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Former de futurs
citoyens critiques

Hélène Caels · Enseignante de philosophie et citoyenneté à Bruxelles

Mise en ligne le 17 avril 2023

Emmener les élèves sur le chemin de la citoyenneté, notamment grâce à la philosophie, c’est le but du CPC. Après sept ans d’existence et la confirmation de son utilité, il est grand temps d’élargir le cours de philosophie et citoyenneté à deux heures par semaine pour tous les élèves.

Illustrations : Cäät

Depuis la rentrée scolaire de septembre 2016 pour les primaires et celle de septembre 2017 pour les secondaires, tous les élèves de l’enseignement officiel de la Fédération Wallonie-Bruxelles bénéficient d’une période de cinquante minutes par semaine pour aborder les questions de citoyenneté sous le prisme de la philosophie. Mais est-ce suffisant ? Face à la montée des propos discriminants, haineux ou encore antidémocratiques, l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté (EPC) et le cours de philosophie et citoyenneté (CPC) offrent des espaces de dialogue et de réflexion qui permettent d’améliorer et de renforcer le vivre ensemble en contribuant à la formation de futurs citoyens critiques et éveillés.

Il était temps ! Voici près de dix ans que la philosophie arrive au sein des programmes scolaires belges. En effet, en 2007, la Belgique avait été pointée du doigt dans un rapport de l’Unesco qui mettait en lumière le manque d’éducation à la philosophie dans notre pays. Cependant, les tentatives pour offrir aux élèves de l’enseignement francophone belge un cours de philosophie avaient été nombreuses et dataient parfois de plus de trente ans (Yvan Ylieff en 1991, André Flahaut en 1998 ou encore Hervé Hasquin en 2000). Ce n’est pourtant qu’après les attentats de Charlie Hebdo à Paris en 2015, suivis des attentats de Bruxelles en 2016, que les questions de la citoyenneté et du vivre ensemble ont été mises sur le devant de la scène politique belge francophone. À la suite de cela, les lignes ont enfin bougé : le décret relatif à l’instauration d’un cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté en Fédération Wallonie-Bruxelles était promulgué.

Un cours qui rassemble

Les élèves se côtoient toute l’année, ils « vivent » ensemble plus de trente-six heures par semaine et sont soumis au rythme des matières qui s’enchaînent. À la différence des cours généraux centrés sur une discipline, l’EPC ou le CPC constitue un espace où les élèves peuvent échanger et réfléchir sur des sujets d’actualité ou de société, grâce aux outils philosophiques. Cet espace n’existait pas il y a encore sept ans. Précédemment, c’était aux cours de religion ou de morale que ces thématiques pouvaient être abordées. Cependant, un problème persistait : les élèves y étaient séparés en petits groupes, par conviction. Or grâce à l’arrivée du CPC, ils sont rassemblés et ils peuvent se pencher ensemble sur des questions fondamentales de société.

La confrontation de points de vue

Aborder des thèmes de société avec l’entièreté des élèves peut paraître banal. Cette approche est pourtant essentielle, car c’est justement ce qui donne lieu à la confrontation des points de vue. Être capable d’écouter un avis qui est divergent du sien est un apprentissage primordial en démocratie, tant en primaire qu’en secondaire. Cela favorise le décentrement et la prise de recul sur ses idées et ses opinions. De plus, dans les discussions philosophiques, les élèves doivent parfois défendre un point de vue qui n’est pas le leur, ce qui leur permet de remettre en question leurs certitudes et d’être plus ouverts aux arguments des autres. Même si les élèves n’ont pas toujours l’habitude de la remise en question, grâce à l’étonnement et au questionnement, qui sont à la base de la réflexion philosophique, ils développent leur esprit critique.

L’exercice de la démocratie

Le cours aborde la question de la démocratie de deux manières différentes. L’approche théorique contribue à une meilleure connaissance de l’ensemble des droits et devoirs liés à la citoyenneté par l’étude de textes philosophiques. Une approche théorique qui se frotte à la pratique d’une citoyenneté vécue au sein de la classe, de l’école et de la société, en participant et en partageant la vie de la « cité ». Cela peut se concrétiser par des sorties au Parlement, au palais de justice, lors d’un conseil communal, etc. Ces expériences de la démocratie permettent aux futurs citoyens de mieux comprendre le système politique dans lequel ils évoluent, de l’interroger et d’y prendre une part active. En favorisant cette approche de terrain, les cours d’EPC-CPC contribuent à la diminution des propos antidémocratiques par une meilleure compréhension du concept de la démocratie.

Une approche universaliste

En rappelant que tous les élèves sont des citoyens égaux en droit, l’enseignant d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté les invite à mettre en avant leur citoyenneté commune plutôt que leurs particularités personnelles, ce qui renforce le vivre ensemble. Cette approche universaliste agit comme un instrument d’émancipation des élèves qui leur permet ensuite d’acquérir une autonomie de pensée. Certains mouvements identitaires accroissent, au contraire, le communautarisme et affaiblissent ainsi petit à petit le ciment de la société. Ils enferment les citoyens dans des cases, renforcent les stéréotypes existants, et empêchent la pratique du doute et de la remise en question. C’est pourquoi il est primordial de rappeler en philosophie et citoyenneté l’importance et la place de la loi civile. Elle est applicable à chaque citoyen et est la même pour toutes et tous car, ce qui compte, ce sont les actes et non la personne ou son identité. Les cours d’EPC et le CPC permettent ainsi d’apporter une meilleure connaissance du système juridique et politique dans lequel vivent les élèves et une meilleure compréhension de la société dans laquelle ils évoluent. Grâce aux théories et aux réflexions philosophiques, ce travail contribue à renforcer la notion de collectif.

Le manque de moyens

Actuellement, les élèves ne bénéficient que d’une période de cinquante minutes par semaine. Face aux enjeux de la société contemporaine, ils auraient besoin d’au moins deux périodes par semaine, à savoir deux fois cinquante minutes, pour pouvoir acquérir des outils d’analyse et de réflexion sur la société. Allant dans ce sens, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté, le 1er décembre 2021, une résolution recommandant le passage du cours de philosophie et citoyenneté à deux heures par semaine dans l’enseignement officiel. Et pourtant, malgré ce vote, les élèves et les professeurs ne bénéficient toujours que d’une période par semaine. Ce statu quo est difficilement tenable et empêche de développer tout le potentiel du cours. Il y a une réelle inadéquation entre les enjeux et les moyens. En raison de l’étroitesse de l’horaire, certains élèves ne comprennent parfois pas l’utilité du cours, tandis que de nombreux enseignants sont épuisés par le rythme soutenu d’un cours à une heure par semaine, ce qui implique d’avoir 300 ou 400 élèves sur plusieurs implantations scolaires différentes.

Un outil essentiel du vivre ensemble

Bien évidemment, le cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté ne va pas résoudre à lui tout seul, même avec deux heures par semaine, tous les problèmes du vivre ensemble. Néanmoins, il permet de lui donner de la consistance et de le développer au fil des années. Étant donné que les élèves bénéficient du cours d’EPC-CPC durant toute leur scolarité, il constitue un outil important pour les entraîner à la confrontation pacifique des points de vue, au doute et au décentrement par rapport à leurs propres idées grâce au questionnement philosophique. En même temps, il sensibilise les élèves à la notion d’intérêt collectif et à la participation à la vie politique et sociale. Ce faisant, il poursuit le double objectif de renforcer le vivre ensemble et de former les citoyens critiques et éclairés de demain.

  1. Cet article est une version revue de « Améliorer “le vivre-ensemble” en classe au cours de philosophie et citoyenneté », paru dans Éduquer, no 175, janvier 2023. Il est publié ici avec l’aimable autorisation de la LEEP et de son auteure.

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