Une traversée initiatique

« C’était une rue étrange. Une rue que personne n’avait jamais traversée. Depuis des années, certains enfants restaient sur le trottoir de droite. D’autres sur celui de gauche. De leur côté. À droite, tout était ensoleillé. […] Le trottoir de gauche, par contre, était plongé dans l’ombre. » Après trois doubles pages à peine, Mattia, 6 ans, nous interrompt déjà : « Mais pourquoi ils ne traversent pas ? » La question, logique et spontanée, nous prend un peu au dépourvu. « Parce qu’on leur a dit que c’était dangereux, peut-être ? »

Au départ d’une idée, tout simple – traverser la rue –, Marie Colot et Laura Giraud invitent les jeunes lectrices et lecteurs à se mélanger, d’où qu’ils viennent. Se rendre de l’autre côté, c’est partir à la découverte d’un inconnu qui parfois fait peur ; c’est sortir de sa grisaille intérieure pour aller à la rencontre du soleil. Les deux collaboratrices signent un album jeunesse lumineux, une ode à la richesse née du mélange et de la confrontation des points de vue. Elles nous rappellent, à nous, grandes lectrices, que la curiosité, innée chez les enfants, est souvent réprimée par nos avertissements d’adulte. Par excès de prudence, on en arrive à rester entre soi, et l’inconnu finit par nous faire peur par principe. Le soleil d’en face véhicule un très beau message : oser aller à la rencontre de l’Autre, c’est apprendre à se confronter aux différences, c’est apprendre la tolérance et le respect.

Les mots porteurs de ces belles valeurs sont ici ceux de Marie Colot. Enseignante de formation, elle est aujourd’hui auteure à plein temps. Elle vit en Belgique où elle écrit des histoires tant pour les adolescents que les enfants. Son roman pour ado Jusqu’ici tout va bien, également paru chez Alice Jeunesse et dont le héros, lui aussi, passe de l’ombre à la lumière, a reçu le prix Victor en 2020. Et les dessins riches de sens sont l’œuvre de Laura Giraud qui illustre des histoires depuis ses montagnes savoyardes. Comme elle l’écrit elle-même, « c’est par un trait simple et expressif » qu’elle fait « parler le dessin avec douceur et poésie pour contaminer un peu plus le monde au rire, au partage, au vivre-ensemble et ainsi permettre, au travers de l’image, de se rapprocher les uns des autres ».

« Sortir de soi pour rencontrer l’Autre », les illustrations à l’aquarelle de Laura Giraud nous touchent par leur symbolique forte. Le soleil d’en face est non seulement un album illustré, mais aussi très imagé : le sens qui émerge de représentations simples, comme le passage de l’ombre à la lumière, la portée musicale qui crée un pont entre les deux « rives », évoluera sans aucun doute avec l’âge du petit lecteur qui est le nôtre. Un album que l’on prendra plaisir à relire, c’est sûr, pour saisir cette évolution. Et pour que Mattia n’ait pas peur, un jour, de nous lâcher la main et de traverser.