Libres ensemble
L’école gratuite :
vraiment ?
Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef
Mise en ligne le 31 août 2023
Après l’ÉVRAS, autre nouveauté de cette rentrée : la gratuité des fournitures scolaires en première et deuxième primaire. Même si l’école est officiellement gratuite en Belgique, scolariser son enfant comporte des coûts liés à l’équipement et aux fournitures scolaires, aux transports et activités extrascolaires, entre autres. La question de la gratuité scolaire constitue donc un gros enjeu pour les parents, particulièrement les plus précarisés, mais y consacrer un budget public est une question éminemment politique.
Photo © Benjamin Brolet
Épisode 4 : Gratuité scolaire
Concernant la gratuité scolaire, ici c’est aussi une nouveauté de cette rentrée 2023-24 : les fournitures scolaires de base seront désormais gratuites en première et en deuxième primaire. Cela sera-t-il également le cas, au fur et à mesure, pour les autres années ?
Ce n’est malheureusement pas aussi automatique que cela parce que si la gratuité a été définie comme un enjeu dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, et très certainement pour ma formation politique, c’est une priorité, ce point n’a pas été accompagné de moyens budgétaires dans la trajectoire du Pacte. Cela veut dire qu’au début, dix millions d’euros avaient été prévus pour assurer la gratuité des fournitures dans le maternel, ce qui a été mis en œuvre. Nous avons dû nous battre pour dégager des moyens supplémentaires afin de l’élargir en première et en deuxième primaire, mais cela n’a pas du tout été facile, car tout le monde ne partage pas ce point de vue sur la gratuité. Donc à chaque fois que l’on veut financer une année supplémentaire, il faut trouver quatre millions de plus. Cela va être un combat. Mais pour moi, c’est un enjeu fondamental, car les enquêtes démontrent que la rentrée scolaire pèse lourdement dans les budgets des ménages. En plus des fournitures, il faut à la fois racheter des chaussures, des vêtements pour les enfants qui ont grandi, payer les cotisations dans les clubs de sport, et en fait la liste de matériel scolaire constitue une charge financière supplémentaire. Les allocations familiales de rentrée ne compensent pas toutes ces dépenses.
Au niveau du plafonnement des coûts des voyages scolaires, notamment en secondaire, y aura-t-il du changement ?
Pour l’instant, en secondaire, non. Le seul plafond que l’on a adopté, c’est en maternelle, ce qui concerne les voyages avec nuitée, style classes vertes, ainsi que les sorties scolaires. On voudrait faire le même exercice en primaire, on a d’ailleurs consulté le secteur du tourisme wallon. Ce qui en est ressorti, c’est d’une part que l’on a un énorme problème de coût du transport scolaire – c’est la même chose pour le PECA d’ailleurs – et d’autre part, que c’était tout sauf simple parce que les pratiques sont très différentes d’une école à l’autre. Trouver le juste plafond est donc extrêmement compliqué. Et pour couronner le tout, on a une tradition forte de classes de neige en Belgique, y compris parfois dans des communes très pauvres qui s’évertuent à trouver des moyens pour partir. Plafonner les coûts reviendrait à les rendre inenvisageables.
© Shutterstock
Quand on voit des écoles qui organisent des voyages à 800 ou à 1 000 euros en fin de secondaire, notamment pour aller à l’étranger, cela pose quand même question. N’y aurait-il pas moyen de limiter ces voyages au pourtour de la Belgique ?
Bien sûr, il y a des choses qui sont complètement folles, des écoles exagèrent. Il faut mettre des limites, mais même si l’on décide que le plafond ne peut pas dépasser 600 euros, c’est déjà énorme et le risque, c’est que toutes les écoles s’alignent sur la somme supérieure. D’un autre côté les voyages scolaires font partie de la vie de l’école, ils sont vecteurs d’apprentissages, ils comptent parmi les choses positives dans un parcours scolaire, et donc c’est assez compliqué de trouver le juste milieu.
On touche à quelque chose d’un peu émotionnel ?
Oui, complètement émotionnel. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais on a dû à un moment interdire les classes de neige en pleine crise Covid Omicron. C’était de la folie, tout le monde était contaminé. Au moindre cas de Covid dans une classe partie à la montagne, il aurait fallu rapatrier tous les enfants. On a donc décidé d’interdire les départs en classe de neige et l’on a eu une levée de boucliers phénoménale. On a mesuré que ce n’est pas un sujet anodin en Belgique. Donc on continue à travailler sur la question, mais on n’a pas encore trouvé la solution idéale.
Toujours au chapitre de la gratuité, les repas chauds gratuits à l’école, est-ce à l’ordre du jour ?
Nous avons plutôt bien avancé. C’est mon collègue Frédéric Daerden qui porte cette politique en tant que ministre de l’Égalité des chances et il a pu dégager des budgets importants pour couvrir la gratuité des repas scolaires dans l’ensemble des écoles fondamentales en encadrement différencié, soit le quart des écoles les plus pauvres de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce qui n’est pas rien en fait. C’était déjà en vigueur cette année sur la base d’un appel à projets auquel toutes les écoles n’ont pas encore répondu, mais en tout cas elles ont toutes la possibilité d’y participer. Nous avons toujours plaidé pour la gratuité des repas chauds et on ne se rend pas compte à quel point un nombre important d’enfants ne mangent pas à leur faim, n’ont pas de repas de qualité dans leur boîte à tartines ou arrivent à l’école sans avoir mangé. C’est un enjeu parce que l’on ne peut pas se concentrer si l’on ne mange pas normalement, de manière équilibrée. Il y a là un défi en matière de pédagogie, mais aussi de santé publique qui n’est pas du tout anecdotique. Cela a un coût, donc on doit trouver les moyens budgétaires de poursuivre cette politique, mais pour nous c’est extrêmement important.
Ces réformes sont intéressantes et étaient nécessaires, mais comment faire respecter l’ensemble des mesures ? On sait que la gratuité scolaire fait par exemple l’objet de minervals cachés, bien que cela soit interdit.
Si on regarde un peu dans le rétroviseur, énormément de choses ont été faites pour améliorer la transparence sur les coûts de l’école et l’information aux parents. Cela signifie que l’on a aussi plus de plaintes quand il y a des dérives, ce qui nous permet de réagir. Mais pour être plus proactifs encore, nous avons chargé notre Service général d’inspection de contrôler la gratuité dans toutes les écoles sur quatre ans, avec à l’issue de chaque année un échantillon statistiquement représentatif des écoles reposant sur des indices socio-économiques, territoriaux, etc. C’est important parce qu’il s’agit de politiques publiques qui sont financées avec d’importants budgets et de l’argent public. Pour les fournitures scolaires, on donne aux écoles une subvention qui est de l’ordre de 50 euros par élève en maternelle et 75 euros en primaire pour qu’elles garantissent cette gratuité. Donc nous devons nous assurer que cela a un impact réel et que l’on ne demande pas aux parents un financement caché. Mais c’est toujours extrêmement compliqué parce que nous n’avons pas de contrôle sur les ASBL et si les parents les financent, on ne peut vraiment rien y faire, en revanche on va vérifier qu’il n’y a aucune pression morale, aucune obligation, aucun lien avec l’inscription. Dès qu’il y a une plainte, une mission spéciale d’investigation sera lancée.
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