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Un refuge
pour les Birmanes
victimes de violences

Valeria Mongelli · Journaliste et photographe

Mise en ligne le 16 février 2023

La violence domestique à l’égard des femmes est un problème répandu en Birmanie. Pourtant, ces dernières années, la lente transition de la dictature à la démocratie avait donné de l’espoir vis-à-vis des droits des femmes. Mais en février 2021, la junte militaire est revenue au pouvoir, et les conséquences pour les Birmanes ont été dévastatrices. À la frontière avec la Thaïlande, un refuge accueille des survivantes de violence domestique avec leurs enfants et œuvre à la restauration de leur liberté.

Photo © Valeria Mongelli

Allongée sur un matelas dans la pénombre, Kay Myant Myant Lwin tient sa fille dans ses bras. Deux jours plus tôt, elle est sortie de l’hôpital de Mae Sot. Une ecchymose est toujours visible sous son œil droit. Cette Birmane de 23 ans a quitté la maison de son mari violent, emportant avec elle sa fille de 15 mois, et elle a trouvé abri dans un refuge pour femmes géré par le Freedom Restoration Project (FRP), une organisation qui apporte soutien aux victimes de violence domestique à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie. C’est la menace d’être battue à mort qui l’a décidée à partir. Kay Myant Myant Lwin est arrivée en Thaïlande avec son mari en 2019, un an après son mariage. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à la battre. Elle l’a quitté en 2020 et est retournée à Rangoun, auprès de ses parents et de ses frères et sœurs, où elle s’est mise à travailler comme couturière. Après le coup d’État militaire, l’économie du pays s’est effondrée et elle s’est retrouvée sans revenus. « Depuis, chaque jour est différent et difficile », dit-elle. « Même rester chez soi n’est pas sûr. » Elle est donc rentrée chez son abuseur.

La violence domestique, un problème fréquent en Birmanie

Selon une étude menée avant le coup d’État dans la région de Rangoun, pas moins de 21 % des femmes interrogées ont signalé des violences physiques, sexuelles ou psychologiques de la part de leur partenaire1. Le pourcentage réel est probablement plus élevé : de nombreux cas restent sous le radar car la stigmatisation sociale décourage les femmes de signaler la violence. La Birmanie s’est par ailleurs classée 147e sur 189 pays dans l’indice des inégalités entre les sexes des Nations unies en 20202. En 2021, le centre de développement Social Institutions and Gender Index (SIGI) a identifié le pays comme le 8e État le plus discriminatoire sur 9 pays du Sud-Est de l’Asie3. Pourtant, ces dernières années, la lente transition de la dictature à la démocratie avait donné de l’espoir vis-à-vis des droits des femmes.

En février 2021, la junte militaire est revenue au pouvoir en Birmanie. Le coup d’État militaire et sa répression contre les manifestants pacifiques ont été un revers pour la démocratie et les droits humains. Les conséquences pour les femmes ont été dévastatrices4. Il a accru l’insécurité économique et stoppé les changements nécessaires pour démanteler la discrimination de genre. Selon Sia Kukaewkasem, fondatrice du FRP, la violence sexiste découle d’un déséquilibre de pouvoir ancré dans la culture nationale : « Tous les systèmes de notre société donnent le pouvoir aux hommes », dit-elle. Ils dominent les institutions militaires et religieuses, les plus puissantes du pays. De plus, traiter la violence domestique comme un souci interne au ménage contribue à la problématique. « Lorsqu’on ne dit ou on ne fait rien, on fait partie du problème. Chacun de nous dans cette société permet à la violence de se produire. »

Résoudre le problème à la source

Sia Kukaewkasem a fondé FRP en 2017, lorsqu’elle s’est rendu compte que dans la région de Mae Sot, il n’y avait pas de structures adéquates pour soutenir les femmes et les enfants fuyant la violence domestique. Elle est venue en Thaïlande avec ses parents. Elle est elle-même une survivante de cette violence : « J’ai vu mon père battre ma mère toute ma vie. Quand je côtoie des gens qui sont dans des relations abusives, ça me rappelle ma propre mère. » Elle a lancé le FRP pour aider les femmes qui sont dans la même situation. Sia Kukaewkasem prévoit maintenant de créer des ateliers sur la violence domestique destinés aux hommes. « Actuellement, on assiste les femmes et les enfants, mais ceux qui usent de la violence, ce sont les hommes », dit-elle. « Je veux résoudre le problème à la source. »

Kay Myant Myant Lwin et Hla Hla Win, deux femmes birmanes survivantes de violences domestiques, ont été accueillies avec leurs filles au refuge pour femmes du FRP à Mae Sot, à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie.

© Valeria Mongelli

Depuis sa fondation, le refuge FRP a accueilli 40 femmes et 59 enfants. En outre, le FRP offre aux victimes de violence domestique des groupes de soutien et des séances de conseil individuelles. Les femmes sont également encouragées à devenir financièrement indépendantes. FRP aide à les insérer dans des activités locales telles que la fabrication de bijoux artisanaux. Récemment, l’organisation a emprunté une machine à coudre pour Kay Myant Myant Lwin afin qu’elle puisse recommencer à travailler et partager ses compétences. « Je suis heureuse et ravie d’enseigner [aux autres femmes du refuge] », s’éxclame la jeune femme.

Dans la région de Mae Sot, la Birmanie et la Thaïlande sont séparés par l’étroite rivière Moei, un point de passage facile pour les migrants qui souhaitent entrer en Thaïlande. Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés5 (HCR), des sources gouvernementales thaïlandaises estiment qu’environ 17 000 réfugiés birmans ont cherché refuge en Thaïlande depuis le coup d’État. Ce nombre s’ajoute aux 91 000 réfugiés qui résidaient déjà dans neuf camps à la frontière entre les deux pays avant cet événement.

De nombreux réfugiés récents, et en particulier ceux qui ont fui leur territoire en raison de leur activité politique, vivent dans la peur d’être arrêtés et expulsés. Bien qu’il n’y ait pas de données officielles sur la violence domestique au sein de cette population, il est possible que de nombreux cas d’abus ne soient pas signalés car les survivantes ne veulent pas être identifiées par les autorités thaïlandaises. De plus, la plupart d’entre elles vivent dans des situations d’instabilité financière, un facteur supplémentaire de risque de violence. « Elles ont de multiples problèmes de santé mentale : anxiété, dépression… », commente Sia Kukaewkasem. « C’est vraiment dur pour elles. »

Liberté restaurée

Au refuge FRP, il y a six maisons qui accueillent actuellement six femmes et dix enfants, mais le plan est de l’agrandir. Les maisons se partagent un jardin où les enfants jouent et un poulailler. Deux fois par mois, les femmes déjeunent ensemble et rencontrent le personnel du FRP. Elles parlent de problèmes internes au refuge, de leurs sources de joie et d’inquiétude. Au cours d’une réunion, l’une des femmes raconte que quelques jours plus tôt, les militaires sont entrés dans sa ville natale, ont incendié une trentaine de maisons et arrêté une dizaine de personnes. Elle s’appelle Hla Hla Win6 et est originaire de la région de Sagaing.

Cette femme de 34 ans, mère de cinq enfants, est venue en Thaïlande en 2020 avec son deuxième mari. Il a commencé à abuser d’elle environ deux mois après leur mariage. La dernière fois, il lui a cassé la main en la battant. La fracture n’a pas été correctement traitée au début. Elle n’a passé une radiographie qu’après son arrivée au refuge. Sa main semble rigide alors qu’elle tient sa plus jeune fille, âgée de 8 mois. « Ça fait toujours mal », dit-elle, « par exemple quand je lave des vêtements. Lorsque mon mari m’a cassé la main, je ne pouvais plus m’occuper de ma fille, j’ai donc décidé de le quitter. »

Kay Myant Myant Lwin, Birmane de 23 ans, a quitté la maison de son mari violent, emportant avec elle sa fille de 15 mois.

© Valeria Mongelli

Les quatre autres fils de Hla Hla Win, qu’elle a eus de son premier mariage, sont encore dans sa ville natale en Birmanie avec leur père. Ils ont fui lorsque les militaires sont entrés dans leur village et n’ont pu rentrer chez eux qu’une fois ces derniers partis. Son fils aîné, 17 ans, a rejoint les Forces de défense du peuple (PDF), la branche armée du gouvernement d’unité nationale formée après le coup d’État pour combattre la junte militaire. « Je suis fière de son courage », dit-elle. « Au début, j’étais tellement inquiète. Plus tard, j’ai pensé : “Si personne ne rejoint le PDF, qui va résister à l’armée ?” »

Sagaing, une région agricole où la résistance contre la junte est forte, a connu certains des combats les plus intenses7. Depuis le coup d’État, 545 200 personnes y ont été déplacées et plus d’un million dans tout le pays, selon le HCR. La junte militaire a commis des violations systématiques des droits de l’homme, dont beaucoup s’apparentent à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, d’après une récente enquête des Nations unies8. Les récits de viols à la suite de raids militaires sont également fréquents9.

Après la réunion, les femmes prient ensemble, chacune selon sa religion. Kay Myant Myant Lwin est bouddhiste. Hla Hla Win, qui est chrétienne baptiste, a une croix entourée de feu tatouée sur son bras droit. Le pasteur de l’église où elle se rend a suggéré qu’elle demande de l’aide au FRP. « Je sens que ma vie est revenue à la normale [au refuge] », dit-elle. Elle montre des photos de son fils en uniforme sur son téléphone. « Je prie toujours pour ceux qui résistent au coup d’État, pour les rebelles. »

Plus tard, Kay Myant Myant Lwin et Hla Hla Win sont avec leurs filles dans le jardin. Hla Hla Win cueille une fleur dans un arbre et la montre à la fille de son amie de fortune. La petite essaie de la saisir. Les deux femmes aimeraient envisager leur avenir en Birmanie, mais elles sont conscientes qu’une vie meilleure est ailleurs. « L’armée ne respecte pas le droit », déclare Kay Myant Myant Lwin. Elle désirerait commencer à étudier l’anglais et le thaï, et elle souhaite apprendre à sa fille à coudre. « Mais je la soutiendrai autant que possible, quoi qu’elle décide de faire. » Du refuge, on peut entendre les bombardements du côté birman de la rivière. Le bruit de la guerre semble ici moins effrayant que de dormir à côté de quelqu’un dont on a peur.

  1. Win Thuzar Aye, Lars Lien, Hein Stigum et al., « Domestic violence victimisation and its association with mental distress: a cross-sectional study of the Yangon Region, Myanmar », dans BMJ Open, vol. 10, no 9, 2020.
  2. OECD Development Center’s Social Institutions & Gender Index, 2023.
  3. Human Development Report Office, « Gender Inequality Index », s. d.
  4. UN Women Asia and the Pacific, Regressing Gender Equality in Myanmar: Women living under the Pandemic and Military rule, 2022.
  5. « Myanmar Emergency. UNHCR Regional Update », 3 octobre 2022.
  6. Le vrai nom de Hla Hla Win a été changé pour protéger son identité.
  7. RFA Burmese, « Fighting in Myanmar’s Sagaing region kills 16 anti-junta fighters », 10 octobre 2022.
  8. UN News, « Myanmar: Increasing evidence of crimes against humanity since coup », 12 septembre 2022.
  9. Maggi Quadrini, « As the crisis in Myanmar continues, no justice for victims of sexual violence », dans Globe, 5 octobre 2022.

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