La tartine
Vieux, ardents
et heureux de vivre !
Pierre Marage, « Le Parrain » · Porte-parole du Gang des Vieux en Colère
Mise en ligne le 29 septembre 2023
Le sentiment de déclassement des personnes âgées est omniprésent dans notre société qui ne leur octroie une place que sous l’angle de l’appât du gain. La précarité, financière et sociale mais aussi numérique et administrative, constitue un frein important et inhumain pour le troisième âge. Pour mettre un terme à ces « déclassements » de tout ordre, le Gang des Vieux en Colère dénonce inlassablement ces injustices1.
Illustrations : Cost
Les Vieux2… Hécatombes lors de la crise de la Covid-19, scandale des maisons de retraite Orpea3, maltraitances, pensions de misère, retraite à 67 ans, exclusion numérique, persécutions administratives, taux d’emploi des seniors, etc. Quand les Vieilles et les Vieux s’invitent à la une de l’actualité, c’est le plus souvent pour le pire, le plus sinistre. Comme un poids, une charge…
Mais les Vieux, c’est aussi le plaidoyer optimiste et rebelle de François Englert, prix Nobel de physique, né en 1932 ; ce sont les inlassables témoignages contre la barbarie nazie de Simon Gronowski, né en 1931, échappé du dernier convoi vers Auschwitz ; ce sont les innombrables activités des grands-parents auprès des petits-enfants, l’omniprésence dans les associations culturelles et sociales, les écoles de devoirs, les tables de conversation en français langue étrangère, l’aide aux immigrés et aux sans-abri, les banques alimentaires et les Restos du Cœur, les cellules d’aide sociale et juridique ; et tout simplement le regard bienveillant aux voisines et voisins, aux personnes encore plus âgées, aux démunis, aux handicapés… Et les Vieux, ce sont aussi les joyeuses provocations du Gang des Vieux en Colère : traiter de choses sérieuses avec humour et dérision.
Hors la marchandise, point de valeur !
Le problème : toutes ces activités, cette énorme plus-value intellectuelle et sociale, cette implication de tous les moments n’ont à proprement parler pas de valeur. Car elles se situent hors du circuit marchand qui, en régime capitaliste, définit seul ce qui a de la valeur. Dès lors, l’idole moderne, la référence des économistes et des politiques, le sacro-saint PIB, ne prend pas en compte les contributions « gratuites » des Vieux. Pas plus qu’il n’enregistre le travail « gratuit » des femmes au sein des ménages. Et donc les Vieux ne valent rien. Ils ne sont qu’une charge. CQFD.
Comme une odeur d’argent
Les Vieux ne valent rien… sauf s’ils deviennent eux-mêmes une marchandise : l’« or gris ». C’est le calcul de promoteurs et investisseurs avisés, qui proposent maisons de repos et autres « résidences » plus ou moins luxueuses à une clientèle captive, promettant aux actionnaires des revenus mirobolants et surtout sans risques. D’autant que la Sécurité sociale couvre les frais de personnel et de soins, laissant au privé les bénéfices juteux du volet « hôtellerie ». C’est le modèle Orpea1, bien connu pour son cynisme et ses abus révoltants.
Parmi les astuces, également celle d’investisseurs immobiliers qui incitent le secteur associatif et le secteur public désargenté (les CPAS) à leur céder, moyennant quelque finance, les locaux des maisons de repos. Le privé s’engage à rénover les bâtiments, qui sont ensuite reloués à une ASBL de soins, elle-même issue du démantèlement de l’institution initiale. Les frais d’entretien sont à la charge de l’ASBL, et le bâtiment devient la propriété de l’investisseur au terme des vingt-sept ans ! Cela, c’est le modèle que la N-VA cherche à généraliser en Flandre.
Comme une odeur de mort
L’exploitation éhontée et le mépris de la dignité humaine se sont révélés dans toute leur horreur lors de la crise sanitaire. Les premières maisons de repos touchées ont été des résidences de luxe, qui ont occulté la réalité dans le pur souci de garder leur « bonne réputation ». Et la maladie y a fait des ravages foudroyants.
Ensuite, devant l’extension de la pandémie, on a laissé les Vieux mourir par milliers dans la plus effroyable solitude, avec interdiction aux familles de les approcher. Et avec interdiction aux ambulanciers de les transférer dans les hôpitaux qui manquaient de place. Par milliers, les Vieux ont été la proie d’une entreprise d’euthanasie, de liquidation, qui triait les malades dignes d’être soignés sur la base de l’âge. Avec la complicité du pouvoir politique. Une triste illustration de la vieillesse conçue seulement comme prélude à la mort.
Poids mort et maltraitance
L’équation est simple : les Vieux n’étant que des morts en sursis, ils ne sont que des poids morts. Encombrants, parfois capricieux, difficiles à raisonner, souvent centrés sur eux-mêmes et leurs souffrances, comment « gérer » les Vieux qu’on dit « désorientés » ? Il faut patience, temps, compréhension, empathie. Or les moyens manquent. Le personnel des maisons de repos est en nombre insuffisant. Il n’est pas assez formé. Il est lui-même mal payé, socialement dévalorisé, dépendant de contrats précaires. Particulièrement dans les maisons gérées par le privé, il est soumis à des impératifs d’efficacité, de rapidité, d’économie. D’où des maltraitances. Des impatiences. Des « engueulades ». Et le recours à la contention à l’égard des cas « difficiles » : immobilisation, liens aux poignets et aux chevilles, camisole de force, enfermement. Et, généralisées, les camisoles chimiques. Derrière la souffrance des Vieux, pointe aussi la souffrance des soignants prisonniers d’une logique qui leur échappe.
Pour une vieillesse digne et heureuse !
Le Gang des Vieux en Colère s’insurge contre les attaques généralisées, sous l’égide de la Commission européenne, contre le niveau, l’âge et le financement des pensions. Trop de Vieilles et de Vieux vivent dans la pauvreté – une pauvreté révoltante dans un pays dont la richesse fuit vers les paradis fiscaux. Le Gang exige donc une pension minimale de 1 690 € net par mois pour toutes et tous (indexée sur novembre 2021).
Trop de Vieilles et de Vieux arrivent à la pension malades, usés, diminués. À 67 ans, un tiers (33 %) des plus pauvres sont morts, contre 8 % des plus riches ! L’autre jour, une Vieille Gangstère a pris un taxi conduit par un monsieur de 82 ans. L’amélioration du taux d’emploi des seniors : est-ce cela, la fin de vie que nous voulons ? Le Gang exige en conséquence la pension pour toutes et tous à 65 ans.
Trop de Vieilles n’ont qu’une pension au rabais, à cause des carrières hachées, des temps partiels imposés, des salaires plus bas. Pour compenser, le Gang réclame 0 % de différence entre les femmes et les hommes.
Les augures libéraux prédisent la faillite du système des pensions actuel, fondé sur la solidarité entre travailleurs et pensionnés (le premier pilier). Ils prônent la généralisation des pensions complémentaires au sein de certaines entreprises (deuxième pilier), de l’épargne-pension et des assurances-vie (troisième pilier), et blâment même ceux qui n’ont pas procédé à des acquisitions immobilières en vue de leur vieillesse (un prétendu quatrième pilier). Le Gang exige de ce fait le renforcement du premier pilier de financement.
Non aux humiliations et au harcèlement administratif !
Il règne une atmosphère de plus en plus nauséabonde de culpabilisation des Vieux : ce que l’on appelle l’« âgisme », sur le modèle du racisme et du sexisme. Les tranches d’âge sont montées les unes contre les autres, les « productifs » sont montés contre les Vieux (et les jeunes !). Les problèmes de financement de la société, c’est la faute aux Vieux ! Ils ne servent à rien, ils coûtent cher, ils profitent, et en plus, ils réclament !
La droite entretient une suspicion généralisée à l’égard des allocataires sociaux, continuellement soupçonnés de fraude ou de tentatives de fraude : les chômeurs, les malades, les handicapés, les immigrés… et aussi les Vieux. Exemple particulièrement révoltant : les mesures imposées par le gouvernement précédent contre les personnes émargeant à la GRAPA (garantie de revenus aux personnes âgées). Ce complément de revenu attribué à ceux dont les ressources sont extrêmement faibles leur permet d’arriver presque au seuil de pauvreté. Ces personnes sont soumises à des conditions de résidence drastiques, visant à les empêcher d’aller « se la couler douce à l’étranger sur notre dos ».
Le gouvernement fédéral n’avait rien trouvé de mieux que d’organiser la surveillance des allocataires de la GRAPA par… le facteur. Si ce dernier ne les trouvait pas chez eux lors de trois passages à l’improviste, leur allocation leur était enlevée. Vous imaginez le stress des personnes âgées, malentendantes, se déplaçant difficilement, inquiètes de ne pas entendre le coup de sonnette ou de ne pas descendre assez vite, n’osant pas sortir de chez elles pour aller faire leurs courses ou voir leurs enfants ? Comment a-t-on pu inventer un système aussi vicieux, aussi humiliant, aussi méprisant à l’égard précisément des plus faibles et des plus démunis ? Il y a de quoi être en colère, non ?
Non au tout-numérique !
Avec la généralisation du numérique, la priorité est dorénavant accordée au digital ! C’est le mot d’ordre dans le privé, et aussi désormais dans les services publics : l’illusion de la modernité et l’espoir d’économies de personnel (mais quels coûts financiers pour les consultants, pour la cybersécurité, quels coûts environnementaux des clouds et des serveurs ?) vont de pair avec le lobbying des multinationales des télécoms et la suppression de presque tous les guichets physiques. Pour prendre rendez-vous ? Envoyez un e-mail. Parler à quelqu’un au téléphone ? Faites le 1, faites le 2, faites le 3…
Quatre personnes sur dix en Belgique sont en situation de faiblesse face au numérique et victimes de la logique de sites conçus par des technocrates éloignés des réalités sociales : personnes maîtrisant mal la langue ou peu lettrées, malentendants, malvoyants, handicapés… et beaucoup de Vieilles et de Vieux, même très cultivés mais peu familiarisés avec ce monde technologique. Et cela, c’est sans compter les coûts – équipement, abonnements – et le stress – peur de mal répondre, difficulté à revenir en arrière ou à corriger, crainte des arnaques, terreur de se tromper dans les mots de passe et d’être bloqué.
Même aller chercher de l’argent liquide est devenu une épreuve, car il y a de moins en moins de distributeurs. Payez avec votre carte ! Et si je me la fais voler ? Et si j’oublie mon code ? Et comment savoir ce qu’il reste sur mon compte, car je n’ai pas d’accès électronique ?
Ce dont les utilisateurs les plus faibles ont besoin, ce ne sont pas de machines, mais d’humains bienveillants, compétents, disponibles, à qui exposer les problèmes et avec qui discuter – quitte à se répéter pour être sûr d’être bien compris. Une société qui broie les personnes au nom du profit et de la rentabilité, est-ce cela que nous voulons ? Voilà pourquoi les Vieux gangsters sont en colère !
Des Vieux ne te moque, car toi aussi tu seras… un vioc !
Le Gang des Vieux en Colère est un mouvement citoyen indépendant, non partisan et transpartisan, qui revendique quelque 15 000 sympathisants, à Bruxelles et dans toute la Wallonie (et quelques-uns en Flandre). Le Gang lutte pour que les Vieilles et les Vieux puissent bénéficier de conditions de vie décentes, et pour que les générations futures puissent vieillir dans la dignité. Il se mobilise notamment contre les pensions de misère et la vie chère, contre le harcèlement administratif des personnes âgées et le tout-numérique, et contre la maltraitance des Vieux. Le Gang s’est rendu fameux par ses actions spectaculaires, menées avec humour et dans la bonne humeur. Il communique abondamment sur son site Web et via Facebook.
- Le chapô est de la rédaction.
- Le Gang tient aux majuscules, marqueurs d’appartenance et de fierté, car elles sortent de la banalité le terme de « vieux », banalisant voire dépréciatif avec une minuscule.
- Groupe privé français fondé à la fin des années 1980 par le neuropsychiatre et homme d’affaires Jean-Claude Marian tristement connu pour ses méthodes de gestion brutales et ses maltraitances, NDLR.
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