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« Les responsables politiques devraient plus se remettre en question »

Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef

  Mise en ligne le 2 septembre 2023

Gérer un chantier aussi colossal que celui du Pacte d’excellence n’est pas gagné d’avance. Cela nécessite une certaine dose de bonne volonté, une concertation bien ficelée et un zeste de remise en question. Petit bonus pour terminer cette série avec cinq questions plus personnelles à Caroline Désir.

Photo © Benjamin Brolet

Épisode 6 bonus : La méthode Désir

Cinq questions plus personnelles à la ministre de l’Enseignement

J’aimerais revenir sur la manière dont ce pacte s’est mis en place, avec une méthode très axée sur la concertation, mais aussi sur le pluralisme. Une forme d’antidote aux discours court-termistes en quelque sorte ?

Exactement, d’autant qu’ici, je n’ai pas beaucoup de mérite parce que c’est une méthode dont j’ai hérité, mais qui a permis au Pacte de survivre à deux législatures conduites par deux majorités différentes. Le Pacte, depuis 2017, a mis autour de la table les acteurs institutionnels de l’enseignement, les organisations syndicales, les fédérations du pouvoir organisateur et les représentants des associations de parents, donc les trois piliers qui ont réfléchi sur les constats relatifs à notre système scolaire, les maux qui le détériorent, et, dans les grandes lignes, la manière d’y remédier. Et c’est comme cela qu’est né l’avis numéro trois du Pacte, qui est un peu notre document fondateur, auquel finalement tout se réfère et sur la base duquel tout a ensuite été construit. C’est cela qui a été à l’origine des dix-huit chantiers du Pacte en réalité, dont la grande force est d’être basé sur un consensus, sur un texte partagé par l’ensemble des acteurs. Et je pense que vu toutes les difficultés que l’on a rencontrées par la suite, si on n’avait pas eu cela, nous serions allés droit à l’échec, en tout cas pour réussir une réforme structurelle et systémique de l’ampleur de celle que l’on a menée. Et donc cela nous a permis aussi de transcender les législatures, menées par des majorités différentes.

Nous avions commencé avec une coalition PS/CDH et puis avec une coalition PS/MR/Écolo, donc avec deux partis d’opposition qui se retrouvaient dans la majorité. Écolo partageait assez bien les objectifs du Pacte depuis le début, le MR a par contre été beaucoup plus dur dans l’opposition, ce n’était pas évident de ramener ses représentants à bord, mais cela a été fait par respect pour les acteurs qui s’étaient engagés dans le processus. C’est intéressant de rappeler que le politique doit garder le cap, parce que nous ne pouvons pas sur la base de constats qui sont très largement partagés, changer notre fusil d’épaule à chaque législature et à chaque inversion de majorité. Cette dynamique mise en place est en fait très simple, fondée sur un comité de concertation qui représente l’ensemble des acteurs mentionnés. Et tous les textes issus des différents chantiers du Pacte sont d’abord soumis à ce comité de concertation avant même la première lecture au gouvernement. Nous avons multiplié les échanges pour que ses membres soient au plus proche, chaque fois, de la réflexion.

Je pense que la méthode était bonne et je dois dire que cela m’a doublement aidée parce que, six mois après mon arrivée à ce poste, nous étions en pleine crise sanitaire. J’ai donc pu mobiliser ce comité de concertation pour travailler de la même manière et prendre des décisions alors très graves dans l’enseignement en m’appuyant sur un retour de terrain immédiat. Malgré cette méthode qui effectivement fonctionne bien, on a connu quelques moments très difficiles à propos de certains dossiers, donc heureusement que l’on avait cela. On a vraiment axé cette législature sur la concertation en fait, et je pense qu’il n’y a pas moyen de faire autrement.

Est-ce que vous pensez que cela en inspire d’autres ?

En tout cas c’est un modèle que je défends, même s’il n’est pas parfait et que ce n’est pas facile parce que l’enseignement, c’est un immense paquebot composé de 900 000 élèves et de 120 000 membres du personnel, et donc, on ne peut pas travailler en demandant son avis à chacun, c’est impossible. À côté du comité de concertation du Pacte, on a essayé de multiplier les dispositifs participatifs pour favoriser une démocratie plus directe. Malgré tout, cela reste complexe à mettre en œuvre.

Dernière question, un peu plus personnelle: vous semblez tracer votre chemin en tant que femme politique avec beaucoup plus de sérénité que beaucoup de vos collègues. Lorsque crise il y a, vous n’hésitez pas à vous arrêter ou à accepter les remises en question. C’est une approche peu courante dans le monde politique. Est-ce une manière d’imposer un nouveau style ou est-ce que cela fait partie de votre tempérament, sans que cela soit calculé ?

Je pense que j’ai été un peu poussée par les circonstances, vu que l’on a dû gérer une crise sanitaire sans précédent, avec des écoles qui ont fermé, alors que j’étais ministre depuis six mois à peine. Ensuite j’ai été chargée de mettre en œuvre une lourde réforme qui change les pratiques culturelles dans le monde de l’école, dont les acteurs n’étaient pas du tout prêts à en absorber la teneur. Ils étaient épuisés par la crise, vraiment lessivés, donc c’était très compliqué. Grâce au comité de concertation du Pacte, on a pu être à l’écoute de tous les intervenants sur le terrain et tenir compte de leurs avis quand tous les signaux étaient au rouge et que les membres du comité me disaient : « Il y a une saturation complète, donc il faut mettre la pédale douce, il faut réorienter le discours. » À de nombreuses reprises, je les ai réunis et leur ai dit : « Il faut changer le message, il faut arrêter de mettre la pression sur les équipes, il ne faut pas leur faire peur avec l’atteinte à tout prix des objectifs chiffrés. Ce n’est pas cela que l’on veut en fait, on veut qu’ils se mettent en mouvement. » On a donc rectifié le tir à de multiples occasions parce que c’est ce que l’on devait faire: diminuer la pression sur les gens, sinon on risquait la révolution. On ne peut pas faire passer une réforme avec succès si on n’a pas l’adhésion du terrain.

Et donc, je pense que c’était la seule manière de procéder, même si j’ai quand même considéré que je devais politiquement garder le cap parce que ces réformes sont nécessaires si l’on veut que notre enseignement soit plus égalitaire et finalement plus performant. Nous en sommes tous absolument persuadés, même les organisations syndicales au pire moment de la contestation. Mais garder le cap ne veut pas dire ne pas écouter ce qui se passe, comment tout cela est perçu, il y a des choses qu’objectivement on doit pouvoir dire : on a sous-estimé la charge de travail et l’impact sur les membres du personnel. Et je ne trouve pas que cela soit un aveu de faiblesse d’affirmer : « En fait là-dessus on s’est trompés, on a été trop loin, on a voulu aller trop vite, on calme le jeu » et à plusieurs moments c’est ce qu’on a fait et on a révisé la feuille de route. Je n’ai pas l’impression que cela nous a décrédibilisés.

La capacité de remise en question n’est quand même pas toujours présente dans le monde politique.

Je pense que c’est une erreur parce que je trouve franchement que cela a été plutôt apprécié sur le terrain. Donc je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas faire cela, nous sommes tous des êtres humains, y compris les équipes du cabinet de l’administration qui travaillent sur ces dossiers. Ils essaient évidemment de faire au mieux, mais cela peut arriver qu’ils aient mal estimé l’effet des réformes. Il faut savoir l’entendre, revoir sa copie et je n’ai pas l’impression que cela entraîne une perte de crédibilité, bien au contraire. Je trouve que les responsables politiques devraient plus se remettre en question. Et c’est peut-être plus féminin quand même… Je me souviens d’un jour où une présentation du Codeco, que présidait Sophie Wilmès, a été complètement ratée. Et bien la fois suivante, en conférence de presse, elle a affirmé : « En fait on s’est plantés et on va faire autrement, on va faire mieux. » Moi je trouve cela super. Et cela a été fort apprécié d’ailleurs. C’est vrai que c’est peut-être un peu inhabituel, mais pourquoi pas ? Cela rend sans doute aussi les hommes et les femmes politiques plus humains de montrer qu’ils peuvent se remettre en question, qu’ils n’ont pas la science infuse.

Et sur cette lancée, un second mandat vous tenterait-il ?

Je ne sais pas, on verra, cela dépend de nombreux facteurs. En tout cas, je pense que malgré un contexte extrêmement difficile on a quand même pu mener beaucoup de réformes, donc c’est plutôt agréable de finir un mandat en se disant : « On a fait des choses qui nous paraissaient essentielles et qui vont avoir des répercussions durables sur toute la société. Nous ne sommes pas encore au bout de l’application du tronc commun, il faut encore inventer tout ce qui concerne le secondaire, mais les bases sont posées avec le maternel et le début du primaire, parce que c’est là que les premières inégalités se creusent. »

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