Libres, ensemble
VIH : 40 ans de lutte contre les discriminations
Julie Henriet · Psychologue clinicienne
Mise à jour le 15 novembre 2021
À l'occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida1, on sait que les médias accorderont à ce moment une certaine place au virus de l’immunodéficience humaine, et que nous serons nombreuses et nombreux à porter le ruban rouge. Aujourd’hui, la lutte contre la maladie semble globalement moins centrale, moins urgente, moins visible. Bien que les derniers chiffres soient assez rassurants, le VIH est au centre d’enjeux éthiques, politiques et sociaux plus que jamais cruciaux.
Photo © AS photostudio/Shutterstock
En 1981, le syndrome d’immunodéficience acquise était décrit pour la première fois. Maureen Louhenapessy a commencé à travailler en 1986 dans la structure qui deviendra plus tard SidAids Migrants. Engagée pour trois mois afin de concevoir une brochure de prévention du VIH à l’attention des migrants, elle a rapidement pris conscience des enjeux globaux associés à cette épidémie. L’urgence était tant sanitaire que politique. La Belgique parlait alors d’une « épidémie africaine ». Des patient.e.s d’origine subsaharienne arrivaient dans les services de maladies infectieuses avec la particularité d’être pour la plupart hétérosexuels et de tous sexes confondus. « L’infection a d’emblée attaqué des publics qui étaient déjà discriminés : les migrants, les gays, les prostitué.e.s », relate celle qui dirige actuellement la Plateforme Prévention Sida (PPS), ASBL chargée des campagnes de prévention du VIH en Communauté française, aux côtés de Thierry Martin. Ce dernier est entré par les hasards de la vie dans le secteur, au début des années 1990, mais ne l’a plus jamais quitté. Membre fondateur d’Ex-Aequo, il s’est particulièrement investi dans les enjeux liés au public HSH2 avant de prendre les rênes de la PPS.
L’infection du VIH a d’emblée attaqué des publics qui étaient déjà discriminés :
les migrants, les gays, les prostitué.e.s.
La peur, mauvaise maîtresse
Si la maladie physique induit habituellement de l’empathie et du soutien, le sida, parce qu’il est en lien avec la sexualité et des communautés déjà discriminées, a d’emblée suscité des discours de l’ordre de la morale, renvoyant à la responsabilité des malades : « Il ou elle n’avait qu’à ». La peur, le rejet et la honte laissaient les personnes malades dans une grande solitude. Les médias donnaient de l’épidémie une image morbide et terrifiante. C’est dans ce climat d’appréhension générale et de détresse des malades alors condamnés que l’Administration générale belge de la coopération au développement (AGCD) a imposé le testing et exigé la séronégativité comme conditions d’accès à une bourse pour les étudiants africains. Cette décision suscita chez les boursiers déjà en Belgique l’angoisse de perdre leur revenu financier, le droit d’étudier et de rester sur le territoire. L’aide médicale urgente n’existait pas et, sans accès au séjour et donc aux soins, « les malades étaient rapatriés mourants, voire morts, en cercueil, dans leur pays d’origine », déplore Maureen Louhenapessy.
Une lutte politique
Les enjeux du VIH dépassaient largement la santé physique, et la réponse face à ces injustices criantes se devait d’être militante et engagée. Rapidement, la lutte a été politisée, au travers de manifestations et d’actions coup de poing comme celles menées par Act Up. La lenteur dont a fait preuve la Belgique pour accepter les brevets sur les nouvelles molécules et le manque de visibilité du VIH dans les médias ont suscité la mobilisation et l’indignation chez le militant.e.s., relate Thierry Martin.
À l’époque, les associations de lutte contre le VIH n’étaient pas subventionnées. Elles se sont pourtant rapidement organisées autour d’un travail de prévention particulièrement visionnaire. Qu’il s’agisse des gays, des migrants d’origine et de cultures diverses comme des prostitué.e.s, le défi a été de comprendre et de défendre les caractéristiques des publics cibles. Dès lors, les associations se sont définies en fonction des bénéficiaires concernés. Sont nés ainsi SidAids Migrants (public migrant), Ex-Aequo (public HSH2), Espace P (personnes prostituées), Modus Vivendi (public UDI3). L’enjeu était de pouvoir « entrer » au sein des communautés, et de passer les barrières culturelles, afin de transmettre une information adaptée et spécifique. Pour atteindre cet objectif, il était nécessaire de créer des relais internes. Ce dispositif permettait de soutenir la participation des publics dans les projets de prévention et posait les jalons de la promotion de la santé qui n’est apparue que bien plus tard. Cette attention essentielle aux publics a été le socle des projets menés depuis par le secteur VIH. Maureen Louhenapessy précise qu’il s’agit de défendre le droit à une information adaptée aux séronégatifs, mais également aux personnes vivant avec le VIH. Des lieux conviviaux pour discuter « entre soi » ont été créés. L’ambiance se voulait familiale et chaleureuse afin de briser la solitude des personnes malades dont certaines ont été engagées au sein des associations.
La mobilisation des associations telles qu’Ex-Aequo a favorisé une avancée certaine dans les droits des personnes HSH. Thierry Martin souligne que le combat mené pour le contrat de cohabitation légale puis pour le mariage pour tous a permis que les couples homosexuels voient leur domicile protégé en cas de décès d’un des partenaires. Un travail important avec la communauté a été nécessaire pour faire progressivement tomber les freins face aux actions de prévention qui associaient le VIH et les publics cibles, ceux-ci craignant à juste titre une augmentation de la discrimination à leur égard.
Du « tout préservatif » à la prévention ciblée
Depuis l’arrivée de la maladie, les méthodes de prévention se sont diversifiées grâce à une meilleure connaissance du virus et aux recherches médicales. Du « tout préservatif », l’accent a été mis sur l’importance du dépistage, sur la nécessité également d’inclure dans les campagnes le public dit « général », dont les jeunes, qui ne se sentaient que peu concernés par l’infection. Le dépistage délocalisé et démédicalisé, rendu possible notamment à la suite de l’apparition du TROD (test rapide d’orientation diagnostique du VIH), a facilité le dépistage dans les communautés puisque ce dispositif permet « d’aller vers » les bénéficiaires. La PrEP (prophylaxie pré-exposition) répond à des besoins spécifiques en matière de prévention. Principalement utilisée par les HSH, l’un des enjeux actuels est de l’élargir à d’autres publics vulnérables et de comprendre leurs freins au-delà du manque d’information, explique Thierry Martin. Chacune de ces avancées a fait l’objet de résistances non seulement de la part du politique, qui estimait que l’option la plus simple et la plus économique (le préservatif) était à privilégier et que les personnes « n’avaient qu’à » s’adapter, mais également de l’opinion publique. Thierry et Maureen déplorent tous deux que « c’est comme s’il fallait chaque fois tout recommencer, monter au créneau pour défendre encore et toujours le droit à une information et un mode de prévention adaptée en fonction des publics ».
Sans relâche
Si l’on sait aujourd’hui que I=I, c’est-à-dire qu’une personne séropositive sous traitement peut avoir une charge virale indétectable et donc intransmissible, le changement des mentalités ne suit pas : les personnes séropositives continuent d’être discriminées, craintes, rejetées. La lutte contre le VIH pose inlassablement des interrogations éthiques, politiques et sociétales quant à l’égalité, la lutte contre les injustices et les droits humains. Il est essentiel pour Maureen Louhenapessy d’inclure la question du VIH dans les autres secteurs, que ce soit les centres de planning familial, les services d’aide en milieu ouvert, les centres Fedasil, les écoles, etc., ainsi que la santé sexuelle au sens large. Cela nécessite que le cursus des actrices et des acteurs du monde social, médical et éducatif intègre de manière significative des cours autour de la sexualité, de la promotion de la santé, de la multiculturalité et du travail communautaire.
Nous sommes en 2021. Les militant.e.s, les engagé.e.s des premiers temps du VIH, dont certain.e.s sont décédé.e.s ou ont vu de près la mort de leurs proches, quittent progressivement le secteur. C’est le cas de Maureen Louhenapessy, tout fraîchement pensionnée. Pour rappel, la lutte a commencé sans subside. L’urgence et les injustices criantes ont fédéré un secteur visionnaire et très vite organisé. Le VIH continue de se transmettre, car s’il se soigne à l’heure actuelle, il ne se guérit toujours pas. Restons mobilisés, restons solidaires, restons plus que jamais prêt.e.s à défendre les droits fondamentaux de l’être humain. S’il y a tout à détruire dans le VIH, il y a tout à garder de la lutte contre l’épidémie.
- Cette journée a été établie le 1er décembre 1988 par l’Organisation mondiale de la santé.
- Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.
- Usagers de drogue par injection.
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