La tartine
Laïcité et droits humains : les inséparables
Véronique Limère • Présidente du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège
Mise en ligne le 2 septembre 2022
Le Centre d’Action Laïque, résolument universaliste, défend et promeut les libertés et droits fondamentaux pour toutes et tous. La laïcité est en ce sens indissociable de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), cet idéal commun à atteindre par tous les peuples.
Illustrations : Max Tilgenkamp
La DUDH partage et promeut les valeurs universelles qui la sous-tendent et qui garantissent à chaque citoyen une équité de traitement et le respect d’un certain nombre de droits fondamentaux. Elle s’insurge contre tous les agissements qui dégradent la dignité des personnes, qui mettent en cause le principe d’égalité des citoyens ou qui privilégient les uns au détriment des autres1. Le mouvement laïque milite pour une société de justice et de solidarité et entend donc contribuer à la réalisation et à la concrétisation de celle-ci.
Une déclaration, un idéal à poursuivre
C’est en 1948, sur les ruines d’une humanité à bout de souffle, que des femmes et des hommes, venus d’horizons et de pays divers, pensent, rédigent et proposent à l’adoption un texte qui fera date. Trente articles qui définissent, à l’aune de cette société de l’après-guerre, ce qui devrait être un socle inaliénable sur lequel bâtir une vision universelle, équitable, juste, progressiste et non violente de l’humanité.
Aujourd’hui, presque septante-cinq ans après cet acte fondateur, à la suite de bien des péripéties, des sursauts, des déchirements, la DUDH est toujours une boussole, une exigence morale de notre temps. Nombreux sont celles et ceux qui s’en réclament encore. Et c’est heureux. Gardons-nous cependant d’imaginer que ce texte essentiel est à l’abri des tourments d’une époque que rien n’épargne.
Depuis son adoption par l’ONU, à Paris en 1948, la DUDH a subi son lot de critiques. Elle a difficilement été traduite dans les textes de lois des États qui la votèrent pourtant, avec entrain. Depuis, des pays sont nés, d’autres ont disparu, des idéologies, comme des murs, se sont écroulées. Les crises se sont accumulées : crise financière, terrorisme, crise sanitaire, inondations, guerre en Ukraine, crise énergétique et écologique ; avec pour conséquences la montée des populismes, des nationalismes, du repli identitaire, l’explosion des inégalités et un désenchantement, un sentiment d’impuissance ressentis par maints citoyens et citoyennes. Ainsi, malgré d’immenses progrès réalisés, les obstacles aux principes de la Déclaration sont encore nombreux ; des mouvements politiques et religieux les combattent ouvertement, des droits sont contestés, voire remis en cause.
Des droits à remettre au centre du débat
Dans un tel contexte, la DUDH peut-elle aujourd’hui encore être un idéal mobilisateur et partagé ? « Ce que l’on vit maintenant est l’occasion de remettre les droits humains au centre du système. C’est une utopie réaliste. Si l’on renonce, on renonce à tout », disait Françoise Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme. Le 12 mai dernier, à la Cité Miroir, lors d’une conférence intitulée « Les droits humains, un levier d’actions pour (re)faire société », elle nous invitait à la lucidité, à la vigilance, mais aussi à la résistance. Les droits humains sont aujourd’hui dans une zone de turbulences et c’est ensemble, individuellement et collectivement, que nous devons résister. L’indifférence aux droits humains est peut-être pire que les régressions. C’est ensemble que nous devons être lucides et vigilants, que nous devons résister. Alors résistons !
Les droits humains n’ont de sens que s’ils sont les droits de tous
Si nous devons faire face à de nouveaux défis, nombreux et essentiels, ne perdons pas de vue l’effectivité des droits existants, des droits à mettre en œuvre, des droits à respecter, des droits qui ont été fragilisés aussi durant la pandémie, d’autant plus auprès des personnes vulnérables.
La DUDH comprend notamment le droit à la sécurité sociale, à un niveau de vie décent, à des moyens de subsistance, à l’éducation, au logement, à la santé, au travail, au repos et aux loisirs également. Le non-recours à ces droits est pourtant une réalité, parfois difficilement quantifiable mais bien présente, et touche particulièrement les personnes qui vivent dans la pauvreté. Parce qu’elles ignorent qu’elles sont titulaires de ceux-ci, par manque d’informations, par crainte des effets pervers de certaines mesures, d’être stigmatisées ou encore car les procédures et les lois sont parfois complexes, les freins administratifs réels et la fracture numérique importante, ces personnes ne font pas valoir leurs droits. Des associations y réfléchissent, des propositions existent, des pistes sont à explorer et des réponses politiques doivent être apportées.
Veillons aussi à assurer à chacun un égal accès à la justice, garant d’un traitement équitable entre les citoyens, sans lequel des individus basculent et demeurent dans l’extrême pauvreté. Il y a urgence ! La hausse des prix de l’énergie nous met aujourd’hui face à une crise sociale majeure. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne et des populations précarisées se réduit, ces personnes ne pourront bientôt plus se payer certains biens essentiels ni ainsi satisfaire leurs besoins fondamentaux.
Pour une société plus juste, plus libre, plus solidaire et plus durable…
Depuis l’adoption de la DUDH, les sociétés ont évolué et le monde a radicalement changé. Doit-on dès lors reformuler la Déclaration ? Y ajouter de nouveaux droits ? Nous ne pouvons plus ignorer la crise climatique planétaire ni les menaces qui pèsent sur notre environnement. Les droits humains sont de plus en plus dépendants des défis environnementaux qui se posent au niveau mondial et dont le changement climatique est l’expression la plus violente. Peut-être est-il temps, peut-être est-il même urgent, de faire du droit de vivre sur une planète saine un droit humain, un droit universel.
Utilisons les leviers de l’État de droit et demandons des comptes aux États sur leur action ou inaction à mettre en œuvre les objectifs climatiques auxquels ils ont souscrit. Garantir l’universalité des droits n’implique-t-il pas aussi de refonder la politique d’asile et de migration, de faire naître un droit à l’assistance humanitaire ? Les droits fondamentaux, s’ils doivent être défendus sur les plans politique et juridique, doivent également être promus par la société civile et celle-ci a un rôle majeur à jouer.
Un rapport récent de la Fondation Roi Baudouin2 montre qu’il y a une grande vitalité citoyenne qu’il ne faut pas négliger et qui agit dans de nombreux domaines (alimentation, climat, environnement, précarité). C’est aussi la mobilisation de la société civile qui permettra peut-être l’éclosion de cette troisième génération de droits humains, qui reposent sur l’idée de solidarité. Cette solidarité est celle entre les peuples de la planète, mais également entre les générations présentes et futures. « Solidarité » veut simplement dire que les hommes et les femmes sont tous membres d’une même humanité, qu’ils la portent tout entière en eux-mêmes.
… dans un contexte numérique omniprésent
Les évolutions technologiques modernes mettent, par ailleurs, la société face à de nouvelles réalités. Notre vie culturelle, nos opinions sur le monde qui nous entoure dépendent de plus en plus d’algorithmes qui choisissent, sélectionnent et trient pour nous sans que nous en ayons le contrôle et, souvent, sans en avoir conscience. Notre temps d’attention est devenu progressivement une ressource pour les producteurs de contenus.
Couplée à la réalité d’une mondialisation exponentielle, cette évolution d’une grande partie de l’humanité vers un « tout au numérique », assumée ou subie, apporte, elle aussi, son lot de nouveaux enjeux, de nouvelles inégalités par la fracture numérique et les disparités d’éducation à l’esprit critique et à l’usage de ces technologies.
Cette « citoyenneté numérique » ne réclame-t-elle pas la rédaction d’autres « droits numériques » adaptés à sa réalité, tout autant qu’une profonde réflexion autour des devoirs éventuels des États à légiférer dans cette jungle du Web inédite, aux mains de multinationales qui échappent bien trop souvent à toute possibilité de contrôle législatif par leurs montages financiers et leurs implantations ? Au-delà des options innovantes et performantes qu’ils ouvrent à l’humanité, ces changements imposent d’autres chantiers.
Éveiller les consciences
Face à ces enjeux, le Centre d’Action Laïque n’entend pas être un simple observateur. Il n’hésitera pas à prendre sa place dans les actions et mouvements qui contribueront à la promotion des valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité et à la construction d’une société fondée sur la justice et l’entraide respectueuse des droits de toutes et de tous. Avec toutes les forces progressistes et partenaires, encourageons la vitalité citoyenne, poursuivons la formation de citoyens critiques, d’éveilleurs de consciences, qui individuellement ou collectivement, exigeront de nos responsables politiques qu’ils traduisent en actes les valeurs humanistes de la DUDH.
Une action de longue durée
Le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège a fait de ces valeurs le moteur de ses actions, et de la Déclaration universelle des droits de l’homme une référence incontournable. La place centrale, depuis de nombreuses années, d’activités spécifiquement dévolues à l’éducation aux droits humains a vu la concrétisation de multiples projets, notamment en milieu scolaire : organisation de quinzaines thématiques (droits de l’enfant, droits des femmes, lutte contre les discriminations, liberté d’expression, liberté de circuler, non-violence…), formations, rédaction d’outils pédagogiques, création d’expositions… ont ainsi jalonné l’histoire de notre régionale et permis à plusieurs milliers de jeunes, de citoyens et citoyennes, de membres de la communauté éducative d’être sensibilisés à une éducation aux droits humains. Pointons deux de nos dernières réalisations : Le Carnet de bord pédagogique pour enseignants et animateurs, un outil pour conscientiser, responsabiliser et susciter l’engagement, et « Incursion dans une déclaration », une exposition pour découvrir la DUDH.
- Définition de « droits humains » dans « La laïcité de A à Z ».
- « Les volontaires : d’une importance vitale pour notre société », communiqué de presse de la Fondation Roi Baudouin, 6 juillet 2021.
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