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Pour une laïcité
bien constituée

Anaïs Pire · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 14 mai 2024

L’inscription de la laïcité dans la Constitution est une revendication historique du Centre d’Action Laïque, encore réitérée à l’occasion de sa Convention en 2022 et inscrite parmi les priorités de son mémorandum pour les élections de 2024. Si la longévité de cette proposition est évidente et témoigne donc de son importance pour le mouvement laïque, elle reste toutefois source de confusions, voire de caricatures. Cette circonstance est bien entendu incompatible avec le débat qui mérite d’être mené sur les enjeux essentiels du rôle de l’État et du vivre ensemble que cette proposition appelle.

Illustrations : Olivier Wiame

Loin d’un combat idéologique qui viserait à faire reconnaître, au plus haut niveau de l’État, une valeur défendue dogmatiquement par le seul mouvement laïque tel un credo, cette proposition vise à garantir les droits fondamentaux de chaque citoyen.ne, indépendamment de ses convictions. En effet, la laïcité n’est pas une valeur à proprement parler, mais bien un principe d’organisation de la sphère publique. Ainsi, pour reprendre un adage célèbre, « la laïcité n’est pas une opinion, mais la liberté d’en avoir une ».

Plus qu’un simple régime de séparation de l’État et des Églises, la laïcité fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse. Si cette séparation du politique et du religieux est donc nécessaire, elle n’est pas suffisante dans la mesure où l’État doit garantir la liberté de conscience, de religion et de conviction de chaque citoyen pour permettre la vie en société. En veillant à la stricte indépendance des pouvoirs publics et de l’État par rapport aux différentes convictions, la laïcité établit l’égalité entre les citoyens puisqu’aucun traitement de faveur ni aucune discrimination n’est possible en fonction de leurs convictions.

Construire du commun

La laïcité est dès lors une condition de la citoyenneté, puisqu’elle fonde un projet de société sur des valeurs communes et non sur des appartenances religieuses, culturelles ou ethniques. Ces valeurs communes sont exprimées par la loi, qui s’applique à toute personne et qui l’emporte sur les règles religieuses si ces deux obligations entrent en contradiction. Par l’exercice de la démocratie, la laïcité contribue à construire du commun et endiguer les replis identitaires et les communautarismes.

Dans un État laïque, toutes les croyances religieuses, toutes les conceptions philosophiques, toutes les opinions politiques sont susceptibles de s’exprimer dans l’espace public pour autant qu’elles ne portent pas atteinte à la loi et aux droits et libertés d’autrui, étant entendu qu’aucune liberté n’est absolue puisque celles-ci risquent d’entrer en concurrence d’une manière ou d’une autre. Ce serait par exemple le cas en matière de prosélytisme, car la liberté de religion et la liberté de pensée d’une personne ne lui permettent pas pour autant de contraindre d’autres à s’y convertir ou à y adhérer. Dans le cas contraire, la propre liberté de conviction de la personne victime de prosélytisme serait niée, violant par-là le principe d’égalité.

La laïcité n’est pas à comprendre comme une position antireligieuse étriquée, voire un athéisme obtus. Elle est au contraire la seule garante de coexistence de toutes les convictions, du vivre ensemble dans le respect de la loi démocratique commune. « La laïcité est l’avenir des religions », pour reprendre la formule un brin ironique de Henri Bartholomeeusen. Elle n’a pas davantage pour objectif de reléguer la religion au seul espace privé : l’exercice public du culte est une forme d’exercice de la liberté de conviction et est protégé à ce titre, comme l’est d’ailleurs la possibilité de s’associer entre adeptes. Il n’est pas question de confisquer des droits à « ceux qui croient » au bénéfice de « ceux qui ne croient pas », mais bien d’assurer les libertés de chacun dans une perspective de pluralisme et d’ouverture.

Une garantie supplémentaire

La laïcité n’est pas non plus à confondre avec la neutralité. La neutralité de l’État suppose que celui-ci n’ait pas d’effet sur les convictions de ses citoyens ; à l’inverse, la laïcité de l’État implique cette absence d’effet, mais également qu’il garantisse concrètement et de manière impartiale les droits humains. La laïcité sépare le religieux et le politique afin de permettre l’exercice des libertés fondamentales, tandis que la neutralité serait une simple règle d’arbitrage, l’articulation de cette séparation entre État et Églises, pour paraphraser le philosophe Jean Leclercq1, laquelle ne crée pas d’obligation positive à charge de l’État en matière de respect de la liberté de conscience, de religion et de conviction. Tout au plus prévoit-elle l’absence de coercition ou de préférence par l’État en ce qui concerne les convictions. Au surplus, la laïcité protège les convictions non seulement de la suprématie de l’État, mais également des intégrismes, des dérives sectaires, des discriminations et des fondamentalismes qui peuvent se manifester en leur sein2 ; une protection qui fait défaut dans un régime de neutralité, alors qu’elle est indispensable pour assurer la liberté de conviction de toute personne.

Des répercussions directes

L’inscription du principe de laïcité dans la Constitution ne devrait pas et ne pourrait pas être une mesure uniquement symbolique : celle-ci aurait nécessairement des répercussions dans de nombreux aspects de la société, étant entendu que la Constitution n’est pas une déclaration de principes théoriques, mais un outil vivant d’organisation de la société.

Parmi ces conséquences, la question de l’interdiction du port de signes convictionnels dans le cadre de la fonction publique est sans doute la plus commentée. Si le mouvement laïque souscrit pleinement à cette interdiction, celle-ci repose sur le fait que l’État, par le biais de ses agents, doit offrir un service impartial puisqu’il est l’autorité de tous les citoyens, sans distinction de croyances ou d’opinions, conformément au principe de laïcité. En cela, l’impartialité de la fonction publique garantit l’égalité de traitement.

En outre, il y a lieu de considérer que l’inscription de la laïcité dans la Constitution n’entraînerait pas ipso facto la fin du système de reconnaissance et de financement des cultes et des organisations philosophiques tel qu’il est mis en œuvre en Belgique. En effet, plus que la simple séparation des Églises et de l’État, la laïcité implique la garantie des libertés de conscience, de religion et conviction, l’impartialité de l’État et l’égalité de traitement. Ces principes ne sont pas en soi inconciliables avec un système de financement public des communautés convictionnelles, bien qu’en l’état, le système belge nécessite plusieurs sérieuses adaptations pour correspondre à ces principes : par exemple, une répartition plus équitable des moyens financiers actuellement mobilisés pour les convictions reconnues pour mieux correspondre aux convictions de la population, l’adoption d’une loi qui établit la procédure et détermine des critères objectifs pour l’accès au financement public afin d’écarter tout risque d’arbitraire ou encore la mise en place d’un contrôle impartial et effectif sur l’octroi et l’utilisation des subsides publics.

En conclusion, c’est en garantissant la laïcité au sommet de la hiérarchie des normes que l’État de droit prend tout son sens, puisque le rôle de l’État est alors de mettre en œuvre les valeurs partagées par l’ensemble de la société (aspect collectif) et de permettre l’expression de l’autonomie de chaque personne en ce qui concerne ses choix de vie (aspect individuel) par le biais de l’adoption de lois respectueuses des droits fondamentaux. Le mouvement laïque reste dès lors convaincu de l’intérêt de sa proposition d’inscription de la laïcité dans la Constitution, afin de prévenir toute atteinte à la cohésion sociale et au vivre ensemble. Et de poursuivre un projet de société fondé sur des valeurs communes et non sur le rejet de l’autre.

  1. Rapport introductif d’initiative parlementaire, « Le caractère de l’État et les valeurs fondamentales de la société », doc. parl. 2018/2914, p. 36.
  2. Ibidem.

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