Libres ensemble
« C’est absolument nécessaire d’enseigner l’ÉVRAS »
Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef
Mise en ligne le 30 août 2023
Depuis juin 2012, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS) a été reconnue officiellement par décret comme une des missions de l’école. Mais sur le terrain, elle était prodiguée de manière aléatoire. Grande nouveauté de cette rentrée : deux périodes d’ÉVRAS seront désormais obligatoires au cours de la scolarité. C’est encore trop peu, au vu des enjeux, mais c’est un début !
Photo © Benjamin Brolet
Épisode 3 : L’ÉVRAS, enfin !
C’est désormais officiel, l’ÉVRAS (éducation à la vie relationnelle, sexuelle et affective) sera désormais prodiguée dans toutes les écoles : une grande victoire ?
Oui, on s’en réjouit vraiment beaucoup, d’abord parce que c’est un combat que j’ai mené avec mes collègues Christie Morreale et Barbara Trachte, toutes les trois nous étions sur la même longueur d’onde. Nous nous étions dit en début de législature : là, on a vraiment un alignement des planètes, on doit y arriver ! Après il y a eu la pandémie, de nombreux chantiers, ce qui nous a mis des bâtons dans les roues, mais ça y est, nous y sommes arrivées, donc nous savourons ce moment parce cela fait déjà onze ans maintenant que la généralisation de l’ÉVRAS à l’école est inscrite dans les textes, mais que cela n’a jamais été suivi d’effet par manque des moyens budgétaires et humains pour l’assurer.
Y avait-il des freins aussi ?
Certaines écoles étaient très volontaristes, d’autres pas du tout. Il y a quand même eu quelques ratés aussi concernant les opérateurs chargés d’intervenir dans les écoles. Mais je dois dire que j’ai été assez surprise des résistances organisées qui persistent dans la société sur ces questions. Je connaissais l’existence de certains types de conservatisme, mais je n’en avais pas mesuré l’ampleur.
Est-ce que ce n’est pas le reflet finalement d’une sorte de vague conservatrice qui s’installe dans nos sociétés ?
Je pense qu’il y a des débats stériles qui viennent polluer des enjeux fondamentaux. On agite des choses pour faire peur aux gens, mais en réalité c’est absolument nécessaire d’enseigner l’ÉVRAS parce que d’abord on ne traite pas que de prévention dans le cadre de la sexualité, il y a aussi tout ce qui concerne le relationnel affectif, on parle d’empathie, de respect de soi et des autres, de tolérance. Ce sont des choses absolument nécessaires dans la société dans laquelle on vit, mais au-delà de cela, la prévention des infections sexuellement transmissibles, des grossesses non désirées, toutes ces questions restent quand même pleinement d’actualité. Il y a des familles où l’on ne parle pas de sexe, je pense donc que l’école a un vrai rôle à jouer. Près de 38 % des jeunes déclarent avoir déjà eu une relation sexuelle pendant leur scolarité en secondaire, et parmi eux il y en a 12 % qui ont eu leur relation sexuelle sans aucun moyen de contraception. Cette seule donnée devrait quand même faire réfléchir tous les adultes qui contestent la nécessité de l’ÉVRAS. Quel parent a envie de se retrouver avec une gamine de 15 ans enceinte ? Les enjeux sont aussi basiques que cela, encore aujourd’hui. Mais on a aussi énormément élargi le spectre, parce que désormais il faut absolument que l’on parle de lutte contre les stéréotypes de genre, contre les violences sexistes, de consentement. Ce sont des enjeux absolument essentiels pour nous. Grâce à mes collègues wallonnes et bruxelloises, nous avons enfin dégagé des moyens suffisants pour pouvoir assumer un volume horaire minimum dans toutes les écoles.
© Shutterstock
Donc cela commence par deux périodes : en sixième primaire et en quatrième secondaire ?
Pour ces deux niveaux, il y aura au moins deux animations ÉVRAS, dont le contenu a de plus été articulé sur celui des référentiels du tronc commun. Je pense par exemple au référentiel de philosophie et citoyenneté, où l’on parle d’autonomie affective, d’empathie, etc. Je pense aux sciences évidemment, où l’on va aborder la reproduction humaine en primaire, la contraception en secondaire. Il y a des choses qui viendront bien évidemment en support, mais on s’assure aussi qu’il y ait ces animations spécifiques données par des professionnels labellisés, ce qui est aussi une nouveauté pour la qualité des échanges. Après, en cas de dérive, fût-elle minime, un contrôle a posteriori sera évidemment effectué. Mais ici nous nous sommes bien assurés en amont que ce seront des associations labellisées qui proposeront les formations avec, en leur sein, des gens dûment formés.
Ce sont surtout les plannings familiaux qui vont être mobilisés ?
Oui, ce seront essentiellement les plannings familiaux parce qu’ils sont déjà très formés et expérimentés, mais par exemple en support il pourrait y avoir des CPMS, des services de la prévention de la santé à l’école. Certains d’entre eux ont déjà effectué beaucoup de travail dans ce domaine aussi, donc c’est intéressant qu’on reste également en lien avec les acteurs de l’école. Cela permettra de répondre aux questions que se posent les élèves à ce stade de leur évolution, en fonction de leur maturité et de leur âge. Je crois que ce sont des moments qui peuvent être un peu gênants, mais le fait d’avoir des intervenants aguerris, cela met aussi les jeunes à l’aise. Ils nous le demandent.
L’ÉVRAS sera-t-elle étendue à d’autres niveaux ?
En fait l’extension dépendra des moyens que l’on y consacrera, il faut être très clair. Ici nos collègues ont dégagé presque six millions d’euros pour avoir suffisamment d’animateurs dans 2 500 écoles, cela fait beaucoup d’élèves concernés. Et donc il faut augmenter le budget pour aller plus loin.
Vous pousserez donc dans ce sens d’ici l’année prochaine ?
Je pense que cela doit rester un combat, j’allais dire un combat féministe, mais ce n’est pas que cela, c’est un combat partagé par tous. Il faut déconstruire les fausses idées qui circulent. Certains ne veulent tout simplement pas qu’à l’école on parle de sexe avec les enfants. C’est parfois aussi clair que cela. Puis il y a des intentions qui nous sont prêtées sur l’idéologie transgenre qu’on voudrait inculquer à tous les enfants… C’est un peu délirant. Mais ce sont des enjeux qui sont très importants.
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