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Laïcité :
sortir du mythe républicain
Lilas Rigaux · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM
Mise en ligne le 27 juin 2025
Monarchie et laïcité ne sont pas des notions indépendantes l’une de l’autre. Réduire la laïcité à sa seule possible inscription en cadre républicain et à plus forte raison français, relève, répétons-le, de la pure mythologie sinon de l’œillère nationaliste. »
« Aller à l’essentiel sans s’embourber dans l’abstraction, penser sans tourner en rond, avec une ligne de départ et une ligne d’arrivée, un avant et un après : voilà l’expérience de lecture proposée par la collection “Qu’est-ce que ça change ?” » Dans le dernier titre paru dans cette série d’essais, l’éditeur suisse protestant Labor & Fides a demandé à Vincent Genin : « La laïcité, qu’est-ce que ça change ? » L’historien belge a tenté de répondre à cette question en proposant une lecture critique de l’évolution contemporaine de la laïcité française.
En s’appuyant sur une perspective extérieure, l’auteur analyse comment, en l’espace de trente ans, le principe s’est progressivement transformé en un dogme rigide et passionnel, devenant un marqueur identitaire presque sacralisé. Il rappelle que la laïcité n’est pas une valeur, mais bien un principe juridique destiné à garantir les droits et libertés. Avec justesse et démonstration à l’appui, en mobilisant le concept et ses origines, il montre comment la laïcité est désormais utilisée comme une vertu nationale, voire comme une « mythologie nationale », mobilisée comme outil de distinction face à une France qui se sent menacée.
L’historien critique également le lien artificiel souvent établi entre République et laïcité, comme si cette dernière était une invention exclusivement française, occultant d’autres expériences, dont celle de la Belgique où la laïcité s’inscrit dans un cadre institutionnel différent, y compris au sein d’une monarchie. Il rappelle d’ailleurs que certains territoires français, comme l’Alsace-Moselle, échappent toujours à l’application de la loi de 1905, mettant à mal l’idée d’une laïcité française homogène.
Enfin, l’auteur explique comment ce concept, érigé sur le plan des valeurs, s’est transformé en outil de légitimation de discours d’ordre sécuritaire ou nationaliste. Ce faisant, cette sacralisation empêche de reconnaître les mutations de la société, en prétendant exhumer une laïcité « pure et immuable ». La loi adoptée en 2021 « contre le séparatisme », qui prévoit un renforcement de la surveillance des cultes et l’instauration du Contrat d’engagement républicain, illustre selon lui cette dérive sécuritaire : une laïcité de plus en plus utilisée pour exclure plutôt que pour inclure.
Le livre de Vincent Genin a le mérite d’offrir une réflexion accessible sur les glissements actuels autour de la laïcité et sur les dangers d’en faire un dogme fermé, incompatible avec la diversité contemporaine. Il nous rappelle qu’une laïcité rigide peut mettre en péril le principe d’égalité pourtant cher à la France et aboutir à des discriminations contraires aux principes mêmes de la laïcité.
En tant qu’auteur belge, Vincent Genin adopte une posture extérieure qui permet de désacraliser la manière dont la France aborde la laïcité, n’hésitant pas à interroger frontalement une notion érigée en dogme républicain, quitte à bousculer certaines convictions bien ancrées. Néanmoins, on peut regretter que l’auteur propose peu de pistes concrètes face aux dérives qu’il dénonce. Sa lecture peut sembler univoque, laissant dans l’ombre les défis réels posés par certains extrémismes religieux, d’où qu’ils viennent, et offrant peu de place au dialogue avec ceux qui défendent une version plus stricte du principe. Enfin, si la comparaison avec la Belgique permet d’ouvrir le regard, elle gagnerait à mieux intégrer les tensions spécifiques qui y existent également, notamment autour du port du voile dans l’enseignement et les services publics. Cela dit, Vincent Genin souligne avec justesse que l’absence de séparation stricte, comme en Belgique, n’a pas empêché d’importantes avancées sociétales : mariage entre personnes de même sexe, dépénalisation de l’avortement ou encore légalisation de l’euthanasie.
En somme, cet essai propose une mise en perspective précieuse d’un principe de plus en plus instrumentalisé dans le débat public. Il invite à dépasser la posture défensive et à mesurer les risques d’une sacralisation idéologique, pour penser la laïcité comme un outil vivant au service du pluralisme démocratique, et non comme un slogan identitaire figé.
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