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Les cultureux
« Les hommes
ne vieillissent pas mieux
que les femmes…
Louise Canu · Journaliste
Mise en ligne le 8 mars 2024
… Ils ont seulement l’autorisation de vieillir. » Dans son essai Sorcières, Mona Chollet aborde le vieillissement féminin, sujet encore ô combien tabou de nos sociétés occidentales. Révoltée contre l’absence de représentation de corps non jeunes et fatiguée des injonctions au « rester jeune à tout prix », la photographe de 27 ans Clélia Odette Rochat poursuit son projet « Belles Mômes », dans lequel elle immortalise depuis 2021 des corps féminins puissants, sensibles et incarnés. En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, nous l’avons rencontrée.
Photo : Deva © Clélia Odette
À l’origine du documentaire photographique « Belles Mômes » lancé en 2021, il y a le sentiment de ne pas pouvoir exister après 50 ans. Vous nous racontez ?
Dans un BlaBlaCar en Suisse, il y a quelques années, une retraitée racontait que son conjoint l’avait trompée avec une femme de 20 ans. Mon âge, à l’époque. Elle avait la soixantaine. Elle pleurait : « Je m’étais fait refaire la poitrine et enlever les rides pour lui plaire… » Mais à quoi ça sert de plaire à cet homme, qui a l’air d’un gros con ? C’était « l’amour de sa vie » et ne souhaitait pas « se retrouver toute seule ». Je ne veux pas vivre avec cette idée qu’il est interdit de vieillir car il serait nécessaire de rester séduisante jusqu’à la fin de ses jours. Parallèlement, j’ai arrêté mon cursus en psychologie pour réaliser des études de photo documentaire à Bruxelles. Mon projet de fin d’année portait sur les femmes de plus de cinquante ans. Un an a été nécessaire avant de trouver la première femme qui voulait bien être photographiée nue. Elle avait 70 ans et posait comme modèle vivant à Paris. J’ai pu montrer ce cliché à d’autres femmes, qui ont compris qu’il ne s’agissait pas de photos érotiques mais d’un projet féministe. Avant « Belles Mômes », je n’en avais rien à faire des femmes âgées. Comme tout le monde, malheureusement. Après trois ans de ce projet, j’ai changé de regard.
Ce dont je suis fière, c’est que les modèles de ʺBelles Mômesʺ se trouvent vraiment belles dans mon regard. Il y a un aspect thérapeutique pour elles, dans ces photos. Probablement pour moi aussi, car il faut l’admettre, j’ai également peur de vieillir dans ce monde qui nous l’interdit. »
Les femmes que vous photographiez sont souvent nues. Comment procédez-vous pour ne pas leur conférer un caractère érotique ?
Cela représente beaucoup de travail de rendre une photo non érotique, surtout pour les modèles. Les femmes qui n’ont pas l’habitude ont tendance à se cambrer ou faire des duck faces1… C’est difficile pour elles de prendre la pose si le corps n’est pas en tension. Je les photographie d’abord comme ça pour les mettre à l’aise, et au fur à mesure, je leur demande de ne pas sourire. « Ah bon, mais pourquoi ? » Parce qu’on ne demande pas aux hommes de sourire ! Qu’importe qu’elles soient allongées dans leur baignoire, assises devant leur table à manger ou posées sur le canapé : elles donnent l’impression d’être habillées, car elles portent leur corps comme un vêtement. En tout cas, j’essaye de les prendre en photo nues comme on les photographierait habillées. C’est parfois difficile car certaines sont, entre gros guillemets, « bien foutues », ce qui confère tout de suite un aspect plus érotique. Je pense à Claire, une femme sublime que j’ai photographiée sur son lit, et qui a une poitrine généreuse. C’est elle qui a reçu le plus de réactions sur Instagram, car malheureusement, la poitrine reste ultra-sexualisée. Malgré le fait qu’elle ait un regard très intense, très dur, ça attire les mecs. J’essaye donc de les montrer séduisantes, tout en invitant à ne pas poser sur elles un regard sexualisant.
Les photos sont aussi le résultat de plusieurs heures d’échanges avec ces femmes. Comment se passent les rencontres avec celles que vous photographiez ?
Je ne sais parfois même pas à quoi elles ressemblent avant de les rencontrer, elles me donnent une heure, une adresse, et j’y vais. On discute deux ou trois heures, je m’imprègne du lieu dans lequel elles vivent et de leurs histoires. Cette discussion a un gros impact sur les photos. L’âge ne fait finalement pas une grande différence, on se rend rapidement compte qu’on partage les mêmes envies et les mêmes peurs. Elles me parlent de leurs expériences sentimentales, c’est très intime. Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est la question de la ménopause et des sécheresses vaginales, dont on ne parle jamais. J’ai rencontré une femme qui se sentait mal car son sexe ne montrait plus de signes d’excitation sexuelle quand elle faisait l’amour avec son mari, et avait peur qu’il ne se sente plus désiré. Je me suis alors demandé : quand ton corps change mais pas ton esprit, comment tu gères ça ? Comment parler des changements dans le couple ? Souvent, les hommes ne sont pas au courant, il y a un gros gap entre les genres à la ménopause. Ça reste un vrai tabou, comme si on refusait que ça existe dans la vie d’une femme alors qu’on passe absolument toutes par là.
Ariel © Clelia Odette
Quel regard portent les femmes que vous photographiez sur elles-mêmes ?
Ce dont je suis fière, c’est que les modèles de « Belles Mômes » se trouvent vraiment belles dans mon regard. Il y a un aspect thérapeutique pour elles, dans ces photos. Probablement pour moi aussi, car il faut l’admettre, j’ai également peur de vieillir dans ce monde qui nous l’interdit. La plupart d’entre elles ont du mal avec ce corps vieillissant dans cette société. Mais quand je leur demande comment elles se sentiraient si elles vivaient exclusivement entre femmes, elles me répondent toutes que ça leur serait égal. C’est le regard masculin dans le couple hétéro, les injonctions perpétrées par le secteur de la mode et de la publicité qui nous font du mal en vieillissant. C’est pour ça que je me bats au quotidien pour qu’il y ait plus de diversité dans le secteur de la mode et de la publicité. Ce n’est pas une industrie que je chéris, elle crée beaucoup de complexes, mais il faut bien gagner sa croûte… Pour ma part, je travaille avec des marques que je considère comme éthiques. Je demande à travailler aussi avec des modèles non-jeunes et précise que je ne retouche pas la peau. Ça ne me dérange pas qu’il y ait des jeunes femmes de 20 ans toutes minces, mais alors mettez tout le monde pour représenter la société dans son ensemble. Ça rapporte moins d’argent, c’est sûr.
Deva © Clélia Odette
« Belles Mômes », c’est aussi un projet que vous souhaitez continuer d’alimenter en parcourant le monde à la recherche d’autres femmes, d’autres cultures, d’autres modes de vie.
Une femme en Suisse, qui vit tout en haut des montagnes dans le canton du Valais, m’a dit : « Tiens, c’est amusant, à la lecture de votre article, je me suis rendu compte que j’étais vieille il y a deux semaines ». Elle a 90 ans, c’est la plus âgée du projet. J’étais émue aux larmes. Elle ne se pose pas la question, du haut de ses montagnes. Effectivement, je cherche des fonds afin de continuer ce projet de photo-documentaire partout dans le monde. Pour l’instant, je photographie uniquement des femmes blanches issues plus ou moins de la même classe sociale. J’ai reçu beaucoup d’offres pour en faire un livre, mais ça ne m’intéresse pas. J’ai créé un sondage sur Instagram, et des femmes de Géorgie, du Sénégal, du Brésil, des États-Unis et du Maroc se sont manifestées. Ce sont des pays avec des différences culturelles marquées, ce qui me permettrait de comprendre comment on vieillit partout dans le monde.
Et vous ? Quelle femme âgée serez-vous ?
Je rêve de prendre de l’âge comme Patti Smith. Elle se laisse vieillir comme un cow-boy. Je voudrais devenir comme elle et gérer une station essence dans le sud de la France, me poser sur une petite chaise en plastique, être torse nu, sentir un peu la bière et la clope et profiter d’une belle vue sur l’océan. En fait, je veux pouvoir vieillir comme un homme.
- Avant l’ère du selfie, on disait « faire la moue », NDLR.
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