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Femmes en politique,
où en sommes-nous ?

Diane Gardiol · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 14 février 2022

Malgré un accroissement du nombre de femmes gravitant dans la sphère politique, la parité est loin d’être acquise. Quelles sont les raisons de la sous-représentativité des femmes dans les strates du pouvoir, et comment encourager leur présence dans les cénacles décisionnels et arriver à une représentativité politique plus égalitaire ?

Illustration : Cäät

Il a fallu patienter longtemps pour que les femmes soient incluses dans le terme « égalité entre tous les hommes »… Ce n’est qu’en 1919 que la loi belge permet enfin aux femmes de voter et d’être candidates aux élections communales, si leur mari les y autorise. Il faudra attendre 1948 pour qu’un réel suffrage universel mixte soit adopté, avec un droit de vote à toutes les élections et une éligibilité à tous les niveaux de pouvoir. Un tableau formel qui cache une réalité heureusement plus nuancée, puisque les femmes sont impliquées depuis toujours dans l’exercice du pouvoir, mais souvent comme actrices de l’ombre et effacées de l’histoire ! La politique symbolise le pouvoir, et les femmes n’y sont pas les bienvenues. Aujourd’hui encore, on ne peut nier que ce domaine reste largement régi par des règles et valeurs patriarcales.

Malgré le fait que les femmes obtiennent davantage le droit d’exprimer leur opinion politique, elles ne sont guère nombreuses à être élues ou choisies pour l’exercice du pouvoir. Raison pour laquelle des lois de discrimination positive sont adoptées et modifient nettement le paysage politique dans le courant du xxe siècle. C’est ainsi que la loi Smet-Tobback, votée en 1994 et appliquée pour la première fois aux élections de 1999, prévoit un quota de deux tiers  ’hommes ou de femmes au maximum sur les listes électorales. Effet de cette loi : le nombre de femmes élues à la Chambre augmente d’environ 10 % (on passe de 12,7 % en 1995 à 23,3 % en 1999). Une évolution positive, mais insuffisante.

L’article 11bis de la Constitution, inséré en 2002, contribue enfin à accélérer le processus en inscrivant noir sur blanc qu’il garantit aux femmes et aux hommes « l’égal exercice de leurs droits et libertés, et favorise notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics ». À la suite de cette modification, trois lois sont adoptées la même année et vont ainsi assurer la présence égale de femmes et d’hommes sur les listes électorales aux élections législatives, régionales et européennes, ainsi que la mixité des exécutifs au niveau fédéral, des communautés et régions. Ces lois ont permis un véritable boom dans la représentativité des femmes dans les différents parlements, comme en témoignent les dernières élections de 2019 : 43,33 % à la Chambre, 43,8 % au Parlement bruxellois et 41,3 % au Parlement wallon1. Un exemple concret de l’effectivité de la politique des quotas.

Mais dans la pratique...

Si sur papier et dans les statistiques, on constate une progression, on peut légitimement se demander si dans les faits, les femmes exercent réellement le pouvoir autant que les hommes. En effet, bien que depuis les dernières législatives des femmes occupent les postes de ministres de l’Intérieur, des  Affaires étrangères et de la Défense, jusqu’à récemment les ministères les plus importants en matière de pouvoir étaient encore majoritairement attribués aux hommes. Les femmes ont longtemps été, et continuent souvent d’être reléguées aux postes concernant les affaires sociales, familiales et de santé. Espérons que le changement induit en 2020 au niveau fédéral se poursuive et qu’il amène une évolution dans les autres strates décisionnelles. Car, si le gouvernement est aujourd’hui paritaire, la désignation des chef.fe.s de cabinets ne l’est toujours pas. Parmi les vice-Premiers ministres, on ne dénombre  qu’une seule femme cheffe de cabinet, à savoir chez la ministre Petra De Sutter2.

Au niveau du pouvoir législatif, là encore, c’est dans la pratique que le bât blesse. Une récente étude portant sur la Région wallonne3 a révélé que le temps de parole dans l’hémicycle parlementaire est profondément inégal. Pour rappel, la Wallonie compte 3 femmes et 5 hommes ministres, et 28 femmes et 47 hommes député.e.s. L’étude constate qu’en 2020, alors que les hommes occupent 63 % des sièges et postes, ils monopolisent 82 % du temps de parole. Une seule femme, la ministre Christie Morreale, se trouve dans le top 10 des personnes qui prennent le plus la parole. On observe donc bien que, malgré une répartition plus équilibrée, l’exercice du pouvoir reste profondément inégalitaire.

Illustration : Cäät

En outre, le sexisme en politique est particulièrement violent pour les femmes. Cela a souvent pour conséquence qu’elles n’osent pas s’aventurer dans ce métier ou qu’elles en sortent plus rapidement que les hommes. Une enquête, récompensée par le prix du Comité femmes et sciences de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur, démontre ainsi que 77 % des élues interrogées ont entendu au moins une fois des blagues sexistes de la part de députés hommes, tandis que 72 % ont elles-mêmes été la cible de « propos grossiers ou misogynes sur leur apparence physique ou vestimentaire »4. Elles sont aussi harcelées sexuellement, que ce soit par des collègues ou en tant que personnalité publique. On sait aussi que le cyberharcèlement concerne davantage les femmes (73 % à l’échelle mondiale selon l’ONU) et qu’il touche beaucoup les femmes politiques puisque, en plus d’être des femmes, elles occupent des postes visibles. Résultat : elles sont nombreuses à régulièrement quitter les réseaux sociaux afin de se protéger, voire à quitter la politique tout court.

Un style de gouvernance différent ?

Étant donné tous les obstacles et violences auxquels la majorité des femmes en politique sont confrontées, on peut se demander si celles-ci exercent dès lors le pouvoir différemment des hommes. On leur prête souvent des  caractéristiques dites « féminines », qui sont en réalité des stéréotypes de  genre et d’injonctions culturelles. Rien ne prouve en effet scientifiquement que les femmes soient par nature plus douces et empathiques. Il n’y a qu’à voir le style de gouvernance de certaines femmes politiques, comme la quelque peu caricaturale Margaret Thatcher, qui s’est exemplifiée dans l’intransigeance et le self-control. Le fait de devoir affronter autant d’obstacles peut d’ailleurs conduire certaines à vouloir se montrer particulièrement dures et insensibles pour ne pas être associées à ce qu’on pourrait attendre, d’une manière stéréotypée, d’une femme. Les femmes puissantes et progressistes ne se revendiquent pas forcément comme féministes. L’exemple d’Angela Merkel, chancelière allemande pendant seize ans, est également probant, elle qui n’a jamais considéré avoir participé à la lutte et aux débats féministes en général. Dans une société structurellement sexiste et patriarcale, cela peut être compréhensible de ne pas se revendiquer féministe dans le dessein d’accéder au pouvoir. Les revendications d’égalité femmes-hommes peuvent apparaître comme menaçantes puisqu’elles signifient laisser davantage de place aux femmes et donc moins aux hommes… D’ailleurs, Angela Merkel est souvent surnommée « Mutti » (« maman » en allemand), ce qui témoigne encore et toujours de cette vision patriarcale qui ramène sans cesse les femmes à la maternité.

Il est indéniable que notre société sexiste socialise différemment les femmes des hommes, puisque dès l’enfance on différencie, dans leur éducation, les compétences et valeurs qu’on va décerner à chacun.e. Une certaine attente peut résider dans l’assimilation des combats féministes post-#MeToo qui, espérons-le, ont aussi un impact au coeur de la politique.

On évoque d’ailleurs ces dernières années un style de gouvernance de certaines femmes politiques, qui ont particulièrement de succès, comme celui de la députée démocrate américaine Alexandria Ocasio-Cortez. Femme issue de la société multiculturelle américaine et venant d’un milieu ouvrier, elle a su se distinguer en parlant aux jeunes en revendiquant des valeurs progressistes et de gauche, dans la veine du socialisme démocratique à la Sanders ce qui, du haut de ses 29 ans, a fait d’elle la plus jeune femme élue au Congrès. Autre exemple de femme politique féministe, Jacinda Ardern, Première ministre néo-zélandaise depuis 2017 et qui a permis le vote sur la légalisation de l’avortement en 2020, jusque-là criminalisé. Après avoir accouché durant son mandat, elle a amené son bébé à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, ce qui aurait contribué à normaliser la maternité dans les instances de pouvoir. Ici encore, sa proximité avec la population, son empathie affichée, son style de persuasion assertive ont souvent été épinglés comme dynamique particulière dans sa gestion des affaires politiques. En Belgique, on pourrait évoquer aussi des politiques comme Sophie Rohonyi, Sarah Schlitz, Céline Tellier ou Christie Morreale… Une nouvelle génération de femmes politiques qui semblent faire bouger les lignes.

Pour plus de femmes féministes en politique

Face à tous ces constats, comment peut-on encourager plus de femmes progressistes et féministes à se lancer en politique ? Il existe de nombreuses recommandations et solutions émanant de la société civile qui épinglent avant toute chose la nécessité de sensibiliser l’ensemble de la population à la parité genrée ainsi qu’aux obstacles qui empêchent les femmes de se lancer en politique. Il apparaît primordial de davantage inclure les femmes dans les processus décisionnels, ce qui permet de facto l’évolution de la représentativité en politique et des mentalités. La lutte contre le sexisme est une priorité dans ce domaine, et comme partout il ne faut plus rien laisser passer, de la blague misogyne au harcèlement sexuel. L’état de la politique est le reflet de notre société, luttons donc pour un pouvoir politique féministe et égalitaire.

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