Une question
de point de vue

Pour le lexicographe, une définition peut être extensive, ostensive ou intensive quand elle énonce les qualités propres d’un objet sur la base de son genre et ses différences par rapport aux autres objets de la même catégorie. Ainsi « la table est par exemple un meuble (le genre), mais c’est un meuble avec un plateau (par opposition à tous les meubles sur lesquels on s’assied par exemple) et avec un ou plusieurs pieds (par opposition aux meubles suspendus au plafond ou accrochés au mur), sur lequel on peut manger ou travailler (par opposition au fait de cuisiner, auquel cas ça serait un plan de travail) »¹. Dans Une table est une table. Vraiment ?, tout le monde y va de sa définition : le grand-père, le menuisier, le poète, la collectionneuse, le prof de français, les biologistes, le serveur, les sportifs, l’astronome, le marchand de chaussures et même l’enfant qui en a fait une cabane. De pages en pages, la petite Rosa découvre qu’une table n’est pas la même en fonction de celui ou celle qui la regarde.

Pour Mattia, 6 ans et demi, comme pour Rosa au début de son enquête, une table, c’est une table. Il faut un peu lui tirer les vers du nez au début pour lui faire dire que « c’est du bois », « ça a des pieds » et que « ça sert à poser des choses ». Pas facile pour lui d’expliquer ce qu’est une chose « parce qu’on n’arrive pas à dire tout ce qu’on veut, on n’a pas tous les mots ». Il adore les questions posées dans les pages philo à la fin de l’album, mais il a un peu peur de se tromper et s’inquiète de ne pas trouver la bonne réponse. On le rassure tout de suite : « Il n’y a pas qu’une seule bonne réponse, en fait. Il n’y a d’ailleurs pas de mauvaise réponse. » Surtout dans le domaine du questionnement philosophique ! « L’important ici est de te faire réfléchir. » À la question « comment peut-on savoir ce qu’est une chose ? », Mattia, enfant curieux et élève de première primaire, répond : « Parce qu’on nous l’a dit, parce qu’on l’a entendu. » L’apprentissage par l’expérience propre viendra visiblement plus tard. Dans la peau d’une table, il se plaît à raconter : « On m’a emmené en camionnette jusqu’au magasin. Puis quelqu’un qui s’appelle Amélie m’a choisie et on m’a remis dans une camionnette jusqu’à une toute petite maison. J’ai des sièges à côté de moi. J’ai plein de potes : des verres en verre et des vases comme des théières et des plantes séchées. Ils me racontent leurs aventures. » La table qu’il a imaginée porte de jolies chaussures à ses pieds. Après la table, il choisit d’expliquer ce qu’est un dessin : « C’est quelque chose qu’on a fabriqué avec des marqueurs ou des bics ou des crayons en touchant la feuille avec des gestes. » En quelques pages et une dizaine de questions, l’évolution de sa capacité de penser et d’énoncer ravit Mattia, déjà plus confiant.

Après Tout est si grand et Hé, Big Bang !, dans ce troisième album Philéas & Autobule, l’autrice portugaise Isabel Minhós Martins et l’animatrice et formatrice du Pôle Philo Mélanie Olivier mettent à nouveau la démarche philosophique à hauteur d’enfant. Cette fois encore, autour de la table, la réflexion est riche d’échanges et de découvertes.