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Le « fair », fer de lance d’une écologie laïque

Guillaume Lejeune • Animateur philo au CAL/Charleroi

Mise en ligne le 2 septembre 2022

Pour les laïques, la question climatique devrait se poser avec évidence : les personnes les plus faibles en sont les principales victimes et les atteintes à l’environnement nuisent directement aux droits fondamentaux. Sans compter la menace existentielle qui pèse sur l’humanité, il est temps de porter un regard laïque sur les changements climatiques et l’écologie. Quelles solidarités développer pour aujourd’hui et demain ? Quelle gouvernance démocratique pour répondre à ces questions ?

Illustrations : Max Tilkenkamp

On ne peut garantir les droits de l’homme sans protéger la Terre que ce dernier habite. En accordant un statut juridique à la nature, il s’agit alors d’étendre les droits humains à ce qui les conditionne1. C’est parce que la nature est le moyen terme du rapport que l’Homme entretient à lui-même et aux autres qu’elle doit être défendue2. Sans un environnement préservé, les combats et les valeurs de la laïcité seront compromis3.

Une écologie dans un climat social serein

Mais comme le problème écologique, bien que global, se décline en fonction des singularités locales, on peut se demander s’il est suffisant d’asseoir l’écologie sur une conception généraliste des droits humains. Ne faut-il pas aussi repenser ces droits en tenant compte du rapport à la Terre qui influe sur la spécificité des peuples ?

Loin de nous l’idée de se replier sur une identité particularisée, comme c’est le cas dans les nationalismes ! Ce dont il s’agit, c’est plutôt de lier l’universalité du principe à la singularité de son incarnation. Les réglementations sur le droit des peuples autochtones vont en ce sens4. L’idée est alors de faire de l’écologie la garante de droits de l’homme qui se déclineraient localement en fonction des interactions avec un environnement empreint de traditions et de savoir-faire divers.

Si l’on ne tient pas compte des relations spécifiques à l’environnement qui définissent des formes de cultures variées, on risque de gommer toute singularité. Prenons un exemple pour illustrer ce danger. L’interdiction de la pêche de sardinelles dans la Méditerranée qui partait d’arguments écologiques n’a pas toujours pris en considération ces populations de pêcheurs pour qui c’était la base de recettes traditionnelles. Elle était en conséquence vécue par ceux-ci comme une injustice, alors qu’en intégrant l’idée « d’exception cul­turelle », un compromis aurait pu être trouvé, d’autant que c’est la pêche massive et non la pêche traditionnelle qui déséquilibrait l’écosystème.

Sans ce souci d’éviter ce qui sera vécu comme une violence, la protection de l’environnement équivaut à une sorte de colonialisme du bon droit. Plus généralement, cela montre que si l’écologie est nécessaire pour garantir les droits humains, son implémentation doit être réfléchie pour éviter les injustices. C’est sur cet aspect des choses que le CAL/Charleroi a décidé de porter son attention : comment lier écologie et justice sociale ?

Une transition sans transcendance

Les partisans de l’écologie lient celle-ci et la justice climatique. Comme tous ne seront pas affectés de la même manière par le réchauffement climatique, ils avancent qu’il faut freiner ce dernier pour éviter que les plus pauvres (y compris en Belgique) déjà exposés à des épisodes de sécheresse et d’inondation ne supportent le prix de la débauche énergétique des plus riches. Ils ajoutent que l’écologie incarne la solidarité entre les générations en permettant de prendre soin de la Terre que nous léguerons à nos enfants.

Mais cela convainc-t-il ? Beaucoup répondent que, bien que ce soit vrai en théorie, il en va différemment dans la pratique. Il ne manque pas de riches pour estimer cyniquement qu’en cas de catastrophe, il sera toujours possible de se retrancher dans un lieu plus ou moins préservé. Les moins nantis, pour la plupart, se méfient, quant à eux, et voient surtout une injustice dans le fait de se serrer la ceinture quand leurs voisins ne le font pas. À tous ces gens, le lien entre écologie et solidarité apparaît comme une idée transcendante déconnectée de la réalité.

On ne peut entièrement leur donner tort. Quand le gouvernement Macron, sous prétexte de lutter contre le changement climatique, a taxé le carburant, ce sont les populations rurales avec peu de moyens qui ont été les plus touchées. L’écologie et la justice sociale peuvent donc être dissociées et cela va dans les deux sens. Les primes accordées aux ménages à faibles revenus pour remplir leur citerne de mazout incarnent la justice sociale au détriment de l’écologie. Pour que celle-ci et la justice sociale fonctionnent de concert, il faut ainsi se montrer vigilant et penser une « transition juste » hors de tout idéalisme transcendant.

Du monde du travail
aux trouvailles d’une transition juste

Le concept de « transition juste » issu des milieux syndicaux a notamment été repris par l’Organisation internationale du travail et l’Union européenne5. Il repose sur cinq principes : il doit y avoir un dialogue entre les autorités et les parties concernées par les mesures, il faut investir dans les habilités et les technologies vertes, créer des emplois verts, veiller à la protection des travailleurs et il faut des plans de diversification économique qui assurent localement la stabilité des communautés en transition.

En Belgique, le Réseau intersyndical de sensibilisation à l’environnement (RISE) qui réunit des membres de la CSC et de la FGTB fait paraître une newsletter, « Transition juste », qui fourmille d’idées innovantes. Il permet par ce biais de changer le regard que l’économie pose sur l’écologie. Trop souvent, on se montre conciliant auprès d’entreprises polluantes pour éviter l’hémorragie sociale. Mais l’écologie est aussi créatrice d’emplois. C’est ce que, en marge du mouvement pour une transition juste, la campagne « One Million Climate Jobs » essaie de prouver.

La transition est ainsi liée à une certaine vision des enjeux que nous rencontrons. À l’instar de Rob Hopkins, nous pensons qu’il faut présenter l’écologie comme une opportunité pour plus de justice sociale. Une pratique coercitive de l’écologie nous semble contre-productive en matière d’adhésion sociale. Si l’on cible indifféremment les citoyens, les plus démunis seront plus affectés et si l’on cible prioritairement les gros pollueurs en les obligeant à intégrer le coût environnemental de leur pratique, il y a fort à parier que cela se traduise par une hausse de prix ou par une restructuration du personnel, qui finira par atteindre les moins nantis. Pour sortir de ce cercle vicieux, il est nécessaire d’implémenter une dynamique positive du changement en faisant en sorte que tous tirent dès maintenant un certain bénéfice d’un comportement plus écologique. L’idée d’incitation fiscale nous paraît s’inscrire dans cette direction. Mais il faut rester vigilant par rapport à ce à quoi l’on nous incite. À titre d’exemple, promouvoir l’usage de la voiture électrique sous prétexte qu’elle n’émet pas de CO2 ne nous semble pas juste pour les populations exploitées dans les mines servant à extraire les matériaux nécessaires aux batteries de ces véhicules. Il serait dès lors opportun de légiférer sur un « devoir de vigilance » pour indiquer la traçabilité éthique des produits.

En Belgique, le Réseau intersyndical de sensibilisation à l’environnement (RISE) qui réunit des membres de la CSC et de la FGTB fait paraître une newsletter, « Transition juste », qui fourmille d’idées innovantes. Il permet par ce biais de changer le regard que l’économie pose sur l’écologie. Trop souvent, on se montre conciliant auprès d’entreprises polluantes pour éviter l’hémorragie sociale. Mais l’écologie est aussi créatrice d’emplois. C’est ce que, en marge du mouvement pour une transition juste, la campagne « One Million Climate Jobs » essaie de prouver.

La transition est ainsi liée à une certaine vision des enjeux que nous rencontrons. À l’instar de Rob Hopkins, nous pensons qu’il faut présenter l’écologie comme une opportunité pour plus de justice sociale. Une pratique coercitive de l’écologie nous semble contre-productive en matière d’adhésion sociale. Si l’on cible indifféremment les citoyens, les plus démunis seront plus affectés et si l’on cible prioritairement les gros pollueurs en les obligeant à intégrer le coût environnemental de leur pratique, il y a fort à parier que cela se traduise par une hausse de prix ou par une restructuration du personnel, qui finira par atteindre les moins nantis. Pour sortir de ce cercle vicieux, il est nécessaire d’implémenter une dynamique positive du changement en faisant en sorte que tous tirent dès maintenant un certain bénéfice d’un comportement plus écologique. L’idée d’incitation fiscale nous paraît s’inscrire dans cette direction. Mais il faut rester vigilant par rapport à ce à quoi l’on nous incite. À titre d’exemple, promouvoir l’usage de la voiture électrique sous prétexte qu’elle n’émet pas de CO2 ne nous semble pas juste pour les populations exploitées dans les mines servant à extraire les matériaux nécessaires aux batteries de ces véhicules. Il serait dès lors opportun de légiférer sur un « devoir de vigilance » pour indiquer la traçabilité éthique des produits.

Des pistes cyclables et réflexives

L’idée de stimuler la vigilance de tout un chacun est par ailleurs, toute proportion gardée, au centre de notre projet de réalisation d’une charte de bonne conduite alliant la justice sociale et le souci environnemental. Cette charte serait tout d’abord à destination du CAL, elle pourrait ensuite servir de modèle à d’autres associations dont les réalités de terrain sont similaires. Mais ce n’est pas la seule expérience concrète que nous menons au sein des équipes qui planchent sur cette question au CAL/Charleroi. En vue de réfléchir sur l’accessibilité pour tout le monde à une mobilité douce, Adrien Sacchi, chargé de projet au CAL/Charleroi, a répertorié un réseau de pistes cyclables permettant de rejoindre les différentes maisons de la laïcité situées sur le territoire de la régionale de Charleroi. Son but est, entre autres, de montrer par l’exemple que si l’on veut promouvoir des solutions de repli au tout à l’automobile, il faut expérimenter les choses pour dégager les enjeux concrets qui s’y trouvent. Loin de s’en remettre à des préjugés dogmatiques, notre démarche humaniste qui mise sur les capacités attentionnelles de l’humain se fonde sur l’expérimentation. Un objectif de la régionale est d’ailleurs de valoriser les facultés d’innovation de l’Homme en soutenant l’expérimentation de modèles différents, durables et équitables.

Ces pistes – encore à l’état d’ébauche – que nous entendons exploiter dans le cadre de la Convention laïque ne concernent toutefois pas que le monde du travail. Si relever le défi d’une transition juste dépend des capacités d’attention et d’innovation de l’Homme, il faut repenser l’enseignement, le financement de la culture et le temps de travail. À défaut de pouvoir détricoter l’économie capitaliste, la régionale carolorégienne essaie de poser ces questions à son niveau dans les activités qu’elle propose en recourant à la pratique philosophique et à l’éco-pédagogie. Mais cela ne peut suffire. Le poids de la transition ne peut être porté par des individus isolés ou une collectivité comme la régionale carolo. Il doit être relayé à l’échelle gouvernementale. La laïcité organisée a un rôle de lobbying à exercer sur ce point, à commencer par l’enseignement. En ce qui concerne celui-ci, notons que si le cléricalisme est à combattre, le néolibéralisme (savoirs spécialisés, compétitivité, outils numériques, etc.) qui compromet la neutralité de l’école6 l’est tout autant. Comme le disait Paul Gimeno dans Pour une écologie de l’éducation, on ne peut faire de l’Homme un humaniste ayant à cœur une transition juste si on l’éduque dans un climat concurrentiel de rentabilité et d’excellence.

  1. Valérie Cabanes, Un nouveau droit pour la terre. Pour en finir avec l’écocide, Paris, Éditions du Seuil, 2016.
  2. Guillaume Lejeune, « La nature a-t-elle des droits ? », conférence de l’Institut Michel Villey, sous la direction d’Élodie Djordjevic et Denis Baranger, « Les 200 ans des Principes de la philosophie du droit de Hegel », juin 2021.
  3. Voir le dossier « Environnement en danger, droits bafoués », dans Espace de Libertés no 469, mai 2018.
  4. Sofía Monsalve Suárez, « Repenser les droits humains dans une perspective émancipatrice », dans Un système alimentaire à transformer, trad. Guillaume Lejeune, Louvain-la-Neuve, Syllepse, coll. « Alternatives Sud », 2022.
  5. Commission européenne, « The Just Transition Mechanism : making sure no one is left behind ».
  6. Nico Hirtt, L’école prostituée. L’offensive des entreprises sur l’enseignement, Bruxelles, Espace de Libertés, 2001.

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