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De la possibilité
de dire non

Lilas Rigaux · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 3 mars 2025

Penser la sexualité comme si nous étions toujours en situation de danger renforcerait l’image féminine traditionnelle de fragilité et finit par nous renvoyer au lieu que le patriarcat a toujours assigné aux femmes. »

Avec les récentes avancées féministes, la notion de consentement est devenue centrale dans les débats sur les violences sexuelles. Elle n’est plus seulement pensée en termes de contrainte ou de violence, mais comme un principe fondamental à garantir. Pourtant, cette notion est plus complexe qu’il n’y paraît, et c’est précisément ce que Clara Serra met en lumière dans La doctrine du consentement.

Philosophe, chercheuse et militante féministe espagnole, elle propose une analyse approfondie, audacieuse et nuancée du consentement, qu’elle examine sous l’angle de la sexualité, mais aussi à travers ses multiples implications sociales et politiques. Elle interroge en particulier les différentes conceptions juridiques du consentement, comme le « consentement affirmatif », qui exige une expression explicite et positive. Résumé par le slogan « seul un oui est un oui », ce principe est notamment appliqué dans le droit espagnol.

Mais cette approche, qui repose sur l’idée que chaque individu dispose pleinement de sa liberté de choix, ne prend pas en compte les normes sociales qui influencent la manière dont le consentement est donné et perçu. Dans un environnement patriarcal où persistent des inégalités structurelles, il est parfois aussi difficile d’exprimer un refus que d’affirmer un consentement. « Pourquoi, quand nous ne sommes pas libres de dire non, aurions-nous la liberté de dire oui ? », interroge l’auteure.

Clara Serra illustre son propos en analysant des affaires récentes, comme le procès des viols de Mazan, et met en évidence les dangers du concept de « consentement affirmatif ». Elle suggère que ce qui devrait être mis en avant n’est pas tant la question du « oui », mais plutôt de la possibilité de dire « non ». Selon elle, « les contours de la violence apparaissent bien plus clairement quand on s’intéresse au fait que les agresseurs ont créé les conditions qui rendaient impossible le fait de pouvoir dire non ». L’absence de consentement ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu délit sexuel, tout comme l’affirmation d’un consentement ne garantit pas l’absence d’agression sexuelle.

Après avoir exposé les obstacles qui entravent une véritable liberté de choix dans nos interactions sociales et sexuelles, Clara Serra plonge lectrices et lecteurs dans une réflexion sur les relations interpersonnelles et le désir. Elle déconstruit l’idée que le consentement en serait nécessairement l’expression : on ne consent pas à ce qu’on désire mais à ce que l’on veut, et il peut y avoir contradiction. Le désir est complexe, il peut être ambigu et même irrationnel. Mis au premier plan dans le nouveau paradigme du consentement, il occulte la notion de volonté.

Enfin, l’auteure établit un lien pertinent entre les nouvelles lois sur le consentement affirmatif et l’expansion de la politique pénale, notamment par le durcissement du système carcéral qui s’est produit simultanément. « Nous savons qu’une structure sociale – et le patriarcat en est une – ne sera jamais jugée dans un tribunal et que le droit pénal, qui individualise la faute et la place toujours en dehors du corps social, est un outil inefficace pour combattre les inégalités de pouvoir structurelles », déplore-t-elle. Et pourtant, pour que les femmes puissent réellement dire « oui » ou « non » en toute liberté, il est essentiel d’agir sur les rapports de domination.

Avec La doctrine du consentement, Clara Serra questionne la place des femmes dans la société, les rapports de pouvoir et les normes sociales qui façonnent nos comportements. Si son analyse est rigoureuse et stimulante, elle reste exigeante et théorique. Une vulgarisation plus poussée aurait pu rendre l’ouvrage accessible à un public plus large. De même, une conclusion proposant des pistes concrètes pour réformer les structures sociales aurait enrichi la réflexion. L’essai apporte néanmoins une contribution précieuse aux débats féministes contemporains.

Clara Serra, La doctrine du consentement, (trad. Étienne Dobenesque), Paris, La Fabrique, 2025, 160 pages.

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