Une affaire de volonté

Encore un livre sur la laïcité en France, serait-on tentés de penser. L’auteur lui-même part du constat que la laïcité est redevenue d’une « brûlante actualité » et fait l’objet d’incessantes controverses… ce qui n’empêche pas son instrumentalisation et qu’elle soit rarement abordée de manière adéquate. Laïcité, un principe est une tentative de remédier à ce mauvais traitement en faisant le choix de l’étude du temps long, en étudiant l’histoire des relations entre les religions et les autorités politiques depuis l’Antiquité. L’historien français Éric Anceau retrace minutieusement les racines lointaines de ce principe pour mieux comprendre sa réalité actuelle, ses enjeux, et mieux réfléchir à son avenir. Ce pari ambitieux est réussi : il s’agit là d’une analyse historique exhaustive et fine de la laïcité qui, comme le souligne l’auteur, n’est pas une « exception française », mais possède une dimension universelle. En effet, si l’auteur concentre son propos sur la laïcité en France, il aborde aussi le sujet de manière plus large et transversale, ce qui lui donne un grand intérêt pour une bonne compréhension.

Après un état des lieux dans la France de 2022, six chapitres sont consacrés à l’histoire du principe de laïcité, puis trois chapitres sur la laïcité dans d’autres contextes. De même si l’auteur se focalise sur la laïcité en France, son histoire et son actualité, il rappelle utilement qu’elle n’est l’apanage d’aucune culture ni d’aucun continent. Sont abordées les exceptions à la laïcité en France même (Alsace-Moselle, outre-mer), puis l’auteur se lance dans un tour d’horizon mondial, qui montre que loin d’être une exception française, la laïcité a bien vocation universelle. Elle s’applique diversement dans plusieurs autres pays de diverses régions du monde. Enfin, le rapport entre autorité politique et religion est bien une question qui se pose dans toutes les sociétés, y compris dans l’islam depuis ses débuts : l’auteur montre toute la complexité de ce sujet. Le dernier chapitre présente les controverses françaises des trente dernières années, principalement liées à sa remise en cause par des mouvances islamistes, mais aussi par certains politiques de haut rang – on se rappelle le fameux discours du Latran de Nicolas Sarkozy.

L’étude historique d’une grande érudition permet d’apprécier l’importance cruciale de la laïcité dans nos sociétés, du temps qui a été nécessaire pour penser une sphère politique distincte de la religion, puis clairement séparée et indépendante de celle-ci. L’auteur retrace également la lente maturation du concept – essentiel, et qui nous paraît évident – de liberté de conscience.

Dans sa conclusion, l’auteur esquisse les manières dont le passé peut éclairer le présent et orienter des choix politiques futurs. Ainsi, rappelant le contexte de la lutte entre républicains et cléricaux sous la III^e République, il souligne que « les républicains […] étaient conscients de la complexité du fait religieux et de l’impossibilité de gagner leur combat sans détacher la grande majorité des catholiques de l’emprise cléricale », car la laïcité vise non seulement à « concrétiser l’autonomie […] de la communauté politique, mais aussi à garantir la liberté aux personnes, à tous les niveaux de la vie collective ». Une laïcité qui « entend faire vivre les trois dimensions de la devise républicaine : la liberté par la construction de l’autonomie de la personne et de l’esprit critique par la mise à distance des assignations identitaires, l’égalité par la commune appartenance à la nation et par le partage de la citoyenneté, et la fraternité par le souci d’autrui ». Elle est beaucoup plus qu’un « ensemble de dispositions juridiques ». Elle est « un humanisme universaliste qui émancipe de toutes les formes d’aliénation… ». Fruit de longs combats, objet de violentes contestations, l’avenir de la laïcité est « une affaire de volonté ».