Là-bas

Accueil - Là-bas - Dans le monde étrange des tueurs rituels du Nigeria

Dans le monde étrange
des tueurs rituels
du Nigeria

Sunday Oyinloye · Journaliste (Nigeria)

Mise en ligne le 23 novembre 2023

Au Nigeria, les rituels lucratifs axés sur les assassinats d’êtres humains constituent un véritable fléau. Les victimes sont majoritairement des femmes, et c’est l’appât du gain qui justifie ces actes sordides. Une pratique taboue qui se perpétue dans un climat d’impunité et de crise des valeurs.

Photo © yuzu2020/Shutterstock

Lorsqu’en 2022, Precious Okeke, 24 ans, a été emmenée à Lagos par Ifeanyi Njoku, elle pensait avoir trouvé un partenaire de vie. Une chose ayant entraîné une autre, le couple s’est rapidement installé dans la région d’Ajah. Precious, qui ne pressentait aucun danger, a cependant été tuée à coups de couteau par Njoku, son amant. Ce dernier n’a par ailleurs pas tué sa petite amie sans préméditation. Il fait partie de ces jeunes Nigérians pour qui travailler dur constitue un chemin trop long vers la richesse et qui préfèrent dès lors choisir ce qu’ils perçoivent comme un chemin plus facile : celui des rituels d’argent basés sur le commerce de restes humains.

Encore plus sordide, le jeune homme, qui suivait les instructions d’un herboriste – lié à cette affaire –, a eu des relations sexuelles avec le cadavre de Precious. Ces dernières se seraient poursuivies durant six jours. C’est la puanteur émanant de son appartement qui a suscité les soupçons de meurtre. Le corps en décomposition de la jeune femme ayant été retrouvé dans son appartement, Njoku a ensuite été arrêté par la police.

Un autre incident sanglant s’est produit à Kwara State, à environ 305 kilomètres de Lagos. Lors d’une patrouille le long de la route Oke Oyi-Jebba en avril de l’année dernière, des agents du commandement de la police d’État se sont retrouvés dans une étrange affaire à la suite d’un contrôle de routine de deux hommes circulant à moto. En fouillant le sac de Wasiu Omonose, 35 ans, et d’Akanbi Ibrahim, 32 ans, la police a découvert une tête et des mains humaines fraîchement coupées. Les deux hommes ont alors avoué qu’ils apportaient ces restes humains chez un herboriste à des fins rituelles monétarisées.

La vie ne coûte rien

Ces cas ne sont malheureusement pas isolés. L’un des incidents de meurtres rituels les plus bizarres au Nigeria s’est produit dans l’État d’Ogun, qui partage une frontière avec l’État de Lagos. Les meurtres touchent cette fois une femme et son fils, assassinés dans leur ferme, avant que leurs corps soient démembrés. Arrêtés, les meurtriers ont avoué avoir vendu les membres pour 50 000 nairas (environ 61 euros). L’ancienne responsable des relations publiques de la police de l’État d’Ogun, Abimbola Oyeyemi, qui était en larmes en expliquant la manière dont la femme et son fils ont été assassinés, a ajouté que « même un bélier de taille moyenne au Nigeria coûte plus de 50 000 nairas ». C’est dire l’importance accordée à la vie humaine pour ces trafiquants !

Autre cas rituel ayant également créé l’émoi chez de nombreux Nigérians : celui de Sofiat, une jeune fille assassinée par son compagnon et ses amis pour un rituel monétaire à Abeokuta, dans l’État d’Ogun. Le petit ami de Sofiat, Soliu, l’aurait attirée dans sa maison et aurait invité ses amis, Wariz Oladeinde, 17 ans, Abdulgafar Lukman, 19 ans et Mustakeem Balogun, 20 ans, à se joindre à lui pour tuer la jeune femme afin de gagner de l’argent rapidement. Soliu a étranglé sa petite amie pendant que Balogun l’aidait à couper la tête de Sofiat. Après avoir coupé la tête de la jeune fille, ils l’ont mise dans une marmite et l’ont brûlée dans le cadre de ce rituel, avant d’être appréhendés par la police.

Plusieurs témoignages évoquent l’existence d’un marché à Lagos où se vendraient également des restes humains. La police n’a pas officiellement confirmé.

© Ariyo Olasunkanmi/Shutterstock

Aucune source officielle

À qui sont destinés ces restes humains ? D’après les témoignages, il existerait un marché à Lagos où certains herboristes vendent également des parties humaines sous le manteau. Mais cela n’a pas été confirmé officiellement par la police, même si les arrestations et les preuves sont présentes. En mai 2014 déjà, le commandement de la police de l’État de Lagos avait appréhendé Sukurah Salami, 54 ans, avec trois autres personnes pour détention d’une tête humaine, d’intestins, de reins et d’os. Sukurah était marchande d’herbes avant de s’aventurer dans le commerce de restes humains. Elle a avoué vendre des crânes humains pour 20 000 N, après les avoir achetés pour 10 000 N. « J’achète des morceaux d’os, de foie et d’intestins humains pour 2 000 N chacun et je les revends pour 5 000 N en fonction du pouvoir de négociation de l’acheteur », a avoué celle chez qui l’on a retrouvé dix crânes destinés à ce commerce mortifère.

Même si là encore, aucune confirmation officielle ne vient corroborer les faits, une source journalistique indique qu’entre août 2022 et juillet 2023, environ cinquante cas de meurtres rituels par mois auraient été documentés dans la région du Sud-Ouest du Nigeria, soit dans les États de Lagos, Ogun, Oyo, Ondo, Ekiti et Osun. L’État de Kwara, qui partage des frontières avec certains États du Sud-Ouest, connaît également sa propre part de meurtres rituels, même si le fait que l’État d’Ogun soit à la tête des affaires de meurtres rituels au Nigeria est un secret de polichinelle.

L’appât du gain

Une vérification des données démographiques indique par ailleurs que la plupart des victimes de ces rituels monétaires sont des femmes, tandis que les victimes d’autres rituels, par exemple de pouvoir ou de protection, sont plus mixtes. D’après les aveux recueillis auprès des suspects chaque fois qu’ils sont appréhendés par la police, la quête d’argent facile, le chômage et les difficultés économiques, mais aussi la protection spirituelle, constituent quelques-unes des raisons pour lesquelles certains jeunes Nigérians se livrent à des meurtres rituels.

Néanmoins, il n’est pas rare que certains jeunes issus de milieux riches s’adonnent également à ces rituels par cupidité. Beaucoup d’entre eux pratiquent ce que l’on appelle le Yahoo-Yahoo (une fraude sur Internet), dans le cadre duquel des Américains, des Européens et des citoyens d’autres régions du monde, sans méfiance, se voient escroquer de grosses sommes d’argent. De nombreux Yahoo-Yahoo boys, comme on les appelle au Nigeria, utilisent des restes humains pour préparer leurs amulettes afin de ne pas être attrapés par les forces de l’ordre, puisque ces « charmes » sont réputés rendre leurs propriétaires invincibles (NDLR) et capables d’hypnotiser leurs victimes. Comme souvent dans ce genre d’affaires, l’appât du gain constitue le mobile de fond, auquel s’ajoutent des croyances irrationnelles dans la puissance et la richesse que peuvent apporter ces potions « magiques » (NDLR). Étonnamment, beaucoup de ces Yahoo boys ont entre 17 et 35 ans, tandis que les herboristes, qui constituent un maillon important de ce trafic, ont pour la plupart entre 50 et 70 ans, prouvant que ces croyances ne se limitent pas aux « illettrés fétichistes traditionnels » (NDLR).

Un proche de l’une des victimes dans l’État d’Ogun, qui souhaite garder l’anonymat pour sa sécurité, explique que les suspects ne sont souvent pas inquiétés « en raison de la faiblesse du système judiciaire au Nigeria ». Le responsable des relations publiques de la police du commandement de l’État de Kwara, SP Okasanmi Ajayi, a déclaré dans une interview que les meurtres rituels ne sont pas endémiques dans l’État… avant d’énumérer une série de cas répertoriés récemment.

Croyances et besoin de protection

Selon ses propres termes : « L’année dernière, à Offa, un gars a attaqué une fille qui était envoyée faire une course, l’a emmenée dans un bâtiment inachevé, l’a étranglée et lui a arraché les jambes, les mains et la tête. Lorsque nous l’avons arrêté, il a dit qu’il avait vendu cela à quelqu’un qui utiliserait les parties humaines pour des rituels monétaires et nous avons également fait arrêter cette personne. » Avant d’ajouter : « Il y en a encore eu un autre quelque part dans la zone d’Edu où un homme est allé dans un motel pour voler une dame dans la nuit et vendre sa tête à quelqu’un à Minna, dans l’État du Niger. Il y a aussi eu le cas d’un médecin qui a tué cinq personnes… » Le policier a lui aussi confirmé que l’argent constitue le moteur incitant ces personnes à se livrer à de telles pratiques perverses. Il a ajouté que le réveil de la conscience morale devrait constituer un bon moyen pour résoudre le problème !

Les meurtres rituels augmenteraient considérablement. Les raisons sont multifactorielles : faible niveau socio-économique, érosion des valeurs familiales et quête de gloire ou de protection spirituelle.

© Omotayo Kofoworola/Shutterstock

Une approche plus systémique est nécessaire

Selon le Dr Ada Ikeako, spécialiste de la santé comportementale, « il y a eu une explosion de meurtres rituels au cours des deux dernières années. Rien qu’entre janvier 2021 et janvier 2022, il y a eu 185 cas de meurtres rituels au Nigeria ». Cette psychiatre attribue elle aussi l’augmentation des cas de meurtres rituels à la quête de richesses rapides, en liant ce problème de pauvreté et de chômage à l’érosion des valeurs familiales, à la quête de gloire, de reconnaissance et de protection spirituelle. « Certaines personnes croient à tort qu’en utilisant les parties intimes humaines dans le cadre d’un sacrifice, elles se protègent contre leurs ennemis », ajoutant que parce qu’il y a beaucoup de peur dans la société, les gens recherchent une protection.

Lorsqu’on lui a demandé si ceux qui se livraient à des meurtres rituels étaient sains d’esprit, le Dr Ikeako a répondu : « Certains d’entre eux sont sous l’influence de drogues, donc ils sont affaiblis mentalement, mais d’autres sont “sains d’esprit” et pas sous influence, ils cherchent simplement un raccourci vers la richesse, ainsi que la renommée et la protection qu’ils croient pouvoir obtenir en utilisant des parties intimes humaines. »

Une « anomalie » culturelle

L’avocat Saka Azimazi, un militant des droits de l’homme, attribue aussi cette pratique étrange à une certaine anomalie culturelle, à la pauvreté et à l’ignorance. Selon lui, « les meurtres rituels étaient monnaie courante dans toute l’Afrique, principalement pour apaiser les dieux, pour l’intronisation des chefs, pour l’enterrement des rois et pour des rituels de longue vie. Cependant, la pauvreté et l’ignorance barbare de ces dernières années ont activé cette anomalie culturelle d’une manière très déviante. La relative généralisation de ce phénomène est très préoccupante. Selon la loi, l’homicide ou le fait de blesser gravement quiconque est illégal. Les meurtres sont limités grâce à des procédures judiciaires rigoureuses. Donc, tuer arbitrairement, pour quelque raison que ce soit, est un crime ».

Mais il ajoute, dépité : « Notre processus judiciaire incompétent permet littéralement aux criminels de s’en tirer sous couvert de la rumeur. C’est pourquoi beaucoup d’autres sont encouragés à participer à des actes aussi odieux. Les pratiques anciennes sont mises sur un piédestal et la superstition, la faiblesse des procédures judiciaires s’entremêlent pour encourager les meurtres rituels. En général, le droit de l’homme le plus important est le droit à la vie. De là dépendent tous les autres droits. Ainsi, ôter la vie sans justification légale équivaut à violer plusieurs droits humains d’un seul coup. Les auteurs de ces actes devraient être jugés rapidement à titre dissuasif. »

Assistant pastoral à Living Faith Church et maître de conférences au département des arts du spectacle de l’Université d’Ilorin, Adesina Adegbite explique également : « Les vices n’apparaissent pas du jour au lendemain, ils sont le résultat d’une négligence de longue date de la part de la société. N’oubliez pas que la société est composée de différentes familles. Parmi celles-ci se trouvent les branches religieuses et politiques qui contribuent beaucoup à façonner et à remodeler la jeunesse. Que pouvez-vous attendre d’une société qui célèbre la médiocrité, la corruption, l’hypocrisie et un mode de vie frivole ? Il s’agit d’un échec systémique progressif qui commence dans les foyers. L’institution religieuse, en particulier l’Église, se montre aussi impuissante. L’éducation a perdu son importance sociale et n’est plus un levier de réussite dans le pays, sous le regard impassible et de longue date du gouvernement. Comme le travail et la dignité sont aujourd’hui peu ou pas récompensés, les jeunes cherchent des moyens de survie. Aujourd’hui, c’est un véritable fléau parmi diverses catégories de jeunes. »

Dialoguer avec les instances spirituelles

Selon le spécialiste du développement Oladele Jacobs, « le gouvernement doit interagir avec les chefs religieux pour mettre fin aux meurtres rituels dans le pays ». Dialoguer avec les représentants religieux serait nécessaire. Face à ce déclin des valeurs, l’imam Muhammad Aliagan, missionnaire en chef Ikwatul-Islam, à Lagos, a tenu à préciser que « l’islam ne tolère ni ne promeut les meurtres rituels. Les enseignements islamiques mettent l’accent sur le caractère sacré de la vie et interdisent de prendre injustement la vie. Dans l’islam, le meurtre n’est autorisé que dans des circonstances spécifiques où il est considéré comme un acte de légitime défense. Il est autorisé par l’État en vertu de dispositions légales, ou dans des cas légitimes de guerre ».

Il y a deux ans, l’Association des fidèles religieux traditionnels de l’État d’Oyo a quand même condamné ouvertement les meurtres rituels dans le Sud-Ouest du pays. Le président de l’association, Adefabi Dasola, et le secrétaire, Fakayoke Fatunde, ont alors déclaré que « les ancêtres d’Ifa Oracle1 n’ont jamais prétendu avoir utilisé des parties humaines pour rechercher la prospérité ». Ils ont affirmé que ce que leur association utilise à des fins d’apaisement est le sel, la canne à sucre, la banane et d’autres produits. L’association a condamné les meurtres rituels sous toutes leurs formes.

Que fait l’État ?

Cette condamnation était importante puisqu’une partie de la population croit au fétichisme au Nigeria, en plus de vouloir devenir riche du jour au lendemain sans travailler. « L’échec du gouvernement nigérian dans le domaine de l’emploi et le manque d’environnement propice à l’épanouissement des jeunes les entraînent à se livrer à toutes sortes de pratiques contraires à l’éthique », a encore déclaré Fakayoke Fatunde.

Face à l’augmentation des meurtres rituels au Nigeria, la cellule familiale et le gouvernement doivent agir rapidement pour mettre un terme à cette horrible conjoncture. Cela doit passer par la sensibilisation de l’opinion publique, mais aussi en débusquant rapidement les suspects et en condamnant les coupables. D’une manière plus systémique, la lutte contre ce problème devrait encore s’appuyer sur la création d’emplois, la valorisation du travail et la lutte contre l’argent facile. Une chose est claire : aussi longtemps que les meurtres rituels persisteront, l’image du Nigeria continuera d’être un sujet de discussion dans le reste du monde.

  1. Ifá est un système de divination pratiqué par les Yoruba, peuple ethnique présent au Nigeria. Le mot désigne aussi le personnage personnifiant la sagesse dans ce système de croyances. Source : Wikipédia.

Partager cette page sur :