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Une citadelle
soi-disant assiégée
Anaïs Pire · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM
Mise en ligne le 11 mars 2024
Dans une période où les boussoles font défaut, la question du désarmement des frontières et de l’accueil des personnes exilées doit redevenir centrale. Et cela passe d’abord par un impératif : redonner figure et humanité à celles et ceux qui se cognent aux angles acérés de la forteresse Europe. »
Dans ce premier livre, le journaliste Émilien Bernard livre la longue enquête qui l’a mené de l’autre côté de nos frontières, derrière les murs de béton et de barbelés et les remparts technologiques que l’Europe dresse tout autour d’elle. Loin des valeurs humanistes qu’elle est censée incarner, l’Europe tend à s’emmurer pour se protéger de ces « hordes de migrants » et endiguer coûte que coûte leur arrivée sur son territoire dans un réflexe xénophobe. Prétendue citadelle assiégée, elle tolère ou approuve nombre de politiques de rejet des personnes exilées, parfois mortelles, souvent brutales, toujours indignes. La multiplication des obstacles physiques, virtuels et administratifs, sur terre ou en mer, destinés à maintenir cette « nuisance » à l’écart, témoigne d’une fuite en avant paranoïaque, néfaste, coûteuse et contreproductive. Car n’en déplaise à l’Europe forteresse, les personnes exilées qu’elle voudrait repousser parviennent à franchir ces frontières qu’elle rêve hermétiques.
Comme pour rendre un souffle d’humanité au pied de cette prison suffocante, l’auteur fait également la place belle aux voix de tous ces sautes-frontières que l’Europe s’échine à déshumaniser par des statistiques et des discours désincarnés et à dissimuler aux confins de son territoire ou dans des centres isolés. On y lit leurs espoirs d’une vie meilleure, les blessures de leur périple, leur ingéniosité face à des barrières qui se veulent toujours plus infranchissables. De la même façon, il donne la parole à de nombreuses personnes qui œuvrent à contre-courant de ces politiques européennes, comme des bénévoles d’ONG de sauvetage en mer.
On ne peut que rejoindre l’auteur lorsqu’il plaide pour une inversion de la focale en matière de migrations : il est temps de voir l’humain derrière l’étiquette devenue pratiquement infamante de « migrants », et à ce titre, reconnaître leur droit à la dignité, à l’intégrité et à l’autonomie personnelle, dont la liberté de circulation fait nécessairement partie. Il ne peut y avoir d’humanisme sans respect des droits fondamentaux de toute personne, indépendamment de son parcours migratoire ou de son statut administratif.
Une lecture importante, nécessaire même, lorsque tous les indicateurs pointent vers une importante montée de l’extrême droite partout en Europe. Rappelons qu l’Union européenne a fondé son projet idéologique dans une large mesure sur le rejet pur et simple de la migration et sur la promotion de « fantasmes du complot » tels que le grand remplacement. Cette circonstance risque de renforcer encore tous les travers mortifères de notre politique d’asile et de migration européenne, déjà stigmatisante et violente.
Émilien Bernard, Forteresse Europe. Enquête sur l’envers de nos frontières, Montréal, Lux, 2024, 304 pages.
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