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Malades cantonnés
à l’écoute ?

Frédéric Soumois · Journaliste

Mise en ligne le 3 octobre 2023

Depuis 2002, la loi consacre le droit à l’accès à son propre dossier médical. Mais celui-ci peut être en partie biffé et rester peu compréhensible. Le chantier est donc encore vaste pour sortir d’une transparence de façade.

Illustrations : Cost

« J’avais toujours fait pleine confiance à mes médecins. Mais mon cancer a changé la donne. Je trouvais que les explications que j’obtenais au fil des consultations et de mon traitement étaient très rares et concises. Chaque fois que je posais une question, qu’elle soit relative à la progression de la maladie, aux moyens déployés pour la combattre et surtout sur les chances de guérison et de survie, j’avais l’air d’ennuyer médecins et assistants. J’obtenais un sourire gêné et quelques phrases à demi murmurées. Or, les réponses étaient essentielles pour faire les rares choix qui me restaient : entre douleur ou chances supplémentaires de survie, entre mutilation et espoir, entre acharnement et sérénité. Finalement, les échanges, au début complètement sereins, se sont envenimés et j’ai demandé officiellement à avoir accès à mon dossier. À partir de ce jour-là, c’était comme si j’étais devenue l’ennemie de l’équipe. Je pense qu’ils redoutaient que je m’en serve pour entamer un procès, alors que ce n’était pas du tout mon intention. J’ai dû m’y reprendre à plusieurs reprises pour obtenir ce que je considère comme un document largement incomplet et sans doute vidé d’une partie de sa substance. Cela a nourri ma décision de poursuivre ma cure dans un autre établissement, où j’ai trouvé davantage de transparence. »

Une demande mal interprétée

Le témoignage d’Amélie1 est caractéristique d’une situation fréquemment rencontrée dans les hôpitaux. Depuis 2002, date d’entrée en vigueur de la loi sur le droit du patient, un malade a pourtant le droit de consulter directement son dossier en quasi-intégralité. Le prestataire de soins dispose de quinze jours pour présenter les documents, « à l’exclusion des annotations personnelles du praticien (notes dissimulées à des tiers réservées à son usage personnel et dénuées d’intérêt pour la qualité des soins) et des données relatives aux tiers ». « Dans la plupart des cas, cela ne pose pas de souci, le contenu est fourni tel quel. Il n’y a rien à cacher dans ce type de dossier, dont la forme est assez stéréotypée et qui comprend de nombreuses données chiffrées. Leur interprétation n’y figure pas nécessairement, c’est un outil a priori destiné aux confrères. Mais il arrive que l’on y fasse figurer des annotations “brutes” qui sont dépourvues de la diplomatie que l’on emploie lors de la transmission d’informations difficiles à entendre. Le médecin peut alors choisir de les biffer, tout à fait légalement », explique le docteur Gringoire2, généraliste à Schaerbeek. « Soyons francs : si un patient demande formellement à accéder à ses données médicales, c’est qu’il y a au mieux un problème de communication avec son médecin, au pire une divergence sur le traitement. Il est rare que cela ne finisse pas par un éloignement des deux parties. Ce n’est pas nécessairement de la morgue du praticien. Celui-ci se dit qu’il n’a pas trouvé le bon mode d’échange avec ce patient et que celui-ci sera sans doute plus heureux avec un confrère. Si la confiance n’est plus là, pourquoi s’acharner ? La santé, c’est très intime, on ne peut pas construire une bonne relation de confiance à contrecœur. »

Les obstacles à la pelle

« Certes, la loi reconnaît au patient un droit d’accès à son dossier médical. En pratique, ce n’est pas toujours simple de le faire valoir. Parmi les obstacles, on peut noter les réticences de certains praticiens à permettre au patient un accès à son dossier », expliquent les responsables de la Ligue des usagers des services de santé. « Certains malades se voient opposer un refus sans justification. Il arrive également que le dossier ne comporte pas toutes les données qui leur permettraient de bien comprendre leur état de santé. L’épidémie de Covid-19 et le confinement ont confronté les citoyens à de nouvelles modalités de soins et de suivi : consultation par téléphone, application GSM pour l’accompagnement des patients atteints du coronavirus, prise en charge à distance des patients isolés à domicile. Toutes ces situations nous rappellent l’importance d’avoir un dossier médical à jour chez son médecin généraliste et l’intérêt du dossier santé partagé (e-Santé), avec un résumé d’urgence complet et actualisé. »

« Un autre problème, c’est la capacité du patient à comprendre le contenu d’un dossier médical », souligne le docteur Gringoire. « Le médecin n’est pas jargonnant par volonté d’être obscur, mais c’est un peu comme quand vous faites de la voile. Il n’y a pas de corde sur un bateau. Pour les marins, chaque “corde” est appelée par un nom qui évoque sa nature et sa fonction. Il en est de même pour un résumé médical, qui est fait pour parler à un confrère, pas au grand public. Certes, je reconnais que certains médecins aiment à se blinder de jargon pour mieux s’isoler dans leur tour d’ivoire et surtout éviter d’être contestés ou contredits. Mais je doute que cela soit la majorité des cas. »

Un discours médical à simplifier

Pour Aurore Margat, maître de conférences en sciences infirmières à l’Université Sorbonne Paris Nord, « c’est la totalité des moyens d’aide à la littératie en santé qu’il convient de revoir. À commencer par une nécessaire simplification du discours médical, des documents et des données générées, collectées, mises à disposition par myriades ». Selon l’universitaire, « les professionnels de santé ont appris à être inintelligibles. Être inintelligible, c’est s’assurer de garder le pouvoir, de mettre l’autre à distance du savoir médical. Dans sa relation “foncièrement asymétrique” avec le patient, le professionnel de santé doit s’assurer qu’il a bien compris le message et l’a mémorisé correctement. Ce qui n’est le cas que dans 12 % des consultations, selon une étude. Une méthode consiste à faire reformuler et réexpliquer par le patient l’information qui lui a été fournie. Ce qu’on appelle la méthode Teach back ».

L’obtention d’un document n’est donc pas l’étape ultime des démarches effectuées pour obtenir un accès plus équitable à ses données de santé et, partant, à son autonomie et à sa liberté réelle. Selon une étude récente du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), « entre 30 et 45 % de la population belge ont un faible niveau de littératie en santé et ont des difficultés à interagir correctement avec les professionnels soignants, à comprendre le comment et le pourquoi d’une maladie, à discuter avec les médecins des mesures à prendre, à comprendre les notices de médicaments ou à suivre correctement leurs traitements ». En conclusion de cette étude3, les experts du KCE soulignent qu’on attend des actions de la part du personnel médical. Certains pays font appel à un « principe de précaution universel » qui part de l’hypothèse que chaque interaction entre patient et soignant peut donner lieu à des difficultés de compréhension et à des malentendus. Des techniques de communication spécifiques existent pour les réduire ; elles pourraient être intégrées dans la formation de tous les futurs professionnels.

Un système de soins plus « convivial »

Le niveau d’action intermédiaire vise les organisations liées à la santé (hôpitaux, mutualités…), qui doivent créer une culture interne favorable à la littératie en santé. La formation de l’ensemble du personnel (soignant et non-soignant, comme par ex. le personnel d’accueil) est d’une importance capitale à cet égard, mais de nombreuses études montrent que l’évolution n’est possible que si le sommet de la pyramide de management est lui-même mobilisé et donne l’impulsion. Il peut s’agir, entre autres propositions, de faciliter l’emploi du système de rendez-vous, de revoir la signalisation d’orientation dans les hôpitaux, de repenser l’intelligibilité du matériel d’information distribué. Après avoir agité la carotte, les experts envisagent le recours au bâton : « Il est également possible de prendre des mesures politiques limitées au système de santé, comme intégrer le souci de la littératie en santé dans les normes de qualité, les mécanismes de financement ou encore l’accréditation des professionnels de santé. » À bon entendeur…

  1. Le prénom a été modifié pour respecter la vie privée de la patiente.
  2. Les noms ont été modifiés à la demande des témoins.
  3. « Littératie en santé : quels enseignements tirer des expériences d’autres pays ? », KCE Report 322Bs, 2020.

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