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La précarité
en genre et en nombre :
un accord au féminin ?

Virginie Romeo • Directrice et Mélanie André • Chargée de projet
à Picardie Laïque

avec la cellule « Étude & Stratégie » du CAL/COM

Mise en ligne le 2 septembre 2022

Questionner notre société et promouvoir l’égalité ne va pas sans interroger les inégalités de genre, qui souvent s’additionnent à d’autres. Quelles sont les réponses à apporter pour garantir à chacune et chacun un socle de droits fondamentaux commun ? Comment la laïcité peut-elle relever le défi de faire respecter nos droits en les mettant en concordance avec différents contextes et situations qui existent aujourd’hui ? Et en particulier selon les multiples facettes de la précarité ?

Illustrations : Max Tilgenkamp

Pour apporter des pistes de réflexion, l’expérience et la connaissance de femmes, respectivement historienne, politique, chercheuse, mais surtout des « combattantes » féministes, qui ont mené et continuent de mener quotidiennement les luttes pour une société plus juste et égalitaire sont incontournables. La responsabilité du mouvement laïque est de faire en sorte que la sortie de crise ne se solde pas aux dépens des plus vulnérables.

« Si la précarité est un rapport de classes, le genre est un rapport de pouvoir »1

Au croisement de ces deux notions, il apparaît que l’« homme le plus pauvre de Wallonie est une femme ». C’est à partir de là que nous sommes allé.e.s à la rencontre de nos publics, avec pour ambition d’entendre, de recueillir les constats, les réflexions, les pistes sur lesquels ils désiraient attirer l’attention du mouvement laïque. À l’image d’une société en mouvement, nous n’avons pas fait l’économie de débats. Les enjeux actuels de société se sont donc inévitablement invités dans nos échanges. L’universalisme et l’intersectionnalité dans le féminisme ont immanquablement été évoqués en mettant l’accent sur les ponts qui existent entre eux, pour « sortir de la binarité »2 et faire vivre un féminisme uni et inclusif face aux menaces, sans cesse renouvelées, dont font l’objet les droits des femmes. Le combat des personnes LGBTQI+ a également été présent au sein des discussions en interrogeant le mouvement sur la place accordée à la transidentité, pour toujours plus d’égalité, sans pour autant invisibiliser la lutte pour le droit des femmes. La laïcité a toujours défendu cette communauté et les questions d’inégalités de genre en lien avec la précarité les touchent également, bien que le focus des rencontres a ici été davantage mis sur les inégalités femmes-hommes.

« Tu seras un homme – féministe – mon fils ! »3

La déconstruction des stéréotypes de genre, dès le plus jeune âge, est apparue comme une action prioritaire à mener, sans délai. Pour ce faire, le mouvement laïque, précurseur dans la lutte pour une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS) pour tou.te.s, demande sa généralisation effective ainsi qu’un référentiel commun de qualité. Une attention spécifique doit également être portée à la formation des enseignant.e.s au sein d’une école perçue comme un lieu où se perpétue trop souvent encore ce « dressage différentiel de sexe », plus communément appelé les « assignations de genre », lesquelles, c’est acquis, créent les conditions du sexisme. Si l’éducation féministe est à la mode, celle des petits garçons n’en est qu’à ses balbutiements. Dans ce cadre, le questionnement sur la masculinité dite « toxique », soit celle emplie d’injonctions viriles que subissent les garçons dès leur plus jeune âge, s’impose. Ces masculinités toxiques qui entravent un plein développement épanoui des petits garçons, en particulier sur le plan émotionnel, doivent être conscientisées afin d’avancer pour toujours plus d’égalité. Car à l’instar de la journaliste féministe américaine Gloria Steinem, réjouissons-nous d’avoir commencé à élever nos filles comme nos fils mais n’oublions pas que « cela ne marchera jamais tant que nous n’élèverons pas nos fils comme nos filles ».

« Si la précarité signifie moins de liens, la Belgique donne alors des primes à la solitude ! »4

Aussi, tant le réseau associatif que les représentant.e.s de la société civile venu.e.s à notre rencontre en appellent à la suppression du statut de cohabitant dont les effets sur les femmes sont délétères et dévastateurs. À cet égard, les propos de Christine Mahy, invitée de notre escale louviéroise, sont on ne peut plus clairs : « Le statut de cohabitant doit disparaître. Il empêche les solidarités intrafamiliales, il “justifie” des atteintes au respect de la vie privée, il entretient le discours sur la “fraude”, il pousse même à la délation. Or ce n’est pas de la fraude : c’est de la débrouille pour survivre. Souvent aussi de la solidarité. Une fois encore, ce sont les femmes qui en sont les principales victimes. »

Les chiffres de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes ne disent pas autre chose. Si la proportion d’hommes au foyer a plus que doublé en vingt-cinq ans, les femmes sont toujours majoritaires dans cette fonction : on en dénombre 32 pour un homme au foyer. C’est donc un changement de modèle social qui doit être urgemment mis en place : celui d’un modèle familiariste « qui a fait son temps » vers un modèle social individualisé.

Il est temps de dépasser l’archétype patriarcal qui a prévalu sur la création de la sécurité sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le sacro-saint « chef de famille » qui institue l’homme qui travaille et la femme au foyer « représente un schéma social qui prédominait il y a quarante-cinq ans »5. Un mouvement éminemment progressiste tel que le Centre d’Action laïque est appelé à se mobiliser politiquement en revendiquant la mise en place d’un « modèle plus égalitaire où chacun.e pourrait alors se construire en toute indépendance et sur la base de droits personnels, corrects et constants ».

De manière générale, une application de « correctifs » genrés à divers niveaux de l’organisation de la société semble incontournable et urgente. Ils apparaissent comme d’autant plus nécessaires au sortir de la crise de la Covid qui a été à la fois un révélateur et un accélérateur des inégalités. De plus, que craindre aujourd’hui face au début d’une crise qui s’annonce peut-être plus dangereuse encore pour les droits humains fondamentaux ?

Autres recommandations : la revalorisation des métiers du care, soit des soins aux personnes, est indispensable afin de pouvoir revaloriser ces secteurs majoritairement féminins. Le temps partiel, qui concernent 44 % des femmes qui travaillent, doit aussi être étudié afin de déterminer s’il est plus souvent subi que choisi. Améliorer les conditions de travail des femmes, notamment en prodiguant davantage de crèches et garderies pour que la charge mentale repose moins sur elles, est aussi une condition essentielle pour une société plus égalitaire. Bien entendu, toutes ces recommandations doivent s’accompagner d’un changement des mentalités en profondeur.

D’autres thématiques importantes liées à la précarité des femmes ont été abordées. La précarité menstruelle par exemple, soit le fait de ne pas avoir les moyens financiers de s’acheter des protections hygiéniques chaque mois, toucherait environ 350 000 femmes en Belgique. Un peu plus de 40 % des familles monoparentales présentent un risque de pauvreté monétaire, familles dont la majorité (80 %) ont à leur tête des femmes. Avant cela, la période de séparation et de divorce est particulièrement néfaste pour les femmes, puisque les femmes engendrent en moyenne une perte de 22 % de leur niveau de vie, contre 3 % pour les hommes… Cela ne va jamais en s’améliorant puisque, outre l’écart salarial aujourd’hui de 9,1 %, les femmes reçoivent également une pension plus faible, l’écart pouvant aller jusqu’à 28 %.

Gageons que la laïcité placera les inégalités de genre.s, abordées selon l’angle des précarités, en haut du tableau des tâches, qu’elle agira pour un monde de demain plus juste, plus égalitaire et plus solidaire. Car, pour rappeler le célèbre avertissement de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

  1. Conférence de Pascale Jamoulle, « Inégalités de genre.s et précarité », Mons, 19 mai 2022.
  2. Dossier « Féminismes : sortir de la binarité », dans Espace de Libertés, no 497, mars 2021.
  3. Aurélia Blanc, Tu seras un homme – féministe – mon fils ! Manuel d’éducation antisexiste pour des garçons libres et heureux, Paris, Marabout, 2018.
  4. Pascale Jamoulle, « Inégalités de genre.s et précarité ».
  5. Coline Coeurderoy et Caroline Delava, « L’individualisation des droits sociaux : vers un modèle social individualisé », Conseil des femmes francophones de Belgique, 7 avril 2020.

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