La tartine
Pacte d’excellence :
un exemple de participation citoyenne ?
Pamela Ciccone · Politologue
Mise en ligne le 15 novembre 2021
Les fondements philosophiques de la participation s’inscrivent dans une volonté de contrebalancer les rapports de pouvoir déséquilibrés entre une élite dominant les processus décisionnels et les citoyens. Or, les mécanismes participatifs ayant entouré le Pacte se sont construits selon une logique de délégation inhérente au système représentatif et en a, dès lors, créé les mêmes effets pervers en matière de légitimité et de pouvoir décisionnel.
Illustration © Olivier Wiame
Le Pacte pour un enseignement d’excellence, né du constat selon lequel l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles nécessite d’être réformé – le système d’enseignement francophone étant l’un des plus inégalitaires des pays membres de l’OCDE –, a fait l’objet d’un large dispositif participatif. En effet, aux côtés des acteurs traditionnels de la concertation qui contribuent habituellement à l’élaboration des politiques d’éducation en FWB, des acteurs de terrain et des citoyens ont été invités à exprimer leur opinion.
Si l’objectif de la participation ayant entouré le Pacte était de susciter l’adhésion et de favoriser l’implication des acteurs de l’enseignement, non convaincus par la réforme, beaucoup ont estimé que leurs points de vue n’ont pas été considérés. De fait, seuls les membres des organes représentatifs1 (essentiellement des représentants des Pouvoirs organisateurs et de syndicats) ont participé à la rédaction du rapport final (avis numéro trois du Groupe central), qui concrétise les décisions de cette réforme.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche ayant fait l’objet d’un mémoire en sciences politiques à l’UCL : Pamela Ciccone, Impacts et enjeux de la participation citoyenne autour du Pacte pour un enseignement d’excellence. De la légitimation des décisions publiques aux innovations démocratiques, 2020.
Réelle innovation démocratique
ou nouveau moyen de légitimation ?
Impulsés le plus souvent par les autorités publiques, ces dispositifs non contraignants sont accusés de faire l’objet d’une forme d’instrumentalisation à des fins de légitimation d’une politique publique déjà déterminée par avance. En effet, puisque les acteurs directement concernés par la mise en œuvre de cette réforme n’ont pas de prise décisionnelle dans ce mécanisme, le processus consultatif s’éloigne des principes démocratiques fondamentaux de la participation.
Les configurations modernes des dispositifs participatifs ont évolué d’une perspective bottom-up dans les années 1960, où ils étaient lancés par des acteurs associatifs de la société civile, vers des dynamiques top-down, générées et supervisées par les pouvoirs publics depuis les années 1990. La multiplication des dispositifs impliquant la participation des citoyens dans la sphère politique s’expliquerait par une volonté de légitimer les institutions, dans la mesure où l’on y observe une perte de confiance à l’égard de nos gouvernements représentatifs, bien que ce phénomène ne soit que très rarement rendu explicite par les décideurs. Ce recours croissant des représentants élus à la participation se justifie donc par des raisons de restauration de confiance entre les citoyens et les représentants élus, plutôt que par une conception idéologique de la démocratie participative.
À cet égard, le fait que la participation ayant entouré le Pacte ait été impulsée par les pouvoirs publics afin d’encourager l’acceptation d’une réforme particulièrement critiquée par les acteurs engagés que les résultats de ces dispositifs de nature purement consultative semblent avoir eu un très faible impact, si l’on considère les nombreuses oppositions à la note finale du Pacte, soulève des questions relatives à la légitimation et, dès lors, à une potentielle forme d’instrumentalisation de tels dispositifs. En effet, la mise en œuvre des différentes réformes liées au Pacte, qui se déploient bien au-delà d’une législature, nécessite l’adhésion des acteurs de terrain pour que celle-ci soit efficace.
Le processus de légitimation, étant de nature instrumentale, consiste alors à présenter la participation comme étant un procédé relevant de la concertation, afin de produire de l’acceptation auprès des parties prenantes, et de refréner toute forme de contestation et de conflit, en tentant notamment de modifier les représentations sociales des acteurs, plutôt que dans l’optique d’intégrer les savoirs d’usage. En outre, si, lors de cette participation, les citoyens remettent un avis au nom du peuple entier qu’ils représentent, le dispositif permet également de légitimer une politique publique. Il convient donc de parler d’instrumentalisation, puisque de tels dispositifs sont censés opérer une redistribution des pouvoirs et lutter contre les rapports de force entre les experts et les savoirs « profanes ».
Effets du dispositif sur les participants
et sur la décision publique
Le phénomène d’institutionnalisation, inhérent à ce type de procédé participatif par sa structure même, limite fortement les capacités dont disposent les participants à infléchir les décisions, notamment parce qu’il est le plus souvent établi par des autorités publiques, qu’il s’inscrit dans une temporalité courte et que les thématiques sont prédéfinies.
De manière générale, le dispositif délibératif peut être considéré comme une innovation démocratique, légitimée par le simple fait qu’il associe des savoirs profanes à des questions qui sont généralement traitées, dans nos démocraties représentatives, dans le champ politique ou de l’expertise. Néanmoins, si tant est que le paradigme délibératif renouvelle le concept représentatif selon lequel seules les élites sont aptes à prendre part aux débats publics, il ne le transforme pas radicalement pour autant. Dans cette perspective, les participants à des dispositifs impulsés par les autorités publiques, censés pouvoir orienter le processus, sont en réalité cantonnés à un rôle passif, leurs capacités à influencer les décisions étant très faibles. La compétence décisionnelle finale reste du ressort des représentants élus, dans une logique représentative.
Cependant, les modalités selon lesquelles s’organise cette participation peuvent potentiellement avoir un impact sur les aptitudes des participants à infléchir les décisions publiques et avoir des conséquences émancipatrices et mobilisatrices sur les citoyens en fonction du degré d’innovation démocratique du dispositif.
En effet, si les résultats des délibérations liées aux dispositifs ayant accompagné le Pacte n’ont pas fait l’objet d’une large médiatisation, ce principe de transparence externe encourage pourtant les débats au sein de l’opinion publique et pourrait inciter les élus représentants à accorder une authentique considération aux savoirs d’usage, plutôt que d’ignorer ces derniers ou de ne sélectionner que ceux allant dans le sens de leurs préférences.
En outre, bien que les dispositifs délibératifs soient impulsés, organisés et contrôlés par les autorités publiques, qu’ils soient souvent réduits à des dynamiques locales et que les recommandations des participants ne soient généralement pas considérées, d’aucuns estiment tout au moins le potentiel mobilisateur de la participation politique. La dynamique de la participation permettrait, indépendamment de l’impact et de l’efficacité du dispositif, d’intéresser les citoyens à la gestion de la cité.
Enfin, si les mécanismes de démocratie semi-directe ne réforment pas en profondeur le système institutionnel représentatif, dans lequel les innovations de démocratie directe restent tout à fait ponctuelles, ils pourraient essentiellement établir un nouveau lien communicationnel entre les représentants et les représentés et de développer une culture de la participation auprès des citoyens, mais également auprès des élus. C’est notamment dans ce sens qu’il convient de parler d’innovation institutionnelle.
Quelles perspectives ?
La réponse au déclin démocratique doit pouvoir s’effectuer à partir d’une démocratisation de notre système politique. Par ailleurs, si le concept de la représentation, originellement confronté à celui de la démocratie, est aujourd’hui considéré comme le régime démocratique par excellence, et que celui-ci fait paradoxalement l’objet de vives remises en cause, les dispositifs consultatifs de démocratie semi-directe pourraient permettre de démocratiser la représentation et s’envisager au-delà d’une simple opposition entre les concepts de démocratie participative et de gouvernement représentatif. En transgressant ces antagonismes, l’on peut essayer de tendre vers un idéal démocratique, en envisageant les consultations populaires comme autant de moyens de rendre au public son pouvoir démocratique de participation aux débats publics et comme étant un apport au gouvernement représentatif. En effet, des évolutions sont possibles. En analysant les mécanismes de domination, occultés par les discours dominants politiques, l’on tente de briser le mythe du fatalisme politique, et de consacrer l’émancipation du peuple afin de construire une société nouvelle et des « utopies réalistes »2.
À cet effet, il s’agirait également de pouvoir considérer l’espace public comme un lieu de délibération pour la société civile afin d’asseoir son droit le plus démocratique de participation à l’organisation de la cité. À titre d’illustration, cette disposition a permis à la liste Agora de composer une assemblée de citoyens tirés au sort, le parti a décroché un élu au Parlement bruxellois. C’est dans ce sens qu’il convient d’envisager une réelle « démocratisation de la démocratie »3, à partir d’un mécanisme de contrôle et de contestation de l’action publique produisant des changements institutionnels et relevant d’un véritable processus de justice sociale.
- Seuls le Groupe central, le comité d’accompagnement et le bureau du Pacte ont disposé d’un pouvoir d’arbitrage concernant la prise en considération des recommandations des citoyens.
- Yves Sintomer, « Les futurs de la démocratie au XXIe siècle », dans Raison publique, no 20, 2016, pp. 175-191.
- Ibid.
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