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Liberté de conviction
à défendre !

François Finck · Délégué « Europe & International »

Mise en ligne le 14 mai 2024

Le mouvement laïque s’est toujours battu pour le droit de chacun à former ses propres convictions. La liberté de pensée, de conscience et de religion constitue un droit humain essentiel à l’épanouissement de l’individu et à la construction d’une société libre et solidaire.

Illustrations : Olivier Wiame

Si des progrès notables ont été accomplis durant ces dernières décennies, des dizaines de pays à travers le monde répriment toujours le fait de quitter sa religion ou d’en critiquer ou moquer les dogmes, et des mouvements cherchent à empêcher la dissidence et la critique par l’intimidation et la terreur. Des forces inspirées par des idéologies fondamentalistes provoquent de véritables retours en arrière.

Il est inconcevable qu’un droit aussi fondamental et intime que la liberté de pensée soit encore autant menacé, mais notre époque est marquée par une offensive d’idéologies réactionnaires et de fanatisme religieux visant à imposer leurs dogmes. Les libertés ne sont jamais entièrement acquises, elles nécessitent un engagement de tous les instants. La Belgique et l’Union européenne doivent se montrer à la hauteur de leur proclamation des principes humanistes sur lesquels elles sont fondées.

Le retour du blasphème

En juin 2017, le Danemark abolissait sa loi incriminant le blasphème, comme la France pour les départements d’Alsace-Moselle la même année, l’Irlande en 2020… pour le réintroduire seulement six années plus tard. Le 7 décembre 2023, le Parlement danois a adopté une loi punissant le « traitement inapproprié » de textes ayant une signification religieuse importante pour une communauté religieuse d’une peine maximale de deux années d’emprisonnement. Ce texte interdit « de brûler, souiller ou de donner des coups de pied publiquement sur des textes religieux ou dans le but de diffuser largement les images des profanations. Il sera également interdit de les déchirer, les couper ou les poignarder »1. Comment expliquer un tel retour en arrière ? Peu après avoir abrogé le délit rétrograde de « blasphème », le législateur d’un État vanté pour la qualité de sa démocratie introduit un délit de « sacrilège », car c’est bien de cela qu’il s’agit : une fétichisation d’un objet, considéré comme sacré. C’est aussi une réintroduction du délit de blasphème, bien que limité à certains actes.

Richard Malka présente bien l’ampleur du problème : « Les livres témoignent d’un passé et plutôt que de les brûler ou de les effacer, démarche peu constructive, il serait préférable de les critiquer, de les contextualiser, de les expliquer et, encore mieux, d’en écrire d’autres. Brûler un livre, n’importe quel livre, n’a jamais rien produit de bon ni élevé l’intelligence collective ou fait progresser un débat. Pour autant, rendre cet acte pénalement répréhensible, c’est s’engager sur une pente extraordinairement dangereuse. » Et de conclure que « les esprits libres – en particulier musulmans, et plus spécifiquement iraniens – risquent de payer cher cette aberration législative, finalement bien plus irresponsable et porteuse de ténèbres que les actes qu’elle entend réprimer »2.

Le cas du Danemark est particulièrement grave et inquiétant : voici un pays démocratique et libéral, réputé pour sa stabilité et la qualité de sa vie démocratique, qui réintroduit le délit de sacrilège, cédant de ce fait à la pression exercée par des États au régime dictatorial. Déjà lors de l’affaire des caricatures, il avait été en première ligne : il avait tenu bon, mais était isolé, sans soutien des autres démocraties. Il n’est par ailleurs pas le seul État européen à posséder encore – ou de nouveau – des textes de loi protégeant dogmes religieux ou objets de culte.

Le Code pénal allemand punit d’une peine maximale de trois ans d’emprisonnement le fait d’insulter « la substance de la confession religieuse ou philosophique d’autrui » ou « une église ou […] association de conviction existant sur le territoire national, ses institutions ou ses coutumes, d’une manière susceptible de troubler la paix publique ». Le Code pénal polonais punit de deux ans d’emprisonnement le fait d’« insulter les sentiments religieux en insultant publiquement des objets de culte religieux ou un lieu destiné à l’accomplissement public de rites religieux ». Adam Darski, chanteur du groupe Behemoth plus connu sous le nom de Nergal, avait d’ailleurs été inculpé pour avoir déchiré un exemplaire de la Bible pendant un concert, avant d’être acquitté. La chanteuse Doda, quant à elle, a été condamnée pour des propos critiques de la religion catholique. L’application de la loi dans cette affaire a été jugée comme une violation de la Convention par la Cour européenne des droits de l’homme. Néanmoins, la loi elle-même n’a pas été jugée contraire à la Convention. C’est une anomalie dans des sociétés démocratiques et ouvertes. De telles lois ont un effet intimidant, et limitent l’expression artistique, culturelle et politique.

Au prétexte de protéger les « sentiments religieux » des citoyens, dans ces États, la loi immunise les dogmes religieux de la critique. Selon les laïques, aucune idée ne peut être soustraite à la critique et au libre examen. C’est d’autant plus grave lorsque la loi, qui doit être la même pour toutes et tous, vient défendre les privilèges des religions établies. Rendre punissable la critique ou la satire de la religion revient à reconnaître à la loi de Dieu sa supériorité sur celle des hommes. Une fraction de la société impose sa représentation particulière à tous. Contre ces prétentions, la laïcité revendique la liberté humaine à se donner ses propres lois, en mettant en place un pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse.

Le CAL demande l’abrogation des lois incriminant la critique et la satire des dogmes et objets de culte, dans l’Union européenne et dans le reste du monde. Dans de nombreux pays, non seulement la critique de la religion est durement réprimée, mais aussi la liberté de conscience la plus fondamentale : celle de croire, de ne pas croire, de changer de croyance…

Laïques et humanistes persécutés

Le 5 avril 2022, Mubarak Bala, président de l’Association des humanistes du Nigeria, a été condamné à vingt-quatre ans de prison. Son crime ? La publication de posts Facebook dans lesquels il exprimait ses convictions philosophiques. Comme lui, de nombreux laïques et humanistes sont persécutés pour leurs convictions. Le simple fait de se déclarer humaniste, laïque, athée ou agnostique revient à se mettre hors la loi. Loi qui défend strictement le dogme islamique interdisant « l’apostasie », c’est-à-dire le fait de quitter la religion. L’association humaniste libyenne Tanweer a été créée dans des conditions très difficiles. Elle doit fonctionner dans la clandestinité en Libye, et de nombreux membres sont en exil.

L’Iran, l’Arabie saoudite et plusieurs autres pays punissent l’apostasie de mort. Ces régimes imposent la loi religieuse, sanctionnant cruellement toute dissidence. La théocratie est totalitaire : au nom de Dieu, elle nie la liberté humaine. Raif Badawi, condamné à dix ans de prison en 2013 pour « insulte à l’islam » et pour avoir plaidé pour la liberté de pensée et la laïcité, a subi cinquante coups de fouet ; libéré au terme de sa peine, il ne peut toujours pas quitter le territoire et rejoindre son épouse et ses enfants qui ont obtenu l’asile au Canada. En Iran, le régime a brutalement réprimé les manifestations pour la liberté de conscience et l’égalité des sexes qui ont éclaté dans tout le pays après l’assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs. Des centaines de jeunes femmes ont été emprisonnées, battues, violées par les sicaires de ce régime totalitaire. Des dizaines de personnes ont été condamnées à mort et pendues, pour « inimitié à l’égard de Dieu » et « corruption sur Terre ». Ce régime montre toute l’horreur d’une théocratie en action, et qu’il ne peut plus se maintenir que par la terreur.

D’autres pays, comme le Pakistan, ont des lois punissant de mort ou de prison le fait de quitter sa religion ; en outre, les lois sur le « blasphème » sont utilisées pour réprimer la dissidence religieuse et les laïques. Il est donc artificiel de séparer l’apostasie du blasphème, car exprimer son rejet de la religion, que ce soit par l’affirmation de son athéisme ou la critique d’un dogme, revient à violer les lois incriminant le « blasphème ».

L’Inde est en principe une démocratie reconnaissant à la laïcité une valeur constitutionnelle. Cependant, ce pays est en proie à une forte pression des nationalistes hindouistes au pouvoir. Selon eux, la religion hindouiste est un élément essentiel de l’identité indienne. Cette conception marginalise les non-hindouistes, musulmans et chrétiens, ainsi que les rationalistes qui luttent contre l’emprise de la religion et des superstitions. Entre 2013 et 2015, trois éminents rationalistes ont été assassinés en raison de leur travail de lutte contre la superstition ou le nationalisme hindou. Les autorités ont rapidement promis d’agir, mais ont également été accusées d’exclure prématurément tout lien avec des groupes extrémistes nationalistes hindous. En outre, Narendra Nayak, président de la Fédération des associations rationalistes indiennes, qui depuis des décennies fait campagne contre les superstitions et qui plaide pour la défense de la laïcité, est menacé de mort. Les autorités lui ont supprimé la protection policière dont il bénéficiait.

Solidarité internationale

Les démocraties doivent être fermes sur leurs principes et solidaires. La liberté de religion et de croyance, parfois nommée la « liberté de pensée, de conscience et de religion », est un droit fondamental protégé aux niveaux international et européen. Il protège la liberté de chacune et de chacun d’embrasser les croyances, religieuses ou non, de son choix ; il protège également la liberté de ne pas croire, celle de changer de religion ou de croyance ou de les abandonner et celle de ne pas être contraint à se convertir contre son gré.

Au cours de la décennie passée, la liberté de religion et de conviction s’est hissée jusqu’à l’agenda européen. L’Union européenne y a consacré une attention grandissante et s’est dotée d’outils pour l’encourager à l’extérieur de ses frontières. Le CAL demande de poursuivre cet effort, tant à l’intérieur que hors de l’Union. Notamment, le mandat de l’envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion et de conviction doit explicitement inclure les droits des non-croyants (athées, agnostiques, « apostats »…). L’Union doit aussi s’assurer que les États membres examinent avec justice et transparence les demandes d’asile des athées, agnostiques et humanistes et octroient protection et asile aux personnes persécutées ou qui risquent de l’être pour cause d’« apostasie » ou de « blasphème ».

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