Là-bas
Humanisme et éveil laïque
au Nigeria
Leo Igwe · Administrateur de l’Association humaniste du Nigeria et de Humanists International1
Mise en ligne le 26 février 2025
Dans le pays le plus peuplé d’Afrique, terre de diversités culturelles et spirituelles, l’humanisme se confronte à des siècles de traditions religieuses, de superstitions et d’héritages coloniaux. Pourtant, il continue de s’affirmer, dans un combat pour la raison, la liberté et la dignité humaine face aux forces oppressives. Voyage au cœur de l’histoire du Nigeria où l’émancipation laïque cherche encore sa voie.
Photo © Wirestock Creators/Shutterstock
Comme dans d’autres sociétés africaines, l’humanisme est présent dans le Nigeria ancien et contemporain. Il s’est manifesté depuis l’apparition de l’Homo sapiens et dans les efforts des humains modernes pour exister et se réaliser. La vision humaniste imprègne tous les aspects de la vie et de la société. Une vague de raison et une émancipation progressive de l’esprit humain traversent la société. Les tendances humanistes précèdent la religion ou le théisme tel que nous les connaissons aujourd’hui. L’esprit humaniste reste en lutte contre des forces anti-humaines et archaïques, contre les courants délétères des idéologies surnaturelles et superstitieuses.
Une tradition humaniste précoloniale
En 1914, les colons britanniques ont créé l’entité politique appelée Nigeria, et cette création a eu des effets durables. Avant cela, des sociétés et des communautés, avec ou sans liens linguistiques et culturels communs, peuplaient le territoire connu aujourd’hui sous le nom de Nigeria. Ces sociétés avaient leurs propres lois, normes, traditions, croyances rituelles et pratiques, y compris des croyances en des dieux et des ancêtres. Elles adoraient et vénéraient des esprits pour donner un sens à leur existence quotidienne. Avec peu de connaissances sur la nature et son fonctionnement, elles créaient des dieux et reconnaissaient le rôle supposé de forces surnaturelles dans leur vie, dans l’organisation de leurs sociétés et dans l’interprétation de la fortune ou du malheur.
Ainsi, la religion et le théisme sont des développements ultérieurs. Les dieux sont des inventions humaines, des créations et des idées. Les divinités sont des produits imaginaires forgés par les humains dans le cadre de leur existence sociale. À travers des lignées ou des apprentissages, certaines personnes, reconnues comme expertes en matière religieuse, sont devenues gardiennes de ces dieux. Ces gardiens étaient consultés ou mandatés pour interpréter ou invoquer les dieux au nom des humains. Les humains ont donc créé les dieux et divinités pour servir ou promouvoir leur cause, leur développement, leur bonheur et leur bien-être. Ils faisaient appel à ces figures supposées supérieures pour soigner des maladies, mettre fin à des sécheresses, famines ou autres maux dépassant les remèdes connus ou rationnels.
Par ailleurs, la religion et les dieux ont aussi servi à tyranniser et asseoir un pouvoir sur les autres. La croyance en un dieu était utilisée pour mentir, tromper, exploiter, extorquer, déposséder et violer d’autres êtres humains. La foi en les ancêtres servait de prétexte à des meurtres, des mutilations et des anéantissements. Certains se prétendaient messagers des dieux — du fleuve, du tonnerre, du fer ou de la récolte — et, en tant que tels, sanctifiaient la violence et les sacrifices humains. Ils poussaient les gens à tuer, y compris leurs proches, pour satisfaire des divinités imaginaires. Au nom de la religion, on a justifié la discrimination de caste, l’esclavage, la subordination des femmes, le mariage forcé des enfants et la mutilation génitale. Cependant, il y avait des sceptiques, des non-croyants et des contestataires qui s’opposaient à ces abus religieux.
L’imposition par la force des religions coloniales
Le contact avec les colonialismes oriental et occidental a changé la dynamique entre humanisme et religion dans la région. Les religions transnationales et impérialistes que sont le christianisme et l’islam ont eu un impact écrasant sur l’humanisme au Nigeria. Elles ont subordonné les économies politiques des croyances traditionnelles, reposant sur des notions de supériorité — raciale, socioculturelle, économique, religieuse et divine. L’humanisme se trouve ainsi confronté à ces forces religieuses globales, dominatrices et dégradantes.
Des siècles de missionnaires chrétiens et d’islamisation ont marginalisé les croyances traditionnelles. Des millions de Nigérians sont devenus musulmans ou chrétiens « nés de nouveau », rendant plus complexe l’émergence d’un humanisme éclairé et de la laïcité. Les politiciens chrétiens cherchent à imposer une théocratie chrétienne. Dans les États majoritairement musulmans, la charia a été intégrée dans la Constitution et appliquée.
Au Nigeria, les Églises chrétiennes et l’islam influencent la société bien au-delà du spirituel. Entre traditions, tensions et résistances, l’humanisme cherche encore sa place.
L’humanisme face à un empire religieux
À l’indépendance en 1960, l’humanisme au Nigeria devait composer avec les superstitions et forces anti-humaines issues de trois fronts : traditionnels, chrétiens et islamiques. Ces formations religieuses cherchent à se surpasser et à contrôler les esprits, les comportements et les institutions. La différence notable est qu’après l’indépendance, les acteurs principaux de ces religions ne sont plus les missionnaires blancs ou les jihadistes arabes, mais des Nigérians soutenus depuis l’étranger, notamment par l’Europe, l’Amérique, l’Iran et l’Arabie saoudite.
Avant la colonisation occidentale et l’implantation du christianisme, l’impérialisme arabe prédominait. À la recherche d’esclaves, de marchés, de matières premières et d’empires, des érudits, commerçants, jihadistes et impérialistes venus de l’Est colonisèrent la région, imposant l’économie politique de l’islam. Ils utilisèrent le commerce, y compris la traite des esclaves, ainsi que la violence et l’islamisation pour étendre leur empire. Plus tard, l’impérialisme occidental et le christianisme tentèrent d’effacer cette influence. Le Nigeria se retrouva — et se trouve encore — à la croisée de ces influences religieuses.
La montée de l’extrémisme religieux constitue une menace pour l’avenir de l’humanisme. La pensée magique reste omniprésente et l’oppression religieuse est systémique. Dans certaines régions, les non-croyants, les apostats, les homosexuels et les supposés sorciers sont persécutés. Les sacrifices humains et les rituels persistent2.
Un appel à l’éveil intellectuel
Bien que la situation soit grave, difficile et dangereuse, l’espoir pour l’humanisme au Nigeria persiste, car là où il y a des êtres humains, il y a de l’espoir. Une lueur éclaire l’obscurité de ce tunnel marqué par la superstition et l’extrémisme religieux. Bien que cette réalité sombre incite au désespoir pour l’Afrique, elle offre également une opportunité de réaliser un éveil intellectuel et un éclairage spirituel nigérian, voire africain, avec une portée mondiale. Cette obscurité au Nigeria n’est pas seulement locale, elle est aussi le fruit de dynamiques mondiales. Elle n’est pas uniquement nationale, mais transnationale, inscrite dans les tensions entre les influences religieuses globales et les aspirations à une émancipation humaniste.
L’humanisme nigérian du XXIᵉ siècle doit s’affirmer face aux forces oppressives traditionnelles et aux mouvements religieux contemporains. En se fondant sur des principes de raison, de justice et d’égalité, il peut devenir une force motrice pour le progrès social et la libération des esprits dans tout le pays.
- Titulaire d’un doctorat en études religieuses de l’Université de Beyrouth, il dirige l’Advocacy for Alleged Witches et la Critical Thinking Social Empowerment Foundation.
- Cf. Sunday Oyinloye, « Dans le monde étrange des meurtres rituels au Nigeria », mis en ligne sur edl.laicite.be, 23 novembre 2023.
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