La tartine
Climat : un train
à ne pas manquer !
Lucie Barridez · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM
Mise en ligne le 14 mai 2024
À quel titre les laïques s’intéressent-ils à l’écologie ? Pourquoi ont-ils fait de la justice climatique l’une de leurs priorités ? Découvrez comment le mouvement redéfinit les contours de son action pour un monde durable dans lequel l’écologie et la justice sociale sont les faces d’une seule et même pièce.
Illustrations : Olivier Wiame
Quand on pense à l’écologie, le second terme qui nous vient à l’esprit n’est certainement pas la « laïcité ». Comment ce principe garant de la séparation de l’Église et de l’État peut-il être traduit dans les discours sur l’écologie ? Quelle contribution les laïques peuvent-ils apporter à la protection de l’environnement ? Que l’on se rassure tout de suite, les laïques ne font pas de l’écologie un dogme à déconstruire. Bien au contraire, ils se sentent directement concernés par la détérioration de l’environnement, en vertu des valeurs qu’ils défendent.
Car être laïque, ce n’est pas défendre l’impartialité de l’État comme une lubie ou par pur plaisir. C’est avant tout considérer que cette séparation à l’égard du religieux est une condition sine qua non d’une société dans laquelle les individus sont réellement libres, égaux et solidaires. Pendant longtemps, on a pu croire que c’était l’unique condition de départ. Mais c’était avant que la catastrophe climatique ne devienne si alarmante qu’on ne peut plus ignorer l’évidence : sans un environnement habitable et soutenable, il est impossible pour la laïcité d’appliquer ses valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité.
La transition écologique selon les valeurs laïques : une nécessité démocratique
En effet, l’exercice des droits et libertés fondamentales est conditionné par notre environnement. L’affirmation peut sembler logique et pourtant, les citoyen.ne.s ont tendance à l’oublier. C’est parce que nous n’avons pas chaque jour à nous préoccuper de notre survie que nous sommes en capacité de nous consacrer à notre éducation, à notre santé, à notre vie familiale et affective et à nos loisirs. Cette sécurité existentielle n’engage pas seulement l’exercice des droits et libertés mais nous confère aussi la possibilité de les faire valoir et d’en revendiquer de nouveaux. Or, c’est la base même du travail réalisé par les membres du mouvement laïque. Historiquement, celui-ci s’illustre à travers des combats qui visent l’autonomie et l’émancipation des personnes via l’acquisition de droits tels que celui d’interrompre volontairement sa grossesse, de mourir dignement, de bénéficier d’un enseignement libéré des dogmes religieux et même le droit de consommer librement des produits psychotropes. Or, il est désormais nécessaire de s’inquiéter de la place de ces combats dans une société ravagée par les atteintes à l’environnement. Difficile, en effet, de s’imaginer militer en faveur de la légalisation du cannabis alors que les pénuries d’eau et de terre cultivable entraînent une grave crise de la famine.
Car c’est justement là que le bât blesse. Les effets du réchauffement climatique ne se limiteront pas à une hausse des températures, nourrissant l’espoir pour certain.e.s d’enfin profiter d’un bel été en Belgique. Il ne s’agira pas non plus uniquement de doter nos communes d’infrastructures solides pour prévenir les risques d’inondation. Plus important, ce sur quoi les militants écologistes ne cessent de nous interpeller, ce sont les effets du changement climatique et des catastrophes environnementales sur la disponibilité et l’accessibilité des ressources vitales (l’eau, l’air, l’alimentation, le logement, l’énergie, etc.). Contrairement à ce que véhicule l’esprit du capitalisme, celles-ci ne sont pas illimitées et les atteintes directes à l’environnement accroissent davantage leur mise en concurrence, due à leur raréfaction.
Et, on le sait, dans nos sociétés néolibérales, la réponse à la rareté va toujours dans le sens de la privatisation plutôt que dans celui de la gestion collective. C’est le cas notamment en Australie, où les autorités organisent depuis 2007 une marchandisation de l’eau malgré les sécheresses à répétition. L’État a ainsi fixé des quotas aux agriculteurs australiens tout en offrant aux investisseurs privés d’acheter des réserves, au prix du marché. Résultat : bon nombre d’agriculteurs doivent vendre leur ferme, incapables de payer le surplus d’eau nécessaire en période de sécheresse, lorsque le prix a augmenté. Ce type d’exemple doit nous interpeller quant aux risques des pénuries sur la démocratisation des ressources vitales. Va-t-on vers un monde où seuls les plus riches auront accès à une eau propre ?
La justice climatique : un impératif laïque
Cette problématique vient évidemment piquer à vifs les laïques, qui placent au cœur de leurs actions la lutte contre les inégalités, contre la pauvreté et en faveur de la cohésion sociale. Non seulement car elle rend incertain l’avenir de notre combat pour une société plus libre, égalitaire solidaire, mais aussi parce qu’elle augmente l’ampleur des défis actuels pour atteindre la justice sociale. En effet, il n’y a nul besoin d’attendre 2050 pour observer, en Belgique, les effets du changement climatique sur les conditions de vie et le portefeuille des plus pauvres. Rappelons-nous les inondations survenues dans notre pays en juillet 2021 et dont les scientifiques du World Weather Attribution group ont démontré le lien de causalité avec le réchauffement2. En plus des 39 vies perdues dans ces inondations, les sinistrés se sont retrouvés sans domicile. Les ménages précarisés ont dû alors faire face à une grande difficulté pour se reloger, tant les prix de l’immobilier et des matériaux de construction étaient élevés. On voit ainsi à quel point la capacité de s’adapter et de rebondir face aux catastrophes naturelles dépend du capital financier des individus.
La nécessité de relier l’écologie au combat pour la justice sociale est d’ailleurs d’autant plus criante que les groupes vulnérables sont loin d’être les principaux pollueurs. C’est ce que confirme un rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab)3. D’après ce dernier, les 10 % les plus riches de la planète sont responsables de près de la moitié (48 %) des émissions mondiales, tandis que la moitié la plus pauvre n’en émet que 12 %. Cette différence de responsabilité est révélatrice des injustices causées par l’inégale répartition des richesses. D’un côté, on voit les plus riches jouir de la croissance de leur capital sans être touchés par le coût environnemental de leur empreinte carbone. De l’autre, on mesure la détresse des populations précarisées qui, à tous niveaux, en paient les pots cassés. En tant que laïques, nous ne pouvons rester indifférents face à cette montée croissante des inégalités et de l’injustice. Il est donc primordial que nous intégrions la justice climatique dans nos combats.
Pour une écologie solidaire, égalitaire et démocratique
Une question subsiste : concrètement, comment les laïques vont-ils et vont-elles agir ? Évidemment, elles et ils n’ont pas pour habitude de prier pour que leurs vœux s’exaucent. Alors, comme à leurs habitudes, ils examinent librement toutes les idées relevant de l’écologie, ils en débattent collectivement et surtout, ils se concertent démocratiquement pour définir les axes de leur travail. C’est exactement ce qui a été fait lors de la Convention laïque, en octobre 20224. Ce grand rassemblement a permis d’orienter officiellement le travail du mouvement laïque vers la lutte contre les atteintes à l’environnement. Très vite, les laïques se sont refusé à faire la promotion d’une alter-écologie qui repose uniquement sur les petits gestes individuels et le développement personnel. Forts de leurs valeurs et de leur attachement à une citoyenneté active et solidaire, les laïques ont fait de la justice climatique l’une de leurs priorités. Celle-ci est désormais inscrite dans le Mémorandum 2024 du Centre d’Action Laïque5.
En vue des prochaines élections, le CAL exige donc auprès de l’ensemble des partis politiques de tout mettre en œuvre pour opérer une transition climatique qui tienne compte des impératifs liés à la justice sociale. Il est impératif pour le Centre d’Action Laïque que nos gouvernements mènent une politique écologique à la hauteur des enjeux à venir. En revanche, il est hors de question de soutenir des mesures environnementales qui précarisent davantage la population vulnérable et font de l’écologie une pure affaire de choix individuels. Il conviendra ainsi d’évaluer les prochains accords de gouvernement et les notes de politique générale de nos futurs ministres sous le prisme de la justice climatique. Rien ne devra être laissé au hasard et toutes les actions nécessaires seront entreprises pour que chaque citoyen.ne jouisse du même droit à un environnement sain et durable.
Par ailleurs, n’oublions pas que la transition juste ne peut s’opérer que de façon démocratique. Eu égard à la montée de l’extrême droite en Flandre et, plus largement, au sein de l’Union européenne, le Centre d’Action Laïque devra rester vigilant quant à une possible reprise politique du climato-scepticisme, mais aussi quant aux axes de gouvernance empruntés pour lutter contre le réchauffement climatique. Bref, le chantier est de grande ampleur. Alors au boulot, les laïques !
- « Malgré la sécheresse et les incendies, l’Australie vend son eau à des investisseurs », dans Moustique, 10 janvier 2020.
- « Derrière les inondations de juillet 2021, l’ombre du réchauffement climatique : ce type d’événement risque-t-il de devenir plus fréquent ? » RTL info, 4 juillet 2022.
- WID – World Inequality Database, « Climate Inequality Report 2023, Fair Taxes for a Sustainable Future in the Global South ».
- Site Web « Convention laïque 2022 – (re)faire société ».
- « Mémorandum 2024 du Centre d’Action Laïque », février 2024.
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