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Pour un cinéma
plus féminin
et plus inclusif

Par Vinciane Colson · Journaliste « Libres, ensemble »

et Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction

Mise en ligne le 1er juillet 2024

Elles sont réalisatrices, scénaristes, productrices, directrices photo, monteuses ou encore ingénieures du son. Elles font des films, mais il est toujours bien compliqué pour elles de se faire une place dans le monde du cinéma, d’obtenir des financements et d’être reconnues par la profession. Elles sortent des écoles de cinéma en même nombre que les hommes, mais les films belges francophones sont encore majoritairement réalisés par des hommes. De multiples obstacles se dressent mais elles ne manquent pas d’idées pour se faire une meilleure place au box-office.

Photo © Elles* font des films

C’est le résultat de l’étude des productions audiovisuelles belges francophones sur un peu plus d’une décennie intitulée « Devant et derrière la caméra, elles font des films »1 : seuls 36 % des films partiellement financés par les pouvoirs publics entre 2011 et 2022 ont été réalisés par des femmes. Des chiffres belges qui se confirment malheureusement au niveau supérieur : selon un rapport de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, en 2022, les femmes représentaient 28 % des professionnel.le.s travaillant dans la production de fictions destinées à la télévision et aux plateformes de vidéo à la demande par abonnement.

Sous-représentées et sous-financées, les femmes qui évoluent professionnellement dans le monde du cinéma en Belgique francophone en ont eu assez de rester sur le bord de la route (de Madison). En 2017, certaines d’entre elles se sont rassemblées en un collectif devenu association : Elles* font des films. « Pour financer tous les projets que nous mettons en place ensemble, nous avions besoin qu’une association constituée de membres professionnelles de l’audiovisuel belge représente cette communauté et milite pour la parité, l’inclusion et la diversité dans le monde du cinéma », explique Aude Verbiguié-Soum, autrice et réalisatrice1.

Avant de tenter de résoudre les problèmes, il fallait les quantifier. L’association en est toujours persuadée : « Les chiffres sont nécessaires pour un premier pas vers la parité car ils mettent en lumière des inégalités systémiques trop souvent invisibles. » Et c’est justement ce sentiment d’invisibilisation partagé tant par les créatrices que par les techniciennes du secteur qui les a conduites à mener une vaste étude sous la direction scientifique de l’UCLouvain. Son objectif : obtenir des statistiques genrées complètes du secteur audiovisuel de la fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi analyser les représentations qui sont véhiculées dans les œuvres produites.

Compter les femmes pour que les femmes comptent

« Trop de techniciennes et de créatrices demeurent dans l’angle mort des stéréotypes », constate Sarah Carlot Jaber, autrice-réalisatrice qui a participé activement à l’étude2. « Nous voulons vraiment un cinéma plus représentatif de notre société. Cette étude nous a permis d’objectiver et de mettre des chiffres sur une intuition. Ils ne sont en effet pas surprenants au regard des autres études menées à l’international sur la question. » Ce ne sont pas moins de 799 films soutenus par le Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la FWB qui ont été passés au crible de l’analyse par cinq membres d’Elles* font des films encadrées par Sarah Sepulchre, professeure à l’UCLouvain spécialisée notamment dans les représentations hommes-femmes dans les séries TV.

Si une réalisatrice est aux manettes, il y a davantage de femmes dans l’équipe. Derrière le plafond de verre des réalisatrices se trouve donc celui de toutes les techniciennes.

© Elles* font des films

« Derrière la caméra, nous avons encodé 23 postes-clés au niveau du genre, pour voir où se trouvaient les femmes », poursuit Sarah Carbot Jaber. « Et on a constaté une polarisation genrée des métiers du cinéma. Elles sont majoritaires uniquement à trois postes : cheffe maquilleuse, costumières et scriptes. On tombe ensuite directement en dessous des 50 %. Dans la fiction, les chiffres sont encore pires au niveau de la technique. Il n’y a par exemple que 1 % de femmes cheffes machinistes. »

Tout comme Elles* font des films, Delphine Letort, professeure en études filmiques à l’Université du Mans, souligne un point essentiel : la différence entre les genres se marque aussi au niveau des genres cinématographiques. « Le documentaire et le film d’animation apparaissent comme plus accessibles pour les réalisatrices (en raison de leurs coûts de production moindres). »2 Peu de longs-métrages de fiction sont réalisés par des femmes, or ce sont ces derniers qui bénéficient de meilleurs financements. « En fiction, les budgets sont plus importants. Les études internationales démontrent que l’on accorde moins sa confiance aux femmes pour mener des projets avec un gros budget et de grosses équipes », poursuit Sarah Carbot Jaber. Et malgré la reconnaissance d’un premier film qui a rencontré le succès du public et de la critique, il est également plus difficile pour les réalisatrices de trouver un financement pour un deuxième film3.

Le long métrage « Un homme à la mer » a été réalisé par Géraldine Doignon en 2016. Seuls 36 % des films financés par des deniers publics sont réalisés par des femmes.

© Elles* font des films

Un dézoom révélateur

Autre conclusion qui ressort de l’étude : devant et derrière la caméra, tout est corrélé. « Nous avons étudié 312 films sélectionnés aux Magritte et encodé tous les personnages afin d’établir un profil type. En Belgique francophone, on constate que le neutre du cinéma est un personnage masculin, blanc, hétérosexuel, en bonne santé et issu de la classe populaire – là où, en France, il est plutôt issu de la bourgeoisie. Avec une femme derrière la caméra », observe Sarah Carbot Jaber, « on a plus de personnages féminins et de diversité, aussi bien devant la caméra que dans les équipes. Derrière le plafond de verre des réalisatrices, il y a aussi le plafond de verre des techniciennes. » Car c’est un fait : les femmes engagent plus de femmes pour travailler avec elles. Et dans le même temps, elles les incluent plus souvent dans leurs récits et leurs histoires.

Crever l’abcès pour mieux crever l’écran

Devant la caméra, il ressort de l’étude que les inégalités de genre parmi les personnages du cinéma belge se jouent à plusieurs égards : les protagonistes sont le plus souvent des hommes, les femmes représentées sont le plus souvent minces et jeunes, et l’orientation sexuelle des femmes est plus souvent explicitée que celle des hommes, a fortiori quand les scénaristes et les réalisateurs sont des hommes. Et par qui sont réalisés les films qui échouent quasi systématiquement au test de Bechdel4 ? On vous le donne en mille ! Bref, alors que les hommes derrière la caméra « enlisent les inégalités », les réalisatrices sont donc clairement « vectrices de parité parmi les personnages » et offrent une visibilité meilleure et moins stéréotypée aux femmes.

Dans 28,1 % des longs métrages de fiction (38,5 % tous films confondus), il n’y a même pas deux femmes présentes et nommées devant la caméra.

© Elles* font des films

Dans le milieu cinématographique, la cooptation masculine est encore très forte. « On peut le voir avec les Ensors [les prix du cinéma flamand, NLDR] avec trois prix sur trente remis à des femmes lors de la dernière cérémonie », pointe Sarah Carlot Jaber. « L’Académie Ensor se compose de 2 000 membres. Dégenrer certaines catégories a favorisé les hommes. Lors du premier tour, personne n’arrive à visionner tous les films, et cela favorise les votes d’entre-soi. »

Une façon de contrer ce favoritisme masculin serait de mener des campagnes de visibilisation des films réalisés par des femmes ou des personnes minorisées. Elles* font des films vient de publier en ligne « Le générique », un répertoire de profesionnel.le.s du cinéma et de l’audiovisuel belge qui met en avant les femmes, les personnes transgenres et les non binaires travaillant dans le secteur. Et si l’idée d’instaurer des quotas de femmes est encore au stade de la réflexion au sein de l’association, celle d’octroyer un bonus de 10 % de financement aux équipes paritaires est d’ores et déjà portée par Elles* font des films. Si les mentalités évoluent et si les jeunes qui sortent des écoles de cinéma sont plus sensibilisés à l’égalité des genres, reste au politique – lui aussi encore majoritairement masculin – à se saisir des outils qui leur sont tendus par les femmes du cinéma.

  1. Sarah Sepulchre (dir.), « Devant et derrière la caméra, elles font des films. Étude des productions audiovisuelles belges de la fédération Wallonie-Bruxelles sur une décennie », Elles* font des films/UCLouvain, 2024, 92 p.
  2. Formée à l’IAD, Aude Verbiguié-Soum, alterne fiction et documentaire, et son dernier court-métrage de fiction, La Fugue, tourne actuellement en festival. Elle travaille en ce moment à la fois sur un documentaire, Un si long sommeil, et sur une fiction intitulée Une jeune fille.
  3. Sarah Carlot a, entre autres, écrit et réalisé les courts-métrages La Protagoniste et Les Yeux d’Olga qui tournent eux aussi actuellement en festival. Elle est l’auteure de la série Désordre et elle prépare en ce moment son premier long-métrage, La Colline du thym.
  4. Delphine Letort, « Cinéma : que voit-on quand les femmes passent derrière la caméra ? », mis en ligne sur theconversation.com, 22 janvier 2024.
  5. Ibid.
  6. Outil qui permet d’évaluer la représentation des femmes dans un contenu en se concentrant sur trois critères simples : la présence d’au moins deux femmes, dotées d’un prénom et d’un nom, et qui parlent ensemble d’un sujet autre que leurs relations avec les hommes. Cf. Céline Dejoie, « Séries féministes : de l’importance des représentations », mis en ligne sur edl.laicite.be, 11 avril 2022.

Elles* font des films : pour un cinéma plus féminin, équitable et inclusif

Libres, ensemble · 2 mars 2024

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