La tartine
Remettre
les familles en selle
Allison Lefevre · Journaliste
Mise en ligne le 2 octobre 2023
En mai dernier, le Petit vélo jaune recevait le prix Coup de cœur 2023 du Fonds Impact Together by BNP Paribas Fortis, géré par la Fondation Roi Baudouin. De quoi titiller la curiosité sur l’accompagnement solidaire que cette ASBL offre aux familles vulnérables de la capitale.
Illustrations : Cost
« À Bruxelles, on dénombre pas mal de familles isolées, qui fréquentent peu les espaces verts et les lieux culturels, et pour qui les déplacements se limitent à se rendre à la crèche, à l’école et à faire les courses », déclare Pascale Staquet, psychologue et coordinatrice de terrain au Petit vélo jaune. « Franchir une porte même accueillante peut se révéler extrêmement compliqué. Parce qu’on est précarisé ou parce qu’on est traumatisé et qu’on n’ose plus nouer de liens. Lorsqu’on découvre un nouveau pays, tout est à apprendre, à décoder : les us et coutumes, le système administratif… » Parallèlement à cela, la maternité peut aussi fragiliser les jeunes mamans d’un point de vue matériel ou psychosocial. « Certaines doivent développer leurs compétences parentales, d’autres sont submergées par les tâches à accomplir… », reprend Pascale Staquet. « C’est pour ces familles que nous avons mis sur pied le Petit vélo jaune. Le dispositif s’adresse aux parents isolés socialement, en situation de difficultés et de précarité, au début de leur aventure familiale – l’un des enfants de la fratrie doit avoir moins de 3 ans. Il arrive d’ailleurs que nous accompagnions les mamans dès la grossesse. »
Des échanges win-win
Devenir coéquipier.e ?
Vous avez plus de 18 ans et êtes prêt.e à vous investir dans un projet en lien avec la famille ? Le Petit vélo jaune recherche constamment des volontaires pour renforcer ses activités à Bruxelles. Notez que si vous habitez en Wallonie, il existe des structures similaires accompagnées méthodologiquement par l’ASBL.
En 2022, sur les 99 familles suivies par le Petit vélo jaune, un quart des mamans étaient enceintes. Interpellant également : un tiers des familles vivaient dans un logement précaire. 71 % d’entre elles étaient des mamans solos, de 34 nationalités différentes et qui pour la majorité avaient entre 26 et 35 ans. « Ce n’est pas rien d’élever un enfant de moins de 3 ans : il faut être là tout le temps », confie Orelly, 29 ans, l’une des bénéficiaires de l’association. Elle élève cinq enfants : des jumeaux de 10 ans, des jumeaux de 5 ans et une fillette de 2 ans et demi. « Quand j’ai fait appel au Petit vélo jaune, ma fille avait 4 mois. À l’époque, j’étais encore en couple avec le père de mes enfants et je faisais un burn-out. Je ne sortais pas beaucoup. La charge émotionnelle était trop lourde à porter, j’avais besoin de parler. Avec ma belle-famille, c’était compliqué. Quand une amie m’a expliqué le concept du Petit vélo jaune, je me suis dit que ça pourrait vraiment m’aider. »
10 bougies
Le Petit vélo jaune fête ses 10 ans : « L’art de tout, l’air de rien. Regards croisés sur l’accompagnement solidaire des familles »
12.10.23 • dès 13h • La Tricoterie (BXL)
Orelly va alors contacter l’association et rencontrer l’équipe : seule, puis avec ses enfants. « Ensuite, on m’a présenté Anne, une bénévole retraitée habitant dans la même commune. Je l’ai trouvée calme, patiente, et très vite, j’ai vu que ça matchait avec les enfants. Elle leur a appris à jouer à des jeux de société. Nous sommes sortis au parc, au musée, au cinéma, car nous recevions une fois par mois des places pour toute la famille. Anne me donnait un coup de main pour essuyer la vaisselle ou plier le linge, emmenait les grands faire les courses, les écoutait beaucoup. Elle nous soutenait dans nos peines et nos réussites, m’encourageait dans ma recherche d’emploi. Ces échanges hebdomadaires ont duré un peu plus d’un an. Ça m’a fait du bien de côtoyer quelqu’un de plus âgé que moi et d’une autre culture. Je crois lui avoir apporté du positif aussi : des recettes culinaires et le quotidien d’une maman de cinq enfants, par exemple. »
À côté des familles
Le principe du Petit vélo jaune est clair : l’accompagnement se fait au (départ du) domicile des familles, quelques heures chaque semaine, durant environ un an. Le temps de donner de l’air aux parents et qu’ils se rendent compte que d’autres relais sont possibles. La relation se construit d’égal à égal. Aucun échange d’argent n’est permis. « Les familles tiennent le guidon de leur vie, nous nous positionnons à côté », insiste Pascale Staquet. « Nous pensons que les parents savent ce qui est bon pour eux, dans quel timing organiser les choses, prendre leurs décisions. Notre apport ? Dans une ville où ils ne connaissent personne, ils ont le numéro de quelqu’un qui peut les écouter ou leur faire gagner du temps dans leurs découvertes, voire dans leur reconstruction. Notre projet se veut à la fois à la carte et holistique. Les familles ont une porte d’entrée, leur bénévole, auquel elles peuvent s’adresser pour toute une série de problèmes, d’envies, de questions… Et chaque binôme établit son mode de fonctionnement. Il y a autant d’histoires que d’équipes. »
D’autant que les coéquipiers s’engagent aussi dans ces relations avec leur vécu, leurs compétences, leurs limites, leurs attentes… En témoigne Marco, 48 ans, dont la première expérience d’accompagnement vient de se terminer : « D’origine italienne, je vis à Bruxelles, loin de mes deux enfants, qui grandissent en Italie avec mon ex-femme et à qui je rends visite deux fois par mois pour passer du temps avec eux. En recherchant une activité de volontariat en lien avec la parentalité, j’ai découvert le concept du Petit vélo jaune et il m’a semblé correspondre à mes attentes : essayer d’aider des personnes en situation compliquée loin de leur pays. Mais j’avais peur : allais-je vraiment parvenir à aider ces familles ? Et aussi, allais-je pouvoir trouver la bonne distance ? Entre ma vie personnelle et professionnelle en Belgique, ma vie de papa en Italie et cette activité en plus, il allait falloir trouver le bon équilibre. Ce qui m’a rassuré finalement, c’est de savoir que je disposerais d’un réseau sur lequel m’appuyer. »
Des liens de liberté
En pratique, en effet, le binôme « famille-coéquipier » est systématiquement épaulé par un bénévole expérimenté dans le secteur psychosocial, lui-même éventuellement secondé par une coordinatrice de terrain. Leur rôle ? Faciliter l’accompagnement du début à la fin. Qu’il s’agisse d’organiser la rencontre, de réguler les échanges, de proposer au coéquipier des formations et des partages de vécu… « Quand j’ai rencontré Fanta, j’ai tout de suite vu la personne dynamique et déterminée qu’elle était », enchaîne Marco. « Elle avait fui la Guinée avec sa fille cadette ; son aînée et son mari étaient encore là-bas. L’accompagnement a été assez intense : deux-trois heures par semaine en moyenne, mais au vu des difficultés rencontrées par Fanta, à certains moments, on échangeait par WhatsApp quotidiennement. Elle se débattait dans des démarches administratives (renouvellement de son titre de séjour, demande de regroupement familial), a connu des soucis de santé, un deuil… Heureusement que j’ai pu compter sur l’expertise de l’équipe et des autres binômes. Cette expérience m’a ouvert les yeux sur les difficultés auxquelles sont confrontés les réfugiés et à quel point notre système administratif les décourage. La force incroyable déployée par Fanta pour améliorer la vie de ses enfants m’a motivé. Sa fille, elle et moi, nous avons construit de beaux rapports. Même si on y a été bien préparé, la fin de cet accompagnement me paraît dure émotionnellement. Mais je sais qu’on va rester en lien. »
La sortie se négocie dès le départ pour éviter tout sentiment d’abandon. « Les enfants s’attachent aux bénévoles, il est crucial de les préparer en douceur, au moyen de rituels notamment », conclut Pascale Staquet. Et généralement, les relations s’espacent, mais perdurent au fil des messages échangés, des anniversaires fêtés, des moments de convivialité organisés par le Petit vélo jaune, car ce que l’ASBL veille à construire, ce sont des liens de liberté.
Les mères et les enfants d’abord
Près de trois quarts des familles suivies par le Petit vélo jaune en 2022 étaient des mamans solos. Des chiffres qui n’étonnent pas Alexandra Woelfle, chargée d’études à la Ligue des familles : « Les profils des parents solos sont différents. L’âge des enfants, également. Le niveau de revenus, la durée de la monoparentalité, l’entourage… varient. Néanmoins, on se rend compte que par rapport aux familles en couple, les monoparentales rencontrent une série de difficultés de manière plus aiguë. Au premier rang desquelles le manque de ressources financières. En Wallonie, en 2019, 39 % de ces familles avaient un revenu net inférieur au seuil de pauvreté. À Bruxelles, 33 %. On note que leur taux d’emploi est inférieur à celui d’autres catégories familiales. Beaucoup de familles monoparentales bénéficient de revenus de remplacement ou travaillent à temps partiel pour pouvoir concilier vie privée et vie professionnelle. L’accès aux informations et aux aides, souvent au moment de l’entrée en monoparentalité, se révèle aussi compliqué. Ces recherches sont chronophages et les parents solos – des mamans dans 85 % des cas – manquent de temps. Sans oublier l’isolement, la discrimination ou encore le manque d’accès à un logement abordable et de qualité pour toute la famille auxquels ils sont confrontés. »
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