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Séries féministes :
de l’importance
des représentations
Céline Dejoie · Journaliste
Mise en ligne le 11 avril 2022
Depuis 2017, date de la médiatisation du mouvement #MeToo, la place des femmes dans l’industrie sérielle a pris de l’ampleur. En proposant d’autres regards sur le monde avec des personnages féminins complexes et inspirants, en leur écrivant les histoires qu’ils méritent, une nouvelle génération s’est approprié les récits pour redéfinir les codes.
Photo © Shutterstock
Au fil du temps, les rôles féminins dans les séries TV ont évolué, passant du modèle stéréotypé de la « femme au foyer » ou de la « femme fatale » des années 1950-1960 à des personnages plus complexes, éclectiques et nuancés. Dans les années 1970 et 1980, les rôles féminins ont commencé à devenir plus variés, des personnages féminins forts et indépendants sont apparus dans des séries comme Wonder Woman, Charlie’s Angels ou Avengers, véhiculant des stéréotypes tenaces en matière d’hypersexualisation des femmes, toujours principalement objets de désir masculin.
Le féminisme a fait son entrée dans les séries au cours des années 1990 et 2000 grâce à Buffy contre les vampires. Joss Whedon, son créateur, a été un fervent défenseur de l’égalité des sexes et du féminisme. Il a créé Buffy Summers, l’héroïne de la série, comme une réponse aux stéréotypes de genre courants dans les films d’horreur, où les femmes sont souvent dépeintes comme des victimes sans défense, alors que Buffy est une jeune fille chargée de combattre les forces du mal. Elle est forte, courageuse et indépendante et elle est également entourée d’un groupe d’amies tout aussi fortes et intelligentes. La création de la série Sex and the City sur la toute nouvelle chaîne câblée HBO, mettant en scène quatre femmes indépendantes, libérées sexuellement, avec des carrières réussies, aura été révolutionnaire pour son époque.
Dans « And Just Like That », Miranda Hobbes, Charlotte York et Carrie Bradshow continuent de vivre la vie de femmes indépendantes et décomplexées qu’elles mènent depuis « Sex and the City ».
© HBO
Faire voler les clichés en éclats
La prise de conscience croissante de la nécessité de représenter les femmes de manière plus réaliste et diversifiée dans les séries s’est illustrée au travers d’œuvres et d’héroïnes plus inspirantes les unes que les autres.
Ces dix dernières années, on a pu voir émerger des séries comme The Handmaid’s Tale. Basée sur le roman éponyme de Margaret Atwood. Elle y explore un monde dystopique où les femmes sont opprimées et forcées de se reproduire pour le compte d’une élite masculine. On peut aussi citer Fleabag, qui met en scène une trentenaire naviguant entre des relations compliquées, des deuils et des erreurs de vie. La série a été largement acclamée pour son écriture incisive, son humour noir et son interprétation captivante. Big Little Lies suit la vie de plusieurs mères de famille riches et puissantes d’une petite ville de Californie. La série aborde des questions liées à la maternité, à la violence domestique et à l’amitié féminine. Ou encore The Marvelous Mrs. Maisel, où l’on accompagne une femme juive de New York dans les années 1950 qui décide de devenir humoriste de stand-up. La série traite de thématiques liées à la féminité, à la famille et à la carrière professionnelle.
Des visions plus fluides et plus ouvertes des sexualités et des genres sont également de plus en plus représentées. I May Destroy You est une exploration puissante et nuancée du consentement, des traumatismes et des complexités des relations sexuelles. Tout comme Euphoria qui aborde aussi les questions de consentement, de violence sexuelle et d’identité de genre à travers le prisme d’un groupe d’élèves du secondaire. Girls est également considérée comme une série féministe, bien qu’elle ait été critiquée (à raison) pour son manque de diversité. La créatrice et star Lena Dunham est une ardente défenseuse des droits des femmes et du body positive.
Des femmes inspirantes devant et derrière la caméra
Le Center for the Study of Women in Television and Film, rattaché à l’Université d’État de San Diego en Californie, s’intéresse à la représentation des femmes dans les programmes télévisés depuis 2012. Dans son rapport annuel Boxed In, il établit que les séries dirigées ou créées par des femmes leur accordent davantage de place, devant et derrière la caméra. Productrices, scénaristes et réalisatrices racontent de nouvelles histoires, dans lesquelles elles mettent en avant les femmes. Que ce soit Phoebe Waller-Bridge avec Fleabag, Jenji Kohan avec Orange Is the New Black ou GLOW, Shonda Rhimes avec Grey’s Anatomy, Scandal et How to Get Away with Murder, Ilene Chaiken avec The L Word et The Handmaid’s Tale, Amy Sherman-Palladino avec Gilmore Girls et The Marvelous Mrs. Maisel, toutes contribuent à faire de la présence des femmes dans l’industrie des séries un cercle vertueux.
La notoriété d’actrices qui portent la voix d’une nouvelle génération n’y est pas pour rien. Leur visibilité et leur engagement font rayonner les contenus des séries dans lesquels elles tournent bien au-delà de la notion de divertissement. Leur choix de rôles et de projets n’est pas innocent. Elles incarnent féminisme, confiance en soi et sororité. Quelques exemples parmi tant d’autres : Elizabeth Moss dans Top of the Lake et The Handmaid’s Tale, Reese Witherspoon, Nicole Kidman, Shailene Woodley dans Big Little Lies, Viola Davis, qui a remporté de nombreux prix pour son rôle dans How to Get Away with Murder et qui a été la première femme noire à se voir attribuer l’Emmy Award de la meilleure actrice dans une série dramatique, Regina King dans Seven Seconds et la minisérie Watchmen pour laquelle elle a reçu l’Emmy de la meilleure actrice, Kate Winslet dans Mare of Easttown…
La visibilité et l’engagement d’actrices comme Kate Winslet font rayonner les contenus des séries dans lesquels elles tournent bien au-delà de la notion de divertissement.
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Bechdel, c’est fini : place à Mako Mori
Mais au fait, comment procède-t-on pour savoir si une série est féministe ? Le test de Bechdel est un outil utile pour évaluer la représentation des femmes dans un contenu. Il se concentre sur trois critères simples : la présence de deux femmes identifiables qui parlent ensemble d’un sujet autre que les hommes. Si un contenu remplit ces trois critères, il serait féministe. Le but est de prouver par l’absurde l’omniprésence et l’importance des personnages masculins dans les contenus. Pour rester dans l’absurde, il existe aussi le test de la « Sexy Lamp », qui consiste à remplacer un personnage féminin par un lampadaire pour voir si ça change quoi que ce soit au scénario. Ou encore le test Furiosa (Mad Max : Fury Road), constitué d’une seule question : « Est-ce que les gens, sur Internet, se mettent en colère parce qu’ils trouvent le film féministe ? ». Cela fait référence évidemment à la réaction des spectateurs face au long métrage dans lequel Furiosa (Charlize Theron), en plus d’être la libératrice d’esclaves sexuelles, avait un temps de parole plus long que celui de Mad Max (Tom Hardy).
Ces différents tests ne reflètent cependant pas nécessairement une représentation respectueuse ou nuancée des femmes. C’est là qu’intervient Mako Mori, nom du personnage féminin dans le film Pacific Rim. Malgré le côté badass du personnage, le film ne passait pas le test de Bechdel, d’où une nouvelle réflexion autour de celui-ci. Pour passer le test de Mako Mori, le contenu doit répondre aux deux critères suivants : avoir au moins un personnage féminin qui a un arc narratif propre et qui n’est pas simplement un support pour le personnage masculin.
L’avenir est-il à l’intersectionnalité ?
Les séries féministes ont sans surprise été les premières à présenter des personnages qui pouvaient subir simultanément différentes formes d’oppression (en raison de leur genre, de leur âge, de leur origine ethnique, de leur classe sociale, de leur orientation sexuelle, de leur religion…). La présence de femmes racisées occupant le premier rôle dans des séries grand public, comme Kerry Washington dans Scandal, aura été une étape importante.
Celle de femmes âgées de plus de 40 ans également, parmi lesquelles les talentueuses Jane Fonda et Lily Tomlin dans Grace et Frankie. Certaines séries ont été saluées pour leur représentation intersectionnelle, ainsi Pose, qui suit des personnages transgenres noirs et latinos dans le New York des années 1980 et affiche la plus grande distribution d’actrices trans de l’histoire de la télévision.
En explorant l’intersectionnalité dans les séries, les créatrices et créateurs peuvent offrir des perspectives nuancées sur les expériences des personnes marginalisées, faire entendre leur voix et contribuer à sensibiliser le public aux oppressions croisées qui existent dans notre société. Reste à faire le tri entre l’effet de mode et la réflexion approfondie.
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