Libres, ensemble
Cher,
très cher pape
Achille Verne · Journaliste
Mise en ligne le 26 septembre 2024
Le pape François sera au Luxembourg et en Belgique du 26 au 29 septembre prochain. Cette visite officielle et pastorale a un coût, et le contribuable paiera en bonne partie la note. L’Église s’adresse à la générosité des fidèles.
Photo © Giuliano Napolitano/Shutterstock
Il faudra sans doute attendre que le pape soit rentré dans ses appartements au Vatican pour savoir ce qu’a coûté exactement le voyage programmé au Luxembourg et en Belgique du 26 au 29 septembre. L’Église, les universités louvanistes et les Affaires étrangères, qui sont tour à tour parties prenantes dans l’organisation de la visite de François, évitent de se montrer trop précises sur l’ardoise finale. Plusieurs postes onéreux sont néanmoins identifiés. La Belgique officielle se doit de recevoir le pape en tant que chef d’État du Vatican.
Une rencontre est prévue avec le Premier ministre et le roi Philippe. Cette obligation impose à l’État belge – et donc au contribuable – d’en financer l’organisation, et notamment le déploiement d’un dispositif de sécurité exceptionnel puisque la tradition veut que le pape rencontre les fidèles, avec ce que cela comporte comme risques. Le coût des moyens matériels et humains consacrés à la protection du souverain pontife devrait dépasser de loin celui d’une visite d’État « ordinaire ». Combien ? Le secret n’a pas été dévoilé en prélude à la visite papale.
En 1985, la visite de Jean-Paul II avait coûté 64,75 millions de francs belges de l’époque (environ 1,6 million d’euros), révélait La Libre Belgique, « un peu moins que le Grand Prix de Monaco et un peu plus que trois haltes du Tour de France dans trois villes ». Le quotidien précisait que les recettes avaient atteint les 92 millions de francs belges, laissant un surplus de 28 millions…
Ces petits gestes qui ne coûtent pas grand-chose
L’UCLouvain et la KU Leuven ont tenu à préciser qu’elles prendraient en charge le coût de la partie du programme papal qui les concerne. Le geste est louable mais somme toute logique puisque la visite de François en Belgique s’inscrit dans les commémorations des 600 ans de la fondation de l’Université de Louvain par le pape Martin V, le 9 décembre 1425. Pas de grands tralalas : elles mettront pour l’essentiel leurs locaux et leur personnel à disposition de l’organisation, ce qui devrait alléger pour partie la facture finale.
L’Église catholique de Belgique semble beaucoup moins sereine en ce qui concerne son écot. En juin dernier, l’archevêque de Malines et primat de Belgique, Luc Terlinden, a appelé « à la générosité de tous » pour financer la partie pastorale du séjour papal et aider à régler d’« importantes dépenses ». L’appel aux dons doit « couvrir le budget nécessaire, entre autres, pour l’organisation de la célébration eucharistique et le déploiement d’importants moyens audiovisuels ». Selon Le Soir, certaines sources ont évoqué « un objectif estimé à 500 000 € »1. « Tout don, aussi modeste soit-il, sera reçu avec énormément de reconnaissance », assure Luc Terlinden.
La partie pastorale comprend une grand-messe au stade Roi Baudouin le 29 septembre. En juillet, la Ville de Bruxelles (qui possède le stade) et l’association en charge de la visite papale ont signé un contrat de location. Dont coût : 150 000 euros, un montant similaire à celui demandé pour un grand concert rock. Il faudra y ajouter le ramassage des déchets, la facture finale pouvant dès lors monter jusqu’à 200 000 euros. Le stade peut accueillir jusqu’à 65 000 personnes. Ici, la limite a été placée à 35 000 participants qui devront obtenir leur ticket gratuit. Ils ne rapporteront pas d’argent, sauf via l’achat de produits dérivés, de boissons, etc.
2,3 millions d’euros pour deux jours à Marseille
150 à 200 000 euros, est-ce trop ou trop peu demander ? Des points de comparaison existent. En septembre 2023, le pape avait fait un voyage express de deux jours dans le Sud de la France. L’organisation d’une messe au stade Vélodrome de Marseille avait coûté à elle seule 1,3 million d’euros. Pourtant, à lire la presse régionale, ce montant avait été estimé dans un premier temps à 800 000 €. Tous postes confondus, la facture finale de la visite s’était élevée à 2,3 millions d’euros. Avec un trou béant donc de 500 000 €.
« Pour financer l’événement, l’Église avait également misé sur la vente de produits dérivés, le jour où le pape François a officié sa messe au stade Vélodrome. La quête, les dons des fidèles et la vente de ces produits ont permis de récolter près de 600 000 €. Il manque donc 500 000 € pour boucler le budget de la visite du pape », pouvait-on lire sur le site d’info marsactu.fr.
La presse marseillaise relevait en outre que la Métropole avait mis à disposition son siège au Pharo, qu’elle avait organisé le ramassage des déchets, le prêt de cars pour transporter les prêtres et un renforcement de la fréquence des métros. Le tout pour un coût estimé à 157 000 €.
Quant à l’Église catholique en France, elle se trouva fort dépourvue. Dans le quotidien La Provence, le cardinal-archevêque Jean-Marc Aveline lança un appel aux dons pour récupérer les 500 000 € manquants2. Et le diocèse de Marseille précisa que les mécènes et les partenaires – une quarantaine d’entreprises au total selon Le Monde – avaient déboursé pas moins de 1,2 million d’euros pour financer l’événement3.
Le voyage du pape François aux États-Unis en 2015 a représenté une dépense d’environ 12 millions de dollars pour la Ville de Philadelphie.
© Fabrizio Maffei/Shutterstock
De l’autre côté de l’Atlantique, les coûts ont explosé
Ces chiffres sont, précisons-le, très en dessous de la douloureuse présentée aux États, aux Églises « nationales », aux villes hôtes et aux fidèles lors de précédentes visites papales. Ainsi le voyage du pape François aux États-Unis en 2015 a-t-il représenté une dépense d’environ 12 millions de dollars pour la Ville de Philadelphie. Cette somme a couvert les mesures de sécurité, la logistique, la mise en place de zones sécurisées, la coordination avec les forces de l’ordre locales et fédérales, ainsi que le transport et l’hébergement des dignitaires du Vatican. Au Mexique, en 2016, à peu près 10 millions de dollars ont été dépensés uniquement pour la sécurité de l’événement. Au Brésil, en 2013, la visite du pape François organisée lors des Journées mondiales de la jeunesse à Rio de Janeiro a coûté environ 118 millions de réaux (22 millions de dollars).
Les réactions de l’opinion publique face aux coûts des visites du souverain pontife varient selon les pays, le contexte économique et social, et bien sûr le degré de religiosité/laïcité. Ce fut le cas lors des trois voyages cités ci-dessus. Chaque fois, la critique des dépenses liées à la sécurité et à l’organisation a été mise en balance avec les bénéfices économiques, sociaux et spirituels de la visite papale.
Chaque pape coûte forcément à la société en fonction de son appétit du voyage. Le recordman est sans conteste Jean-Paul II qui a effectué 104 déplacements à l’étranger, se rendant dans 129 pays différents en un peu plus d’un quart de siècle. François a déjà réalisé une quarantaine de voyages internationaux depuis 2013.
La partie pastorale de la visite papale en Belgique comprend une grand-messe au stade Roi Baudouin le 29 septembre.
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Mais où reste la banque du Vatican ?
Dans chaque pays, les coûts des voyages papaux sont généralement partagés entre l’Église catholique, les autorités publiques et parfois des institutions privées. Des individus et des entreprises peuvent également contribuer au financement, souvent par le biais de donations ou de sponsorings. Officiellement, les voyages du pape ont pour objectif de promouvoir la paix, les droits humains, le dialogue interreligieux et la solidarité avec les pauvres. Mais ils charrient aussi certaines interdictions (célibat des prêtres, condamnation de l’avortement…) qui prennent de front les valeurs de la société libérale, ce qui pose indirectement la question de la participation financière de citoyens demandeurs d’une plus grande ouverture. « Que tout le monde paie, d’accord ou pas, est également une question de principe », tacle une source bien informée qui rappelle que certains chefs d’État reçus en visite officielle en Belgique sont loin d’être blancs comme neige…
Quant à la banque du Vatican, l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), bien qu’elle puisse théoriquement participer au financement des voyages papaux, son rôle exact reste flou. Il n’existe pas de documentation publique claire et spécifique qui confirme une telle pratique. La fonction de l’IOR, si elle existe, se veut intégrée par le Saint-Siège et ses diverses entités dans un cadre financier plus large. Les réformes récentes visent à assurer que toutes les opérations pécuniaires du Vatican, y compris celles de l’IOR, sont menées avec « une plus grande transparence et une meilleure gestion ». C’est en tout cas ce qu’affirme la diplomatie vaticane soucieuse de faire oublier les différents scandales qui ont touché par le passé la prestigieuse et nébuleuse institution.
- William Bourton et Pascal Martin, « Visite du pape en Belgique : les universités et le contribuable payeront une partie de la facture », mis en ligne sur lesoir.be, 20 juin 2024.
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Sylvain Pignol et Antoine Marigot, « Marseille confidentiels : le diocèse cherche 500000 € pour boucler le budget de la visite du pape… Les infos du jour », mis en ligne sur laprovence.com, 3 septembre 2023.
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Ariane Chemin et Gilles Rolf, « Le PDG de CMA-CGM, mécène inattendu du voyage du pape à Marseille », mis en ligne sur lemonde.fr, 23 septembre 2023.
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