professeurs que j’ai eus ont joué un rôle déterminant dans mon parcours. Ils ont aujourd’hui perdu le respect d’une partie des élèves. Jamais je n’aurais osé contester ce que mes profs disaient. On a laissé faire, on a laissé s’installer une sorte de foutoir. L’école doit rester une forteresse imprenable, on ne doit pas y rentrer sans y être invité, et on doit pouvoir parler de tout. L’école n’a pas vocation à confirmer les convictions des uns et des autres. L’enseignement doit servir à donner une chance à tout le monde.

Quand on donne aux jeunes des clés de compréhension, l’esprit critique se développe et la pensée évolue. La cause n’est pas perdue ?

Je l’ai déjà vécu avec Au temps où les Arabes dansaient qui a donné lieu à de très nombreuses rencontres dans les salles de cinéma avec des élèves des écoles du nord de Bruxelles. Ils partaient de l’idée que la musique et la danse sont illicites. Grâce au débat, à l’échange, au rappel des faits historiques, on les a emmenés sur leur propre terrain pour leur démontrer que danser n’est pas interdit. Je ne voulais pas laisser la possibilité ni à l’extrême droite ni aux extrémistes religieux d’occuper le terrain. Les jeunes de culture musulmane qui vivent à Bruxelles ne savent le plus souvent pas lire l’arabe et n’ont pas la chance de pouvoir lire, comprendre et mettre dans leurs contextes les phrases du Coran. Pour les islamistes, il n’y a que la religion qui compte. Le film rappelle la coexistence de din et de dounia, la vie et la religion. Il semble utile de rappeler que boire un verre de vin n’est pas interdit dans l’islam et que la religion est une affaire privée.

Amal, un film-choc sur la liberté d’enseigner

Libres, ensemble · 3 mars 2024

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