Libres ensemble
Le Pacte d’excellence :
une révolution culturelle pour l’école
Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef
Mise en ligne le 28 août 2023
L’enseignement a été bouleversé par une série de réformes récentes issues du Pacte d’excellence qui se poursuivront dès cette rentrée scolaire. L’occasion de tirer un premier bilan avec la ministre de l’Enseignement Caroline Désir et d’aborder avec elle les grands enjeux futurs pour sa dernière rentrée avant les élections de 2024.
Une série en 6 épisodes.
Photo © Benjamin Brolet
Épisode 1 : Rythmes scolaires
À la fin de cette année scolaire 2022-23, qui a vu l’adoption de nouvelles mesures provenant du Pacte d’excellence, on songe bien entendu au nouveau calendrier scolaire, entre autres, quel premier bilan tirez-vous ?
Concernant les rythmes scolaires, c’est évidemment un peu trop tôt pour tirer un vrai bilan. Nous avons prévu une évaluation au bout de quatre ans, en 2026, mais évidemment chaque fois que je vais sur le terrain je sonde l’opinion. Et les retours sont globalement très positifs. Les enseignants disent qu’ils se sentent plus reposés à l’issue des périodes de deux semaines de congés, tout comme leurs élèves. C’était l’un des objectifs d’assurer cette régularité entre les moments de travail et de repos. Ils me disent aussi que ça leur permet de mieux anticiper et de mieux travailler leurs séquences de cours, avec sept semaines de travail à l’issue desquelles ils organisent les évaluations, avant d’aborder un nouveau chapitre. Donc c’est assez intéressant sur le plan pédagogique. Cela m’autorise à penser que les buts visés par cette réforme sont sans doute atteints, même si elle a suscité beaucoup de débats, notamment à cause du non-alignement entre les communautés. La controverse reste vivante en Flandre et c’est pour moi très porteur d’espoir. Récemment, trois partis politiques flamands (Voruit, Groen et Open vld) ont interpellé le Ministre flamand de l’enseignement à ce sujet en plaidant pour l’alignement sur le calendrier francophone, donc je crois que ce sera un thème de campagne électorale. La communauté germanophone, que l’on a tendance à oublier, s’est montrée assez positive concernant les arguments pédagogiques avancés. Elle est plutôt partante pour organiser cet alignement lors de la prochaine législature. C’est une réforme qui touche énormément de secteurs de la société, cela fait trente ans que l’on en parle, ce n’est pas évident à mettre en œuvre parce que, en fait, cela a des répercussions sur notre organisation quotidienne à tous.
Après la réforme des rythmes scolaires, d’aucuns souhaiteraient une réforme des rythmes journaliers. Abondez-vous dans ce sens ?
On ne pouvait pas tout faire en même temps, nous avons décidé de ne pas nous y attaquer sous cette législature, mais en revanche ce que nous souhaitons, c’est préparer les conditions pour que l’on se consacre à cette question l’année prochaine. Il existe déjà des écoles qui ont travaillé sur cette problématique des rythmes journaliers et qui les ont intégrés… Mais l’idée, c’est plutôt de refiler la patate chaude au prochain gouvernement parce qu’il fallait d’abord absorber la réforme des rythmes annuels. Il ne faut pas sous-estimer que cela nécessite aussi une concertation intense avec les acteurs de l’extrascolaire, de l’académie, donc ce n’est pas facile à mettre en place. Et pourtant c’est nécessaire à la fois au regard de cet enjeu de créer une intersection entre le scolaire et l’extrascolaire, ainsi que sur le plan pédagogique. Il y a beaucoup de pays où l’on favorise évidemment tout ce qui est mobilisation cognitive pure le matin et où l’on place davantage de sport, de culture l’après-midi pour essayer de maximiser la concentration. Il s’agit donc de préparer les conditions pour pouvoir prendre les décisions au cours de la prochaine législature.
Quelles sont les autres dimensions de la réforme ?
Celle qui à la fois touche le plus au fond et qui est la plus structurelle, c’est vraiment la mise en œuvre du tronc commun. Nous avons à présent couvert toutes les années du niveau maternel, de la première et de la deuxième primaire, et l’année prochaine nous passerons à la troisième et à la quatrième. La réforme des contenus, ce que l’on apprend à l’école en s’appuyant sur les référentiels du tronc commun, mais aussi celle sur la manière d’accompagner les enfants, ce qui est aussi important, constituent des objectifs assez ambitieux en matière de réduction du redoublement et de lutte contre l’échec scolaire. L’accompagnement personnalisé que l’on a mis en place en même temps que le tronc commun requiert la présence de deux enseignants dans la classe deux à quatre périodes par semaine, leur double regard permettant de dénouer les difficultés de l’enfant. Même si cela n’a pas de valeur scientifique, j’ai beaucoup de retours d’enseignants qui se montrent assez convaincus. Ils disent que cela fonctionne bien, que cela leur donne de nouvelles idées sur le plan pédagogique, qu’ils peuvent confronter les points de vue simplement, que quand on est démuni face à un enfant, discuter de son problème avec un collègue aide parfois à trouver une solution.
C’est une révolution culturelle en fait, parce que dans le monde de l’enseignement le métier était très solitaire. Et cela n’est plus tout à fait vrai avec le travail collaboratif et le co-enseignement. Ce sont de gros bouleversements, qui entraînent donc parfois des résistances, parfois simplement aussi il faut du temps pour faire adopter de nouvelles pratiques. Mais je trouve que c’est très positif et je suis impatiente de voir si cela va changer la donne parce que l’on a mis beaucoup de moyens et d’énergie pour renforcer l’encadrement. La réforme des référentiels, pour ne citer qu’elle, a nécessité presque quatre ans de travail avec des experts, c’est repensé pour chaque discipline, chaque année par rapport à ce qu’il est absolument essentiel d’apprendre à l’école au 21e siècle. Ces défis sont passionnants, mais leurs enjeux sont en même temps lourds. Ils exigent des arbitrages permanents parce que les écoles ne peuvent pas tout faire non plus. Aujourd’hui, les jeunes ont accès à tout le savoir en quelques clics, donc la question, c’est surtout : comment les guide-t-on dans cette profusion de données ?
© Yuganov Konstantin/Shutterstock
Un petit mot sur le PECA, le parcours d’éducation culturelle et artistique à l’école. Les choix d’activités des écoles diffèrent fortement, y a-t-il une volonté que ces pratiques culturelles soient davantage ancrées dans le tissu local ?
L’ECA (l’éducation culturelle et artistique) est l’une des nouveautés du tronc commun. Le référentiel lié aux pratiques artistiques stipule que le parcours devra aborder différents domaines, comme le dessin, la musique, la danse, qui seront évidemment pris en charge par les enseignants. Mais il y a aussi le PECA, que l’on a vraiment conçu comme un parcours dont le but est d’ancrer structurellement dans toutes les écoles la rencontre d’artistes, l’accès à des spectacles, afin que les élèves aillent dans les lieux culturels. Nous avons surtout travaillé sur l’offre, car les écoles sont souvent de très bonne volonté, mais elles n’ont pas toujours une vue éclairée, notamment sur les ressources culturelles situées à proximité. C’était important que ces deux mondes interagissent et qu’il y ait d’un côté des référents culturels et de l’autre des référents scolaires pour que le matching se fasse grâce à des facilitateurs. Le but étant que tous les enfants soient sensibilisés à la diversité artistique, nous avons aussi porté une attention particulière aux territoires en plein désert culturel, qui sont confrontés au coût du transport scolaire. C’est pour nous un enjeu fondamental parce que plus les publics sont défavorisés, moins ils ont accès à la culture.
Il y a peut-être aussi ce risque d’aller avec facilité vers une culture plus mainstream…
Oui, tout à fait, l’école peut vraiment éveiller à des choses inconnues. Et puis les enfants sont aussi les meilleurs ambassadeurs, car quand ils sont allés grâce à l’école dans certains lieux culturels, bibliothèques ou autres, ils peuvent ensuite y retourner avec leurs parents. Un jour, j’ai accompagné à Flagey des enfants d’écoles primaires assez défavorisés de Bruxelles. Pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’ils entraient dans une salle de spectacle de cette importance, avec un orchestre classique, mais c’était néanmoins complètement interactif. Ils avaient préparé leur visite en classe, prévu des moments où ils pouvaient se lever, bouger, participer, etc. C’était vraiment très intéressant à observer, on se rend compte que ce sont des enfants qui n’ont pas du tout les codes, ils ne savent pas quand ils doivent applaudir par exemple. J’ai trouvé cela vraiment super touchant parce qu’ils expliquaient à quel point pour eux c’était la découverte totale d’un univers. Et donc c’est fait pour cela aussi.
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