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Et si l’État de droit n’existait plus ?

François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM

Mise en ligne le 13 juin 2023

Que signifierait la mort de l’État de droit ? Quelles seraient les conséquences concrètes pour les citoyen.ne.s ? L’étude des précédents en Europe et ailleurs nous permet de montrer les effets de dérives autoritaires sur la vie des citoyen.ne.s.

Illustration : Philippe Joisson

Le schéma se répète dans tous les cas d’arrivée au pouvoir d’un parti d’extrême droite ou populiste. Hongrie, Pologne, Israël : les gouvernements d’extrême droite cherchent à exercer le pouvoir de manière autoritaire. Cette tentation peut également exister de la part de partis démocratiques, mais c’est précisément pour éviter la fin de la démocratie que des contre-pouvoirs indépendants ont été mis en place : la justice et les médias notamment. Ils sont la première cible de gouvernements autoritaires.

Injustice criante

Premièrement, la justice. Les gouvernements autoritaires modifient la Constitution ou les lois pour qu’ils puissent librement nommer et révoquer les juges. Ce n’est pas du tout abstrait ou technique, mais cela a des conséquences concrètes pour les citoyen.ne.s. L’impartialité des juges n’est plus garantie si elles et ils sont dépendant.e.s du gouvernement pour leur poste ou leur carrière. En Pologne et en Hongrie, les juges sont sanctionné.e.s pour avoir rendu des jugements défavorables au gouvernement ou promu.e.s pour avoir pris des jugements qui lui plaisent. Des juges sont puni.e.s parce qu’elles et ils ont appliqué le droit de l’Union européenne ou la Convention européenne des droits de l’homme, donc les citoyen.ne.s ne peuvent plus faire valoir les droits qu’elles et ils en tirent. Dans cette situation, les juges risquent de suivre le gouvernement plutôt que de protéger les libertés.

La fin de l’indépendance de la justice peut mettre la démocratie en danger. D’éventuels recours contre des résultats d’élections seront décidés par des juges dépendant.e.s du gouvernement en place. En Israël, une des premières choses qu’a faites le nouveau gouvernement de droite nationaliste est un projet de loi pour limiter les pouvoirs de la justice envers l’exécutif et le Parlement, et pour donner à la majorité parlementaire le pouvoir de nommer les juges. De nombreux.ses citoyen.ne.s ont bien compris le danger, et manifestent contre le gouvernement sous le slogan : « On ne veut pas devenir la Pologne ! »

Censure écrasante

Secondement, les médias. En Hongrie et en Pologne, les médias publics ont perdu toute autonomie, et sont devenus des organes de propagande du parti au pouvoir. L’opposition – des expert.e.s indépendant.e.s – n’y est plus invitée. En Pologne, particulièrement, des hommes d’affaires proches du pouvoir ont pris le contrôle de la plupart des médias privés. Le résultat est une quasi-unanimité des médias, publics et privés, en faveur du parti au pouvoir. Les médias critiques ont été évincés. Par exemple, la dernière radio hongroise indépendante a perdu le droit d’émettre sur la bande FM. Elle n’émet plus que sur le Web. Elle n’est pas interdite, mais est marginalisée. Il est devenu difficile pour les gens de s’informer de manière indépendante, surtout pour les personnes qui utilisent peu Internet.

Des droits balayés

La fin de l’État de droit permet au gouvernement de faire ce qu’il veut sans se soucier des conséquences sur les droits des citoyen.ne.s. En l’absence de tribunaux indépendants, elles et ils ne peuvent plus faire valoir leurs droits ni contester des lois liberticides.

Une fois les contre-pouvoirs supprimés ou affaiblis, un régime illibéral peut appliquer son programme réactionnaire. En Pologne, le Tribunal constitutionnel, aux ordres du gouvernement, a quasi interdit l’avortement. Justyna Wydrzynska, militante pour le droit à l’avortement, a été condamnée pour avoir procuré des pilules abortives à une femme. La juge qui l’a condamnée a été promue le jour même… Dans ce pays, en Hongrie et ailleurs, les militantes féministes font face à un véritable harcèlement judiciaire. Des actes de protestation pacifique sont criminalisés.

En Italie, les régions dans lesquelles l’extrême droite participe au gouvernement ont restreint l’accès aux médicaments abortifs. Dans de nombreuses régions, l’accès à l’IVG est rendu extrêmement difficile par le refus des gynécologues ou d’hôpitaux entiers d’en réaliser. Dans d’autres régions, les autorités d’extrême droite proposent des mesures pour dissuader les femmes d’avorter, par exemple en autorisant les activistes anti-choix d’être présent.e.s dans les cliniques. Pendant les entretiens obligatoires, les femmes subissent souvent des pressions psychologiques considérables. Les régions d’extrême droite réduisent le financement des organisations pro-choix et financent les anti-choix. L’IVG n’est pas interdite, mais tout est fait pour décourager les femmes d’y avoir recours… L’une des premières mesures prises par le gouvernement de coalition ED-droite dirigé par Giorgia Meloni (post-fasciste) est l’interdiction faite aux communes d’enregistrer à l’état civil les enfants de couples de même sexe. Meloni avait annoncé son opposition aux adoptions par ces derniers.

Les personnes migrantes sont aussi visées. Réduire autant que possible l’arrivée d’étranger.ère.s dans le pays est toujours une priorité pour l’extrême droite. Cela inclut le refus d’accueillir des réfugié.e.s fuyant les guerres ou les dictatures, alors que le droit d’asile est protégé par le droit international. En Suède, l’extrême droite veut stopper l’immigration et modifier le pacte européen sur l’asile dans ce sens. L’Italie a adopté une loi rendant plus difficiles les opérations de sauvetage de migrant.e.s naufragé.e.s par les navires d’ONG, mettant directement en danger la vie des migrant.e.s. Au Royaume-Uni, le gouvernement conservateur reprend des mesures extrémistes avec sa loi qui refuse aux personnes arrivant illégalement dans le pays de déposer une demande d’asile. Par ailleurs, il veut envoyer ces personnes au Rwanda. Cette mesure extrême est pour l’instant bloquée par la Cour européenne des droits de l’homme.

L’État de droit est donc une garantie essentielle des droits humains. Il doit être consolidé pour le rendre moins vulnérable en cas de participation de partis autoritaires au pouvoir, et non pas affaibli en ignorant les décisions de justice. Ce comportement de la part de partis modérés est dangereux. Il risque de faciliter les atteintes aux principes démocratiques en cas d’arrivée au pouvoir de partis extrémistes.

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