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Ce que veulent les jeunes

Sabine Schrader · Journaliste

Mise en ligne le 17 avril 2023

L’adage est connu : nous vivons un changement d’époque. Remise en question des certitudes sur lesquelles nos sociétés se sont construites durant des siècles, des frontières nationales, du système patriarcal, des modes de fonctionnement de nos démocraties, d’un modèle économique générateur d’inégalités, le tout sur fond de crise climatique. Face à ces multiples chamboulements, il n’y a pas une jeunesse, mais des jeunesses. Car il est un clivage qui ne change pas : celui de la fracture socioculturelle.

Illustrations : Cäät

À l’automne 2021, Olivier Galland, sociologue, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la jeunesse, et Marc Lazar, historien et sociologue des politiques, consacraient une enquête aux 18-24 ans, l’intitulant « Une jeunesse plurielle1 ». Car il n’y a pas une jeunesse, mais bien des jeunesses. Avec deux grands constats à la clé : celui, malheureusement toujours d’actualité, du lien entre le nombre de livres présents dans le foyer d’où le jeune est issu et celui de son intérêt pour la res publica. Pire, 26 % des jeunes interrogés, dont le capital culturel est plutôt faible, sont totalement en retrait de la vie politique. Le second constat, en revanche, marque une vraie rupture avec le passé : désormais, les filles sont très investies dans les grandes questions sociétales, que ce soit l’environnement, les inégalités, le racisme ou les violences faites aux femmes. Mais si elles réfutent la violence, respectent le cadre démocratique et veulent s’impliquer, elles ne trouvent pas de réponses dans les structures et les associations politiques. Est-ce à dire que l’engagement est dorénavant ailleurs ?

Le concept de démocratie,
grand absent du programme scolaire

« Je rêve d’une société qui sorte du capitalisme », explique Émilie, 22 ans. « Car tout est lié : il faut cesser de culpabiliser les gens pour ce qu’ils achètent, ce qu’ils font, alors qu’on est totalement prisonniers de ce système. Ce n’est pas comme ça qu’on résoudra la crise environnementale. Le politique est beaucoup trop rattaché au secteur économique. Ce sont les grands groupes industriels qui dictent leur loi au politique, qui n’a pas l’honnêteté de l’admettre. » Marie, 24 ans, est plus nuancée : « Je garde une certaine confiance dans les structures politiques et dans le vote, même s’il y a des choses à changer et des hommes politiques pourris. Mais on n’a rien inventé de mieux. La démocratie directe, ça marche pour un quartier ou un village, pour des décisions très locales, mais pas au niveau d’un pays. Ceux qui croient cela sont utopistes. »

Mais il est une autre jeunesse, qui reconnaît ne pas entendre grand-chose à la politique : « On va voter dès 18 ans alors qu’on ne connaît pas les programmes des partis », déplore Samantha, 21 ans. « J’ai demandé à mes parents de m’éclairer et j’ai voté comme eux, mais je trouve que c’est à l’école de nous expliquer les différents partis et leur programme. » Cette méconnaissance est partagée par Dylan, la vingtaine : « Moi, j’ai voté blanc. J’avais demandé des infos à ma famille, mais elle ne s’intéresse pas vraiment à ça. »

Véronique de Thier, responsable politique à la FAPEO, confirme le vide en la matière dans l’enseignement secondaire : « C’est l’un des rôles de l’école de former des citoyens libres et émancipés. On est particulièrement interpellé par ces jeunes qui ne sont ni outillés ni équipés, alors que pour les élections européennes, on a baissé l’âge du vote à 16 ans ! Il faut absolument leur expliquer pourquoi voter, quelles sont les institutions, à quoi ça sert… et plus globalement, ce qu’est la démocratie. » D’autant plus que cette dernière est un concept fort mis à mal, à la faveur des multiples scandales qui émaillent le monde politique, mais aussi à cause des réseaux sociaux, principale source d’information pour de nombreux jeunes. « J’ai coupé le contact avec certains de mes amis car ils commençaient à avoir des discours extrémistes », explique Dylan. « Ça a démarré avec des petites choses, comme cracher sur un passage pour piétons peint aux couleurs LGBT… et puis ce sont des remarques ouvertement intolérantes par rapport aux gays. Je trouve qu’il y a une violence vis-à-vis de certaines communautés qui est de plus en plus marquée. Et ce genre d’attitude, je l’ai constaté chez des gens après qu’ils ont commencé à s’intéresser à la politique. »

L’enquête d’Olivier Galland et de Marc Lazar confirme cette tendance : 51 % des jeunes interrogés considèrent qu’un gouvernement démocratique, ce n’est pas si important. Un résultat qui, selon les sociologues, révèle une incompréhension de la démocratie telle qu’elle fonctionne. Mais l’étude met aussi en exergue une absence de prise de position pour une couleur politique précise. Et le vieux fossé entre jeunes issus de milieux socioculturels favorisés où les questions politiques sont débattues et ceux issus de familles au capital culturel faible de ressurgir… « Le danger avec les familles plus précarisées, c’est que leur lutte et leurs préoccupations sont ailleurs : dans le quotidien, dans le fait d’essayer de s’en sortir chaque mois », déplore Véronique de Thier. « C’est un danger car ça crée des différences entre les jeunes et un rejet du politique pour certains. Pour lutter contre le désengagement politique, il faut aussi lutter contre la précarité. »

Mieux que Mai 68 !

Parmi les préoccupations qui mobilisent les jeunes, il y a bien sûr la problématique du climat. Nelle, 16 ans, est engagée chez Youth for Climate depuis l’été dernier. Mais selon elle, pas question d’isoler la problématique du réchauffement climatique d’autres sujets de société : « Quand on s’intéresse au climat, on se rend compte que c’est aussi un problème de justice sociale. Les conséquences du réchauffement climatique touchent en premier lieu les populations les plus pauvres, il suffit de regarder l’impact sur le continent africain. Les questions de discrimination et le climat, tout cela va ensemble. C’est parfois difficile d’être engagé car on a l’impression de devoir tout défendre en même temps ! » Elle n’est pas la seule à relier les problématiques : de la question environnementale à la lutte contre toutes les inégalités, les combats sont liés. « On est dans une époque de changement, les mentalités évoluent », se réjouit Émilie. « Les anciennes générations se plaignent quelquefois que leur liberté de parole est menacée, mais moi je trouve important que quand on s’adresse à des minorités, on parle avec bienveillance, on fasse attention à ne heurter personne, à être inclusif. C’est la fin de la suprématie de la société blanche, raciste et patriarcale. On est tous égaux, on a tous le droit d’être écoutés. C’est un vrai changement. Encore mieux que Mai 68, car c’est plus profond. Je me sens personnellement plus proche d’un jeune qui habite à l’autre bout de la planète que de quelqu’un d’une autre génération. »

Mais si l’enthousiasme de certains rappelle les combats de Mai 68, il y a néanmoins une grande différence : « Les jeunes se sentent aujourd’hui plus citoyens du monde, il n’y a plus un attachement à la Belgique de papa, observe Véronique de Thier. Quand ils se mobilisent pour les réfugiés, ils s’interrogent sur l’existence des frontières. C’est aux partis politiques de s’emparer de tous ces engagements, de toute cette force pour une autre société demain.» Mais il faut bien constater qu’à part certaines initiatives très ponctuelles, comme les sessions du parlement de la jeunesse, les espaces de parole restent très rares. La responsable de la FAPEO s’en inquiète : « Lors de la session organisée sur la santé mentale des jeunes, juste après la Covid, on a entendu des interventions particulièrement pertinentes, on s’est rendu compte que notre jeunesse n’allait pas bien. Mais les revendications des jeunes ne sont vraiment pas prises en considération dans les politiques les concernant ; pour mobiliser cette jeunesse, il faut entendre ce qu’elle a dire. »

Décliner les différentes formes d’engagement

L’action citoyenne chez les jeunes se fait aussi multiple et quotidienne : rejoindre un collectif qui défend les sans-papiers, prendre une soupe dans une cantine dont les bénéfices sont investis dans un projet de salle de répétition pour les artistes, soutenir des projets locaux et inclusifs, faire ses achats dans des coopératives, intégrer des cercles étudiants militants. Toutes ces initiatives donnent à penser qu’une autre société est possible. Et puis, il y a les actions plus médiatiques : « Participer à des actions organisées comme les grèves pour le climat, c’est important, d’autant que Youth for Climate est un groupe international qui a une grande visibilité, constate Nelle. Je m’intéresse aussi à la politique, mais d’une façon plus théorique. La démocratie, c’est essentiel, sinon on a quoi ? Une dictature. Et dans ce cas, on n’a plus voix à rien. En Belgique, le système est bien, le fait qu’il y ait plusieurs partis au pouvoir permet de représenter tout le monde. Mais pour l’efficacité, c’est moyen. Tout est trop lent, particulièrement en matière de climat. C’est aussi pour ça que je trouve qu’il est important de montrer ses opinions autrement qu’en allant voter. En revanche, je ne veux pas faire de la désobéissance civile. Je suis contre la violence, même si je peux comprendre les motivations de ceux qui le font. »

S'engager pour demain

Mais l’engagement politique n’a pas disparu pour autant : d’après Cardaine, 15 ans, membre des RedFox1, faire bouger les choses passe plutôt par là : « Quand on prend conscience de ce à quoi sert la politique, que c’est aussi pour les jeunes, que c’est nous qui ferons la société de demain, on a envie de s’investir. C’est très important. Trop peu de jeunes se rendent compte que tout se joue dans la sphère politique, que les décisions sont prises par le monde politique. Or celles qui sont prises aujourd’hui vont nous toucher, puisque nous sommes les citoyens de demain. À nous de bouger, ce ne sont pas les adultes qui doivent faire des choix qui auront des répercussions sur la société de demain. »

  1. Olivier Galland et Marc Lazar, « Une jeunesse plurielle. Enquête auprès des 18-24 ans », février 2022.
  2. Le groupe des jeunes (15-18 ans) membres du PTB.

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