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Un nouveau nom
pour refuge
Cinq questions à Jean-François Jacobs
Propos recueillis par Vincent Dufoing · Directeur « Projets communautaires » du CAL
Mise en ligne le 4 novembre 2024
C’est l’histoire de Mohamed, jeune athée vivant en Tunisie, un pays où la non-croyance n’est pas une option. Une fois réfugié en Belgique, il change de prénom et de vie. Ed échappe ainsi enfin aux menaces auxquelles il a dû faire face. Très plaisant à lire, le livre de Jean-François Jacobs se termine par un vade-mecum. L’auteur a utilement rassemblé en dix points les étapes incontournables pour obtenir le statut de réfugié en Belgique quand on fuit un pays théocratique pour des raisons philosophiques. Metteur en scène et militant laïque belge, Jean-François Jacobs saute avec brio de la réalité romancée à la réalité pratique. Car Ed existe vraiment.
Vous racontez l’histoire vraie du jeune Mohamed, athée qui s’affiche comme tel dans son pays. Quotidiennement menacé, il décide de fuir la Tunisie pour demander l’asile en Belgique où il brigue – non sans mal – le statut de réfugié. Comment l’avez-vous rencontré et pourquoi avoir voulu raconter son parcours ?
C’est une amie qui travaillait dans une association venant en aide aux réfugiés et qui, connaissant mon militantisme au sein de l’Association belge des athées, lui a conseillé de me contacter. De par mes fonctions au sein de l’ABA, cela m’arrive régulièrement de recevoir des messages d’athées vivant dans des pays majoritairement croyants et qui voudraient s’en aller ou simplement parler à quelqu’un. Après un certain temps, Ed m’a contacté et on s’est donné rendez-vous à Namur. Je rencontrais, pour la première fois en Belgique, une personne qui avait obtenu son statut de réfugié pour avoir revendiqué dans son pays d’origine le droit d’exprimer son athéisme. Bien qu’ayant bénéficié d’une bonne instruction, il en savait peu sur le parcours administratif à suivre. Cela m’a étonnée. Il ignorait par exemple que la première chose à faire était de s’inscrire à l’Office des étrangers. Je me suis dit que c’était l’occasion de rédiger un petit vade-mecum dans ce domaine. D’ailleurs, cette partie sera à un moment opportun diffusée gratuitement en plusieurs langues.
Jean-François Jacobs, L’Histoire vraie de mohamEd, Bruxelles, Asmodée Edern, 2024, 172 pages.
Ce n’est pas la première fois que vous abordez la thématique de l’exil forcé dans votre création artistique ?
Effectivement. Jusque-là, j’ai travaillé avec beaucoup d’associations qui viennent en aide aux jeunes bruxellois des quartiers défavorisés. Mon but était de mettre en lumière les discriminations dont ils ont été et sont victimes. J’ai créé plusieurs spectacles avec l’association Le Tefo sur le thème de l’immigration, ce qui a permis de mettre en valeur les témoignages de personnes ayant connu l’exil. J’aime travailler avec des acteurs de terrain car leurs propos portent en eux la légitimité de l’expérience.
Que souhaitez-vous que votre roman apporte à vos lecteurs ?
J’espère m’adresser à deux sortes de personnes : celles concernées par la problématique de l’exil pour des raisons philosophiques et les citoyens lambda qui n’y sont pas sensibilisés. Ce qui m’a interpellé dans l’histoire d’Ed, c’est la galère dans laquelle il s’est retrouvé une fois arrivé sur le sol belge. C’est assez incroyable de devoir fuir son pays parce qu’on est athée et, paradoxalement, d’être systématiquement considéré comme musulman quand on est en Belgique. Comme si quelqu’un qui quitte un pays musulman pour des raisons de non-croyance devait rester musulman pour ne déranger personne… J’ai voulu aussi montrer que l’exil est toujours difficile alors qu’au départ, on vend aux candidats le mythe de l’eldorado européen. On oublie les besoins différents, la pression sociale, les démarches difficiles. Quand on débarque dans un pays autre que le sien, on se retrouve sans amis et sans famille pour nous aider.
L’athéisme d’Ed lui permet d’obtenir le statut de réfugié, non sans de nombreuses embûches. Cette situation est-elle fréquente de par le monde ?
Une fois en Belgique, Mohammed a décidé de prendre le nouveau prénom d’Ed pour pouvoir tourner la page. Souvent, les athées qui vivent dans des pays musulmans n’osent pas le dire parce que c’est dangereux pour eux et, a fortiori, ils hésitent à immigrer. Leurs principaux problèmes sont la solitude et le manque d’argent. Il faut souligner le fait que les personnes athées qui vivent dans un pays où la croyance religieuse domine et qui ne dévoilent pas leur opinion philosophique ne risquent pas grand-chose. Lorsqu’ils immigrent, on leur rétorque souvent que leur situation était bonne dans leur pays d’origine puisqu’ils y étaient peu menacés. Mais la plupart des personnes dans une telle situation sont victimes de violences psychiques ou physiques. Il faut rappeler que si un réfugié ne peut attester des dangers auxquels il a dû faire face dans son pays, il n’obtiendra pas ses papiers. Ils sont donc amenés à mettre davantage leur vie en danger pour être crédibles ! C’est la raison pour laquelle je formule le conseil de répertorier toutes les menaces dont ils ont été victimes.
Votre ouvrage présente à la fin les dix étapes à franchir pour tenter d’obtenir le statut de réfugié en Belgique. Cette nomenclature prévaut-elle pour tous les demandeurs d’asile ou n’est-elle liée qu’à la situation particulière d’Ed ?
Je pense qu’on peut la transposer assez facilement aux réfugiés politiques qui disposent d’un peu de moyens financiers pour immigrer. Ceux qui n’ont pas du tout de moyens s’installent au mieux dans des pays limitrophes. J’attire l’attention sur le fait que ces conseils a priori « bateaux » sont importants pour la plupart des réfugiés qui ne connaissent pas le parcours qu’ils doivent suivre. De plus, ils démontrent assez bien l’aspect kafkaïen de l’administration. J’insiste également sur le fait qu’Ed est issu d’une famille aisée. C’est quand il a été confronté à un niveau de vie modeste que la vindicte populaire est devenue intenable. Il serait intéressant de vérifier la corrélation entre tolérance religieuse et émancipation financière.
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