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Droit de vote à 16 ans :
un enjeu démocratique

Benjamin Biard · Chargé de recherches au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP)

Mise en ligne le 17 avril 2023

En mai 2024, les Belges de plus de 16 ans pourront voter aux élections européennes. Cet abaissement de l’âge de vote à ce scrutin s’inscrit dans un processus historique et est en même temps lié aux enjeux contemporains. Mais avec quels impacts ?

Illustrations : Cäät

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, seul un infime segment de la population belge bénéficiait du droit de vote. Celui-ci s’est considérablement élargi depuis lors, au point que le corps électoral n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. Pourtant, à l’instar de nombreux autres États, la Belgique est frappée depuis au moins trente ans par une crise majeure de la démocratie représentative. Celle-ci se traduit notamment par une baisse de la participation électorale, ainsi que par un vote exprimé en faveur de partis non traditionnels1, au premier rang desquels des partis antisystème. En 2022, et conformément à l’accord du gouvernement Vivaldi (qui associe PS, MR, Écolo, CD&V, Open VLD, Vooruit et Groen sous la houlette d’Alexander De Croo), les autorités fédérales ont décidé d’élargir le droit de vote afin de renforcer la dynamique démocratique en permettant aux jeunes de voter aux élections européennes dès l’âge de 16 ans. Dans quel contexte historique cette réforme s’inscrit-elle ? Quels en sont les impacts attendus ? Comment appréhender le prochain scrutin européen ?

Un élargissement continu

Si la Constitution belge prévoit d’emblée la mise sur pied d’un régime démocratique de type représentatif, seule une petite portion de l’électorat bénéficie alors véritablement du droit de vote, et ce, jusqu’au début des années 1890. En effet, le suffrage est d’abord réservé aux citoyens âgés de 25 ans accomplis payant un impôt minimal : le cens. Par conséquent, seul 1,1 % de la population dispose du droit de vote. Depuis lors, le corps électoral s’est considérablement élargi, et ce, à la faveur de réformes successives. En ce qui concerne la Chambre des représentants, tous les hommes âgés de 25 ans et plus ont pu voter à partir de 1893, d’abord sur une base inégale (vote plural) puis, à partir de 1919, selon le principe « un homme, une voix ».

Il a en revanche fallu attendre 1948 pour que les femmes acquièrent le droit de vote2. En 1998, il a été décidé que les Belges résidant à l’étranger pourraient aussi prendre part à ce type de scrutin. Les non-Belges ont également reçu certains droits politiques, mais limités à deux arènes électorales : les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne (UE) peuvent participer aux scrutins européens depuis 1984 et communaux depuis 1999. Depuis 2004, les autres étrangers peuvent, dans certaines conditions, s’inscrire pour voter aux élections communales.

L’âge est un dernier paramètre qui a évolué. En 1831, il est permis de voter à partir de 21 ans au niveau communal et de 25 ans aux autres niveaux. Après avoir été abaissée à 21 ans partout en 1870, cette condition est relevée à 25 ans pour la Chambre et même à 30 ans pour les autres scrutins lorsque le suffrage est élargi à tous les hommes en 1893. L’obtention du suffrage universel pur et simple en 1919 ramène cette condition à 21 ans à tous niveaux. Il faut attendre 1969 pour que l’âge autorisant le droit de vote passe à 18 ans pour les élections communales, 1979 pour les élections européennes et 1981 pour les autres scrutins.

Parallèlement à l’évolution de ce dispositif représentatif, d’autres mécanismes plus participatifs voient aussi le jour en Belgique, et ce, afin d’accroître la légitimité du système politique et, partant, des politiques publiques. Progressivement, et particulièrement au tournant des xxe et xxie siècles, le législateur prévoit ainsi l’organisation de consultations populaires – et ce, à différents niveaux de pouvoir – et la mise sur pied de commissions délibératives3. Dans les deux cas, ces dispositifs sont ouverts aux citoyens dès lors qu’ils sont âgés de 16 ans accomplis.

C’est en tant que jalon supplémentaire visant à renforcer la démocratie que la Chambre des représentants a adopté le 19 mai 2022 une loi permettant aux jeunes âgés de 16 ans accomplis de voter pour le Parlement européen. Avant la Belgique, seuls trois autres États ont abaissé l’âge du droit de vote pour le scrutin européen : la Grèce (17 ans), l’Autriche et Malte (16 ans).

Un impact à nuancer

L’adoption d’une norme visant à élargir encore le corps électoral s’inscrit donc dans une tendance entamée depuis bien longtemps et tend à inclure davantage de citoyens dans la dynamique démocratique collective. En ce sens, elle constitue un progrès notable. Toutefois, l’impact concret de la participation de jeunes âgés de 16 à 18 ans dans le cadre des élections européennes doit être nuancé à au moins trois égards.

Tout d’abord, si la Belgique est le pays membre de l’Union européenne où le taux de participation aux élections européennes de 2019 était le plus élevé (88,5 %)4, il n’en connaît pas moins un recul constant depuis 19995. Et il n’est pas certain que la réforme abaissant l’âge du droit de vote suffise à rééquilibrer cette tendance.

Ensuite, si le droit de vote est fixé à 16 ans pour ce niveau de pouvoir, l’inscription des jeunes sur une liste d’électeurs est rendue facultative. L’obligation de vote intervient seulement après inscription sur ladite liste (ou à partir de 18 ans). La question de la participation effective de ces jeunes demeure donc entière – surtout qu’il s’agit d’élections souvent catégorisées « de second ordre »6. Elle est d’autant plus cruciale que plusieurs enquêtes démontrent que les jeunes ne sont pas nécessairement demandeurs de cette réforme. Par exemple, en 2015, le Conseil de la jeunesse de la communauté française (aujourd’hui Forum des jeunes) a réalisé une étude auprès d’un millier de jeunes âgés de 16 à 21 ans pour mieux cerner leur positionnement en la matière et a révélé que la grande majorité d’entre eux (79 %) étaient opposés à l’abaissement du droit de vote. Ils s’estimeraient en effet en manque de maturité ou de connaissances politiques et, pour un certain nombre d’entre eux, se désintéresseraient de la politique. D’autres enquêtes ont abondé dans le même sens7.

Enfin, le nombre de députés européens à élire en Belgique (21) est particulièrement restreint et le nombre de voix – tout au plus 200 000 à 300 0008 – qui s’ajoutent au corps électoral à travers cette réforme est relativement faible. Par conséquent, la participation de jeunes âgés de 16 à 18 ans ne sera vraisemblablement pas déterminante pour le résultat de l’élection ou, à tout le moins, ne provoquera pas de séisme électoral.

De la socialisation politique des jeunes

La littérature en science politique reconnaît que les jeunes votent moins que la moyenne, notamment parce qu’ils manquent d’outils pour décoder la vie politique, car ils n’ont pas acquis l’habitude de voter, parce qu’ils privilégient des formes de participation politique moins conventionnelles ou encore car ils sont plus perméables aux idées populistes et plus critiques quant au fonctionnement de la démocratie9. Dès lors, l’élargissement du droit de vote à des catégories de la population plus jeunes doit s’accompagner d’un encadrement plus intense. En effet, ainsi que le suggère Annick Percheron, on ne naît pas intéressé par la politique, on le devient10.

Si les agents de socialisation politique sont nombreux et se complètent mutuellement, l’école constitue toutefois un acteur majeur. D’ailleurs, en Belgique francophone, les établissements d’enseignement secondaire disposent déjà de moyens (notamment humains) pouvant être déployés à cette fin. Par exemple, le cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) dispensé depuis 2017 à raison d’une heure par semaine dans les établissements de l’enseignement officiel11 en Communauté française peut représenter un formidable lieu de réflexion mais aussi d’apprentissage de la citoyenneté. Il peut dès lors permettre de mieux cerner les enjeux du vote, les acteurs et les idéologies en présence, ainsi que les conséquences de la (non-)participation électorale. Pour ce faire, les enseignants peuvent innover et faire preuve de créativité, mais également recourir à une palette d’outils existants. Tel est le cas des applications d’aide au vote (ex. : De Stemtest/Test électoral), souvent proposées par le milieu académique. Alors que des recherches ont démontré l’effet que peut présenter le recours à ce type de dispositifs sur le comportement électoral12, les mobiliser peut aussi aider les jeunes électeurs à mieux appréhender la réalité électorale. D’autres structures ou institutions mettent également à la disposition du plus grand nombre des outils variés, comme le vocabulaire politique du CRISP13 ou les fiches pédagogiques proposées par Bruxelles-J à destination des jeunes14.

Et après ?

L’abaissement du droit de vote à 16 ans dans le cadre des élections européennes constitue indéniablement un progrès démocratique. Il n’en demeure pas moins que son impact doit être nuancé. Mais des acteurs de différentes natures et des outils très divers peuvent être mobilisés afin d’accroître la socialisation politique des jeunes et de faire de cette réforme une occasion permettant de revitaliser la démocratie. Et si cette réforme n’était qu’une étape vers un élargissement plus global, à différents niveaux de pouvoir, du droit de vote et de la participation politique ?

  1. Ainsi, lors du scrutin du 26 mai 2019, les six partis traditionnels (socialistes, libéraux ou de filiation sociale-chrétienne) n’ont pas réussi à rassembler, ensemble, 50 % des suffrages exprimés : ils ont totalisé 44,9 % des votes valables à la Chambre des représentants et 45,9 % au Parlement européen.
  2. Si les femmes accèdent au vote lors des élections communales dès 1920, seules deux catégories particulièrement limitées peuvent voter aux autres élections avant 1948 : d’une part, les veuves de guerre et les mères de soldats morts et de civils tués par l’ennemi lors de la Première Guerre mondiale ; d’autre part, les femmes qui, pour des raisons d’ordre patriotique, ont été emprisonnées durant l’occupation allemande de 1914-1918.
  3. Le 25 février 2019, le Parlement germanophone a adopté un décret par lequel il a mis en place un dispositif de délibération citoyenne inédit : le dialogue citoyen permanent. À ce propos, cf. Christoph Niessen et Min Reuchamps, dans « Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone », dans Courrier hebdomadaire, CRISP, no 2426, 2019.
  4. Cela peut s’expliquer par le caractère obligatoire du vote, mais aussi par le fait qu’il s’agissait d’un scrutin multiple, avec des élections à la fois régionales, communautaires, fédérales et européennes.
  5. Le taux de participation se stabilisait alors à 91,1 % pour les élections européennes. À ce propos, cf. Benjamin Biard, Pierre Blaise, Jean Faniel, Cécric Istasse et Caroline Sägesser, « Les résultats des élections fédérales et européennes du 26 mai 2019 », dans Courrier hebdomadaire, CRISP, nos 2433-2434, 2019, pp. 118-120.
  6. Nicolas Sauger, « Élections de second ordre et responsabilité électorale dans un système de gouvernance à niveaux multiples », dans Revue européenne des sciences sociales, vol. 53, no 1, 2015, pp. 21-47.
  7. Cf., par exemple, Bernard Fournier, « Voter à 16 ans : une idée pour contrer l’apolitisme des jeunes ? », dans Les politiques sociales, nos 3-4, 2015, pp. 119-130.
  8. Au 1er janvier 2022, les Belges de 16 et 17 ans étaient au nombre de 233 512. Néanmoins, ces chiffres sont amenés à évoluer d’ici à 2024. Par ailleurs, les ressortissants d’un autre État membre de l’UE âgés de 16 ans accomplis et résidant en Belgique bénéficieront désormais également du droit de vote lors des élections européennes. Toutes nationalités confondues (UE et hors UE), 26 289 jeunes étrangers âgés de 16 à 18 ans étaient à recenser en Belgique au 1er janvier 2022. Source : Statbel.
  9. Jean-Benoit Pilet, Maria Jimena Sanhueza, Silvia Erzeel, Didier Caluwaerts et Dave Sinardet, « Une démocratie sans électeurs ? Une analyse de l’abstention électorale », ULB-VUB-Itsme, 2021, p. 25.
  10. Annick Percheron, La socialisation politique (textes réunis par Nonna Mayer et Anne Muxel), Paris, Armand Colin, 1993.
  11. Le gouvernement de la Communauté française envisage actuellement de rendre le cours de religion/morale facultatif dans l’enseignement officiel dès 2024 et de le remplacer par une heure supplémentaire de CPC.
  12. Cf., par exemple, David Talukder, Laura Uyttendaele, Isaïa Jennart et Benoît Rihoux, « The impact of VAAs on vote switching at the 2019 Belgian legislative elections: more switchers, but making their own choices », dans Politics of the Low Countries, no 1, 2021.
  13. « Vocabulaire politique », lexique de termes qui sont d’usage courant dans la vie politique mais aussi socio-économique en Belgique élaboré par le CRISP
  14. « Bruxelles-J, le site d’information pour les jeunes »

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